LA NAISSANCE DU DROIT CONTEMPORAIN
CODE CIVIL : DISCOURS PRÉLIMINAIRE prononcé par PORTALIS lors de la présentation du projet (an XI, 1803)
La France, autrefois divisée en pays coutumiers et en pays de droit écrit, était régie, en partie par des coutumes, et en partie par le droit écrit. Il y avait quelques ordonnances royales communes à tout l’empire…Nous avons fait, s’il est permis de s’exprimer ainsi, une transaction entre le droit écrit et les coutumes, toutes les fois qu’il nous a été possible de concilier leurs dispositions, ou de les modifier les unes par les autres, sans rompre l’unité du système, et sans choquer l’esprit général. Il est utile de conserver tout ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire : les lois doivent ménager les habitudes, quand ces habitudes ne sont pas des vices. On raisonne trop souvent comme si le genre humain finissait et commençait à chaque instant, sans aucune sorte de communication entre une génération et celle qui la remplace. Les générations, en se succédant, se mêlent, s’entrelacent et se confondent. Un législateur isolerait ses institutions de tout ce qui peut les naturaliser sur la terre, s’il n’observait avec soin les rapports naturels qui lient toujours, plus ou moins, le présent au passé, et l’avenir au présent, et qui font qu’un peuple, à moins qu’il ne soit exterminé, ou qu’il ne tombe dans une dégradation pire que l’anéantissement, ne cesse jamais, jusqu’à un certain point, de se ressembler à lui-même. Nous avons trop aimé, dans nos temps modernes, les changements et les réformes ; si, en matière d’institutions et de lois, les siècles d’ignorance sont le théâtre des abus, les siècles de philosophie et de lumière ne sont que trop souvent le théâtre des excès… Telles sont les principales bases d’après lesquelles nous sommes partis dans la rédaction du projet de Code civil. Notre objet a été de lier les mœurs aux lois, et de propager l’esprit de famille, qui est si favorable, quoi qu’on en dise, à l’esprit de cité.
LA SYSTÉMATIQUE DU CCS
La question de l’ordre des matières n’était pas intacte. Le code fédéral des obligations, étant déjà en vigueur, ne pourrait s’adapter purement et simplement, sans recevoir aucune modification, à un code embrassant les autres parties du droit civil. Au contraire, le droit des obligations devra être incorporé au nouveau code, après avoir subi les changements qui seront reconnus nécessaires ou utiles. On ne pourra prendre une décision définitive à ce sujet que lorsque le texte du présent projet sera arrêté. En tout cas, le droit des obligations demeure une partie se rattachant au projet actuel, et il en formera le dernier livre. Mais, indépendamment de cette circonstance, nous estimons que l’ordre des matières doit différer de celui qui a prévalu dans le système du droit commun. Le droit des personnes et le droit de la famille comprennent les institutions mêmes, sur lesquelles reposent tous les droits relatifs aux biens. A la vérité, elles se rapportent à toutes les catégories de droits, et c’est pourquoi l’opinion dominante voudrait qu’un code organisât, en premier lieu, le statut réel et ne traitât qu’en seconde ligne des personnes et de la famille. Mais le principe, qui doit nous déterminer ici, ne peut être de passer toujours du connu à l’inconnu. Le code ne sera pas un livre de lecture, mais une œuvre à consulter, et dans laquelle la première partie, aussi bien que la dernière, implique l’existence de l’ensemble. On peut donc négliger entièrement ce principe et envisager seulement la question de la distribution des matières qu’on doit supposer connues. En établissant ainsi la préséance accordée aux institutions qui constituent la base du droit civil dans son ensemble, la personne et la famille, nous arriverons à constater que la seconde grande division du code doit comprendre la législation concernant les biens, dans ses deux parties, droits réels et obligations. Mais le droit des successions, étroitement uni à la famille, prend sa place immédiatement après le statut personnel, comme un complément de l’organisation des fondements mêmes du droit civil, eu égard à la suite des générations. Cet ordre des matières : Personnes, famille, successions, droits réels, obligations, est celui qui correspond le mieux à la tradition historique ; il pourra être adopté par la doctrine pour un exposé systématique de notre droit civil, bien mieux que la méthode généralement admise. La science moderne en ne donnant pas au droit des personnes et de la famille la place qui lui revenait a été amenée, par la-même, à le négliger. Les trois premiers livres nous donnent ainsi les parties qui, parentes du droit public, embrassent toute l’organisation des droits privés. Les deux derniers livres forment en quelque sorte la substance de cette organisation, le détail de ce qui a trait au développement de ces droits. La seconde question était celle de savoir s’il y avait lieu d’introduire dans le projet une partie générale. Nous l’avons résolue négativement, bien que la science du droit civil moderne et, avec elle, le code civil pour l’empire d’Allemagne en aient décidé autrement. Nous croyons que notre solution est celle qui répond le mieux à nos besoins.