LA MÉTHODOLOGIE ET LE PROCESSUS DE RECHERCHE
Notre projet de recherche est appuyé par la méthode phénoménologique dont les fondements philosophiques renvoient à la totalité des expériences vécues par un individu (Poupart, Deslauriers, Groulx, Laperrière, Mayer, Pires, 1997). Notre questionnement vise à saisir la perception qu’ont les élèves de la formation « Pâtes et papiers » sur les compétences génériques et leur effet sur l’employabilité, telle qu’elle se présente à eux. Le questionnaire d’entrevues, qui nous a servi d’instrument de collecte des données, a été conçu de manière à permettre la libre expression des sujets sur cinq compétences génériques provenant de la taxonomie de Discas. Lors de nos rencontres avec les participants, tous ont déclaré avoir eu, dans le passé, des expériences sur le marché du travail, sans toutefois que celles-ci n’aient un lien direct avec le domaine des pâtes et papiers.
Nous avons donc choisi de situer le contexte de la recherche sur les activités pédagogiques et expérientielles de l’année scolaire en cours afin de profiter pleinement des résultats que la formation professionnelle avait donné aux élèves depuis leur entrée en formation, en septembre 2001. Les dates des entrevues, fixées durant les mois de mai et de juin 2002, ont justement permis d’utiliser la somme de tous ces apprentissages comme référentiel crédible pour les fins de notre recherche. Husserl (1913) explique que la phénoménologie traite du phénomène de la conscience en donnant aux événements ou aux objets une signification véritable. Loin de la neutralité, cette conscience se rapporte à l’expérience réelle (donc subjective) et ordinaire des sujets, aux faits humains. L’analyse que cet auteur en fait est placée sous l’angle du sens que ces phénomènes ont pour les sujets qui les vivent. Autre point important de cette approche, c’est l’intentionnalité : le sujet ne peut avoir de sens que dans sa relation avec l’objet, et de même, l’objet suppose en soi d’être relié à la subjectivité.
Initialement, notre intention de recherche visait tous les étudiants francophones et anglophones (incluant les amérindiens qui s’expriment majoritairement en anglais) de la formation « Pâtes et papiers », pour la période de 1999 à 2001, ce qui aurait représenté entre quarante et cinquante sujets à rencontrer. Après réflexion, il nous a semblé plus avantageux de limiter la portée de nos interventions à un seul groupe, celui des francophones d’une seule cohorte. La raison en est bien simple : en tant que chercheur, nous souhaitions intervenir à toutes les phases du processus de recherche, y compris à celle de la cueillette de données. L’hétérogénéité culturelle des sous-groupes et la différence de perceptions auraient été un facteur important à considérer dans l’analyse des données. En effet, pour bien cerner le langage des mots, la compréhension des codes et de la culture des participants anglophones, il nous aurait fallu investir beaucoup plus de temps que ne nous le permettait le projet. Sur le plan pratique, nous n’aurions pas eu accès aux ressources humaines, matérielles et financières requises pour la préparation, la traduction et la réalisation des entrevues ni pour l’interprétation des résultats. De plus, contrairement aux élèves de formation générale, ceux de la formation professionnelle visent une intégration au marché du travail à plus court terme. Ainsi, leur intérêt pour les questions relatives à l’employabilité nous apparaissait plus palpable. Pour réaliser le présent travail de recherche, nous avons suivi les cinq grandes étapes suivantes :
1) la collecte des données verbales;
2) la lecture des données;
3) la catégorisation des données;
4) l’organisation et l’énonciation des données brutes;
5) la synthèse des résultats.
La collecte des données verbales
Avant de débuter cette première étape, les étudiants ont été collectivement informés sur la nature exacte du projet de recherche, sur les objectifs et les modalités de la cueillette de données. Ils ont ensuite été rencontrés individuellement afin de soutenir leur engagement et de les rassurer sur la confidentialité des informations reçues. Ces échanges ont permis de répondre à leurs questions et de maintenir le climat de confiance nécessaire à la réalisation du projet. Aucun renseignement nominatif n’a été colligé par le recherchiste et il n’y a pas eu d’échantillonnage puisque tous les étudiants de la cohorte ont été retenus dans le groupe cible. Les données ont été recueillies par entrevues avec des questions ouvertes et semidirigées. L’entretien de type qualitatif nous apparaissait « indispensable à une juste appréhension et compréhension de leurs réalités et conduites sociales, mals surtout à leur expérience de vie. »10 En tant que chercheur, nous souhaitions intervenir le moins possible durant la cueillette des données afin de ne pas influencer la qualité des propos issus des personnes interviewées, mais plutôt de faciliter la libre expression de leurs points de vue. L’entretien non directif présente ici l’avantage de bien coller à la réalité de l’interviewé. « Jouissant d’un maximum de liberté d’expression, celui-cl est plus susceptible de le faire selon ses propres catégories et selon son propre langage. »11
Afin de respecter le plus fidèlement possible le contenu des opinions reçues et d’éviter toute forme d’interprétation, les entrevues ont été enregistrées sur vidéocassettes et transcrites par le chercheur à la fin des entrevues. Toutes réactions additionnelles observées durant la rencontre et ayant une signification probante pour la compréhension de l’objet de l’étude ont également été consignées. Une préexpérimentation auprès d’une ancienne étudiante en « Pâtes et papiers» a été nécessaire afin de vérifier la compréhension et la validité des questions. Les préoccupations et les commentaires des collègues de travail nous ont également été très utiles dans l’élaboration du questionnaire final d’entrevues. Les entretiens, d’une durée approximative d’une heure, se sont déroulés au centre l’Envol, en mai et juin 2002, selon les disponibilités des sujets et suivant un horaire non contraignant Uours, soirs ou fins de semaine). À la fin des entrevues, toutes les informations recueillies (notes, observations et enregistrements) ont été transcrites pour fins d’analyse.
L’expérience de travail
Tous les étudiants de la présente cohorte ont déclaré avoir eu une expérience de travail avant leur admission à l’Envol. Ils ont tous, sans exception, occupé au moins un emploi, que celui-ci ait été occasionnel, à temps partiel ou à temps plein. Le fait d’avoir été collés à la réalité du marché du travail, à ses règles et à ses exigences, leur procure un atout majeur dans la prise de conscience de leurs capacités personnelles et professionnelles. Pour les fins de notre recherche, ces expériences sont très significatives puisqu’elles aident les sujets à apprendre « in situ» la relation qui existe entre « le travail réel » et le « travail virtuel », ce qui nous est particulièrement difficile à reproduire en milieu scolaire. De façon générale, les incursions sur le marché de l’emploi fournissent, à tous les travailleurs, une extraordinaire occasion de connaître les attentes des employeurs quant aux habiletés et aux qualifications recherchées. En situation de travail, les employés sont appelés à exécuter des tâches multiples et variées; on leur demande d’assumer des responsabilités et de répondre de leurs actes. C’est durant ces expériences que les travailleurs peuvent être confrontés à des difficultés auxquelles ils ne s’attendaient pas : conflits de personnalités avec des pairs ou avec la direction de l’entreprise, rivalités entre collègues, incapacités de répondre adéquatement aux attentes du patron, insatisfactions par rapport aux conditions de travail, difficultés à faire entendre son point de vue, etc. Les employés sont souvent soumis à de sérieuses remises en question sur eux-mêmes, sur le métier qu’i ls exercent ou sur les relations qu’ils entretiennent avec les autres. Les plus jeunes idéalisent parfois le marché du travail jusqu’à ce que la réalité les rattrape. C’est donc par ce rapport avec le monde extérieur qu’ils peuvent consolider les compétences nécessaires à leur survie professionnelle et à la protection de leur intégrité personnelle. Dans la majorité des cas, la pratique devient le référentiel le plus important pour le développement du savoir-faire, du savoir-être, ce qui est au coeur de notre recherche.
La situation particulière des femmes
Notre recherche nous apprend que les étudiantes s’intéressent à la formation en « Pâtes et papiers » depuis plus longtemps que tous les autres étudiants de la même cohorte, et que cet intérêt n’est pas nouveau. Elles connaissent déjà beaucoup de travailleurs à l’emploi de Tembec (l’entreprise locale) ou pour d’autres usines de seconde transformation. Elles ont en tête un grand nombre d’hommes et de femmes qui gagnent leur vie dans ce secteur d’activités et elles voient leur métier d’ouvrière papetière comme un intéressant défi personnel. Y a-t-il lieu d’être surpris de ces réactions ? Pas du tout. À Témiscaming, la compagnie Tembec est considérée comme un chef de file pour l’embauche des femmes au sein de son entreprise et non seulement pour des postes cléricaux « traditionnels » mais bien pour satisfaire la demande en main-d’oeuvre directement sur la production. Ces étudiantes savent que les femmes travaillant chez Tembec sont aussi actives dans les laboratoires et sur les machines à papier qu’aux secteurs de la finition et de l’emballage.
Elles savent également aussi qu’avant d’obtenir un tel poste, elles sont appelées, au même titre que les hommes, à faire du remplacement n’importe où dans l’usine, situation qui peut d’ailleurs durer de quelques mois à plusieurs années. Au niveau social, leur travail en usine est aussi valorisé que celui des hommes. Les étudiantes de l’Envol ont donc, dans leur entourage immédiat, des modèles de femmes qui occupent des postes de responsabilités et qui participent depuis des années au développement et à la croissance de l’entreprise. Comme leurs consoeurs, elles sont confiantes de pouvoir répondre aux exigences de la tâche une fois embauchées et elles espèrent fortement avoir la chance de le démontrer. Même si les papetières sont encore un milieu d’hommes, elles ne manifestent aucune crainte quant à leurs capacités de réussir. L’intérêt qu’elles ont pour la formation en « Pâtes et papiers » ne s’est jamais démenti, comme en fait foi le témoignage de ces deux répondantes ayant grandi à l’extérieur de Témiscaming :« Ça fait exactement 10 ans que je suis intéressée à faire ça. Mais pour des raisons familiales, j’ai seulement commencé cette année à le faire. » Pendant toutes ces années, cette étudiante a gardé le contact avec des travailleurs de Tembec, question de savoir ce qui se passe au sein de la compagnie.
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