La nature des arrestations pour désordre
L’influence de la saison de navigation
Dans cette première partie, nous examinerons les liens entre la saisonnalité et la répression du désordre. En partant de l’hypothèse que le facteur saisonnier amplifie l’intensité des arrestations en période de navigation, nous envisageons que les populations de passage, et notamment les marins, ont fortement contribué au désordre dans la ville au milieu du XIXe siècle4 .Soulignons d’abord que le facteur saisonnier est un élément qui semble amplifier les arrestations dans la ville. Dans la figure 2, nous avons compilé le nombre d’arrestations par mois pour les années 1860, 1866 et 1870. Cette disposition nous permet de constater que le nombre d’arrestations pour désordre subit des variations saisonnières et que la structure de ces variations est semblable d’une année à l’autre. De manière générale, il y a une centaine d’arrestations par mois, de janvier à mars5 . Ensuite, prend place une hausse notable du nombre d’arrestations à partir de mai. On atteint un apogée en juin et juillet, deux mois pendant lesquels le nombre mensuel d’arrestations double par rapport aux mois d’hiver6 . À partir de septembre, le nombre d’arrestations décline pour revenir à une centaine d’entrées au mois de décembre. Le nombre de femmes comparaissant devant le Recorder est semblable à celui des hommes en décembre, janvier, février et mars en 1860 et en 1866. En mars et en décembre 1866, le nombre de femmes dépasse même celui des hommes. Ce changement s’expliquerait par deux phénomènes simultanés: le nombre d’arrestations diminue à partir de la fin de la saison de navigation et le nombre de confessions volontaires augmente pendant les mois d’hiver. Puisque les confessions volontaires sont majoritairement féminines, cela explique pourquoi les deux sexes sont représentés de manière presque égale pendant les mois d’hiver. Ces fluctuations nous permettent d’observer la répression du désordre selon une structure bien précise et de faire des liens avec le contexte portuaire. Hormis une hausse marquée7 des arrestations en septembre 1866, nous constatons que le modèle de variations saisonnières des arrestations s’apparente à celui du trafic maritime à la même période8 . En 1870, le nombre total d’arrestations est moindre que celui des années précédentes et on note une diminution de l’amplitude des variations saisonnières9 . Selon nous, cette diminution globale des arrestations en 1870 représente un signe supplémentaire de l’effet du dynamisme portuaire sur la gouvernance urbaine, et incidemment sur la répression du désordre, puisqu’elle se produit en même temps que la diminution de l’activité portuaire. Cependant, dans les limites de notre étude, nous ne pouvons pas nous avancer davantage, sachant que cela nécessiterait une extension significative de la période étudiée et du chantier de recherche investigué.
La confession volontaire
Dans une perspective de répression du désordre urbain, les autorités policières tentent d’assainir les lieux publics par le biais de l’arrestation et de l’enfermement des individus issus des classes pauvres. Or, les archives judiciaires nous indiquent que les individus ciblés par ces mesures viennent parfois eux-mêmes devant la Cour pour se « confesser » de leur état désordonné. En se dénonçant devant le juge, ils souhaitent obtenir une peine d’emprisonnement. Ce phénomène complexe, bien qu’il fasse partie intégrante du désordre, y tient une place distincte. Nous analyserons le profil des individus qui ont recours à la confession volontaire. Il est à noter qu’encore très peu d’études ont été faites sur cet aspect. Nous considérons n’avoir défriché que partiellement le sujet10. Dans les registres d’écrou, la confession volontaire se trouve parfois incorporée dans l’appellation fourre-tout « Police Ordinance ». Il était difficile d’identifier de manière certaine les individus concernés seulement à partir des registres de prison. Heureusement pour nous, elle a été répertoriée selon une catégorisation précise dans ceux du Recorder. Dans ces derniers, le greffier inscrit l’acronyme « L. I. D. » (Loose, Idle and Disorderly) en guise de description uniformisée lorsqu’il s’agit de confession volontaire11. Une telle pratique renvoie à l’ordonnance de 1838 dans laquelle une disposition est prévue pour les individus se rapportant eux-mêmes comme des « personnes déréglées »L’objectif de la confession volontaire est d’obtenir une peine d’emprisonnement. Sur l’ensemble des 1209 confessions volontaires de notre échantillon, presque toutes les demandes trouvent une réponse favorable14. Ainsi, elles représentent près de 20 % du total des individus répertoriés dans notre échantillon15. L’hiver est la période où la confession volontaire se manifeste de manière évidente : de décembre à mars, ce phénomène représente près de la moitié des causes entendues. Or, cela tient en partie à la diminution des arrestations en hiver. Le recours à cette pratique est lié à la situation de vulnérabilité des plus pauvres de la société et plus particulièrement des femmes: sur l’ensemble des confessions volontaires répertoriées, près des trois quarts sont demandées par des femmes16. À l’inverse, cette pratique est rare chez les hommes, variant annuellement entre 5 % et 12 %17. En 1866, plus de la moitié des femmes comparaissant devant le Recorder le font volontairement. Au milieu du XIXe siècle, les autorités judiciaires doivent faire face au paupérisme, lequel est plus répandu parmi certaines populations de femmes. Par ailleurs, on peut supposer que les normes sociales de l’époque entraînent une marginalisation plus importante envers les femmes de « mauvaise vie » que les hommes vivant une situation analogue. Celles-ci, ayant un accès beaucoup plus restreint à l’emploi que les hommes, ont recours à des stratégies de survie. Nous pensons que l’enfermement volontaire en fait partie.