La nécessité d’uniformiser le droit maritime dans
l’espace OHADA
La complexité du droit maritime dans l’espace OHADA
La complexité du droit maritime dans l’espace OHADA peut être mise en évidence en faisant constater d’une part les difficultés qui entravent son appréhension dans les différents Etats et d’autre part les nombreuses disparités juridiques qui existent entre les différentes législations. En effet, alors que les difficultés qui entravent l’appréhension du droit maritime dans les différents Etats, rendent son contenu incertain (Titre I), favorisant ainsi la méconnaissant des règles applicables, les disparités juridiques quant à elles révèlent la diversité des législations maritimes (Titre II), démontrant ainsi qu’au lieu d’avoir dans l’espace OHADA, un seul droit maritime applicable dans tous les Etats Membres, ce sont plutôt plusieurs droits maritimes différents, qui y coexistent.
L’incertitude sur le droit maritime en vigueur dans les Etats OHADA
Le droit maritime en vigueur dans les Etats OHADA est incertain parce qu’il est très difficile de procéder à une identification suffisamment complète des règles qui le compose. Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette difficulté. Au nombre de ce celles-ci, il y a l’éparpillement des règles dans de nombreux instruments dont certains sont soit très difficiles d’accès soit tout simplement inaccessibles. Outre cet éparpillement des règles qui rend illisible le droit applicable et favorise sa méconnaissance, l’incertitude est aussi favorisée par la confusion qui prévaut au sujet de l’appartenance de nombreux instruments notamment ceux hérités de l’époque coloniale au droit positif. Enfin, on constate aussi que la jurisprudence susceptible d’être invoquée dans les différents Etats est une nébuleuse compte tenu des divergences d’opinions dont elle fait l’objet. Pour mettre en lumière l’ensemble de ces difficultés en tenant compte de la spécificité et de la différence qu’il y a entre les différentes sources du droit, nous allons traiter séparément les sources principales (que sont les textes de lois, les conventions internationales etc.) et les sources secondaires (que sont la jurisprudence, la doctrine, les usages etc.). En d’autres donc, l’incertitude relative au contenu du droit maritime en vigueur dans l’espace OHADA sera mise en évidence en faisant état de la complexité de l’appréhension aussi bien des sources principales (chapitre I) que des sources secondaires (chapitre II). Dans les Etats Membres de l’OHADA, les sources principales du droit maritimes sont constituées par des textes aussi nombreux que variés. Mais si l’on tient compte de leurs origines, on constate qu’ils peuvent être distingués en deux catégories. Il y a les textes qui émanent des organismes internationaux auxquels ont adhéré les Etats OHADA et d’autre part les textes de LOIS adoptés au plan interne par chaque Etat. En conséquence de cette distinction, étudier la complexité de l’identification des sources principales du droit maritime des Etats OHADA peut consister, à notre avis, à mettre en évidence d’une part la complexité de de l’appréhension des textes internationaux (section I) et d’autre part la complexité de l’appréhension des textes nationaux (section II) applicables.
La complexité de l’appréhension des textes internationaux sources du droit maritime des Etats OHADA
Les textes internationaux sources du droit maritime dans les Etats OHADA sont soit des conventions internationales de droit maritimes privé élaborées dans le cadre d’institutions 21 d’envergure mondiale tels que le CMI67, l’OMI68, la CNUCED69, la CNUDCI70, l’OIT71 etc. soit des textes adoptés au plan régional par des institution comme l’UA, la CEMAC, l’UEMOA72 etc. Par conséquent, la complexité de l’appréhension des textes internationaux qui sont l’une des sources principales du droit maritime dans l’espace OHADA peut être constatée en mettant en évidence les difficultés inhérentes à l’identification des textes applicables au titre de l’une et de l’autre de ces deux catégories d’instruments. Autrement dit, notre étude consistera sur ce point à mettre en lumière la complexité non seulement de l’identification des conventions internationales en vigueur dans les Etats OHADA (paragraphe I) mais également de l’identification des textes adoptés au plan régional (paragraphe II). Paragraphe I : La complexité de l’identification des conventions internationales en vigueur dans les Etats OHADA . La complexité de l’identification des convention internationales en vigueur dans les Etats OHADA a deux fondements. Le premier c’est l’incertitude relative au sort des conventions maritimes internationales de Bruxelles rendues applicables dans les Etats OHADA à l’époque coloniale (A). Quant au second, il est relatif à la diversité des conventions ratifiées ou adoptées par les Etats depuis leur accession à la souveraineté internationale (B).
L’incertitude sur le sort des conventions internationales rendues applicables dans les Etats OHADA à l’époque coloniale
L’incertitude sur le sort des conventions internationales rendues applicables dans les Etats OHADA à l’époque coloniale a été constatée récemment en faveur d’une question posée au juge ivoirien73. Cette question visait à savoir si la Convention de Bruxelles sur la saisie conservatoire des navires du 10 mai 1952 qui avait été ratifiée et étendue aux territoires d’outremer74 par la France, relève du droit positif ivoirien alors qu’une fois devenu indépendant, l’Etat de Côte d’Ivoire n’a ni ratifié ni adhéré à cet instrument international75. Elle a suscité des débats dans le milieu des avocats maritimistes ivoiriens76. Car au-delà de la convention expressément visée, il se posait en réalité la question de l’applicabilité de toutes les conventions de droit commercial maritime dont le cas était similaire. C’est à qu’à l’exception de la convention de Bruxelles pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, qui n’a jamais été rendue applicable aux colonies par l’effet d’une déclaration d’exclusion territoriale77, ce sont au moins dix des conventions de Bruxelles d’avant les indépendances qui sont concernées78. 26. Ce débat ivoirien intéresse directement les autres Etats OHADA dans la mesure où ils sont, presque tous, exactement dans la même situation que la Côte d’Ivoire. Certes, pour des raisons de compétence linguistique, notre analyse sera circonscrite aux Etats francophones de l’espace OHADA, mais il n’est pas inutile de préciser que d’une façon générale, les Etats anglophones, lusophones ou hispanophones de l’espace OHADA sont aussi concernés par ce débat. Car, les colonies étaient considérées comme des dépendances soumises à la souveraineté des Etats colonisateurs et parties intégrantes de leurs territoires. Par conséquent, nombre de conventions internationales notamment les conventions internationales de droit maritime commercial, ratifiées par ces puissances coloniales ont été intégrées dans leurs ordres juridiques. Quid donc de ces conventions maintenant qu’ils ont, avec les indépendances, tous accédé à la souveraineté internationale ? 27. Au premier abord, on peut penser que les choses sont simples ; puisqu’une convention internationale ne lie que Etats contractants en vertu du principe de l’effet relatif des traités. Or, lorsqu’on s’intéresse davantage à la question, on constate que deux thèses fondamentalement opposées s’affrontent. Ce sont d’une part la thèse qui défend l’applicabilité de ces conventions (1) et d’autre part la thèse défend leur inapplicabilité
La thèse de l’applicabilité des conventions maritimes introduites dans les Etats OHADA à l’époque coloniale
La thèse de l’applicabilité des conventions maritimes introduites dans les Etats OHADA à l’époque coloniales est, d’une façon générale, fondée sur le principe qui veut qu’un Etat successeur, en accédant au statut d’Etat devient partie intégrante du système international préexistant, dont il doit respecter l’intégrité et la cohérence. Car, de même qu’un individu entrant dans une maison doit en respecter l’agencement, un Etat successeur en entrant dans la communauté internationale doit en reconnaître l’ordonnancement79. En conséquence de ce principe, la table rase80 n’est pas un corollaire incontournable du principe de souveraineté, si l’on veut bien ne pas oublier qu’en accédant au statut d’Etat souverain le nouvel Etat s’insère dans une société internationale qui précisément lui confère une souveraineté, telle que définie par le droit international, c’est-à-dire soumise non seulement au respect des règles coutumières existantes mais également à celui des traités multilatéraux normatifs qui représentent une si large part des droits des gens81. 29. Il résulte de ce qui précède que l’on doit, admettre que les Etats nouveaux ne devraient pas remettre en cause les traités multilatéraux qui s’appliquaient à leur territoire antérieurement à leur indépendance. Pour être plus exact, on reconnaîtrait une succession de plein droit à toutes les traités multilatéraux normatifs. Rapporter à la question qui nous préoccupe, cela signifie que la continuité des conventions maritimes internationales de Bruxelles est la solution qui doit prévaloir, dès lors qu’elles ont été régulièrement intégrées dans les ordres juridiques des territoires des anciennes colonies. 30. En conséquence de ce qui précède, répondre à la question de savoir si les conventions maritimes internationales de Bruxelles ratifiées par les puissances coloniales (notamment la France) sont applicables dans les Etats OHADA, implique au préalable de répondre à la question de savoir si ces conventions étaient intégrées dans les ordres juridiques des territoires de l’Afrique Occidentale Française (AOF)82 et de l’Afrique Equatoriale Française (AEF)83 qui les regroupaient avant qu’ils n’accèdent à la souveraineté internationale. Si on s’en remet à l’analyse de monsieur Xavier Ghelbert, la situation est la suivante : les rédacteurs des conventions maritimes de Bruxelles ont pris, pour plus de clarté, la précaution d’insérer dans chacune d’elles une clause coloniale84. Celle-ci consistait en un article relatif à l’extension de la convention aux territoires coloniaux. Avant la seconde guerre mondiale, ces clauses étaient rédigées ainsi : « les Hautes parties contractantes peuvent au moment de la signature, du dépôt des ratifications ou lors de leur adhésion déclarer que l’acceptation qu’elles donnent à la présente convention ne s’applique pas soit à certains, soit à aucun des dominions autonomes, colonies, possessions, protectorats ou territoires d’outre-mer, se trouvant sous leur souveraineté ou autorité (…). Elles peuvent aussi, et conformément à ces dispositions, dénoncer la présente convention séparément pour l’un ou plusieurs des dominions autonomes, colonies, possessions, protectorats ou territoires d’outre-mer, se trouvant sous leur souveraineté ou autorité ». Or, mis à part la convention de Bruxelles pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement de 192485, toutes les conventions maritimes de Bruxelles qui avaient été adoptées avant la seconde guerre mondiale ont été ratifiées sans réserve par la France.
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