La naissance de l’éco-conception
L’écolabel : équipement des marchés verts et compétition par les normes environnementales
Le cas du BAES sur le marché de l’installation électrique français. Ce chapitre présente dans un premier temps le modèle de l’écolabel et de ses différentes variantes, en montrant la manière dont il s’articule au régime d’éco-conception réglée. Il se poursuit par une étude de cas longitudinale relatant la genèse d’un nouvel écolabel NF Environnement dans le secteur des équipements électriques au cours des années 2000. Ce cas montre notamment que ce processus a été marqué par un mécanisme de compétition par la norme environnementale entre deux entreprises concurrentes (dont Legrand) qui développaient au même moment leurs capacités internes d’éco-conception des produits.
L’écolabel : un dispositif de signalement de la valeur environnementale sur les marchés en éco-conception réglée
Qu’est-ce que l’écolabel ?
Il existe quatre variantes d’écolabels. Leur logique commune est de réduire l’asymétrie d’information entre le consommateur et le producteur sur la qualité environnementale d’un produit, celle-ci fonctionnant comme un « bien d’expert » (Nadaï, 1997) dans la mesure où elle n’est pas vérifiable par le client. L’écolabel, et les méthodes de diagnostic sous-jacentes comme l’ACV, fonctionnent ainsi comme des « normes de vérité » ou des prescriptions (Hatchuel, 2005) permettant de construire des marchés de biens et services verts. Deux caractéristiques permettent en particulier de les différencier : le rapport à la réglementation (obligatoire ou volontaire), et l’inclusion ou non de cibles de performance environnementale attendues sur le produit, c’est à dire de cibles d’éco-conception. • Les écolabels obligatoires : étiquettes efficacité énergétique, étiquettes carbone et marquage « CE ». Ces labels qui découlent de directives européennes portent sur la phase d’utilisation de produits ayant un impact très significatif à cette étape. C’est le cas des « étiquettes efficacité énergétique », mises en place depuis les années 1990 (Directive 1992/75/CEE, remplacée depuis par la directive 2010/30/UE) sur les appareils électroménagers (réfrigérateurs, congélateurs, lave-linges…). Ce dispositif a été élargi depuis 2006 aux automobiles (étiquette sur la consommation d’essence et les émissions de carbone par Km) et les bâtiments (Diagnostic de performance énergétique par m2 , avec une échelle d’efficacité énergétique et une autre sur les émissions de gaz à effet de serre). La particularité de ces labels est de situer 98 la performance du produit sur une échelle à plusieurs niveaux (cf. dans les exemples cidessous, de A à G), avec des seuils de passage quantitatifs définis à partir d’une enquête technique et de marché. Ces échelles ont notamment pour but de faciliter la reconnaissance des produits éco-conçus en les situant dans les meilleures catégories (A et B). Dans une stratégie de compétition par la norme environnementale, les industriels les plus avancés sur l’éco-conception peuvent ainsi tenter d’influencer la définition des seuils de performance à atteindre pour avoir la note A ou B (ex. moins de 100g/km pour les émissions de CO2 d’une automobile pour la note A, et moins de 120g/km pour la note B)17 . Etiquette énergie pour un réfrigérateur, et étiquette carburant-C02 d’une automobile avec les seuils de CO2 A noter que pour les appareils ménagers consommateurs d’énergie (ex. réfrigérateurs, machines à laver), une directive européenne de 2009, la Directive ErP, constatant l’insuffisance de ces seuls dispositifs d’information pour inciter les entreprises à améliorer l’efficacité énergétique des produits, rend maintenant obligatoire leur éco-conception avant leur mise sur le marché européen18. Cette nouvelle directive, en combinaison avec celle sur 17 Pour accompagner le progrès technique, de nombreux produits ayant déjà évolué des classes G-E vers les classes A-B depuis le début des années 1990, la Directive 2010/30/UE prévoit en outre la création des catégories A + , A++ et A+++ pour rendre visible les meilleurs produits. Les évolutions des seuils de ces échelles informatives se feront également en lien avec les exigences de performances minimales par famille de produits prévues par la nouvelle Directive ErP (2009/125/CE). 18 Directive 2009/125/CE dite « Directive ErP » (« Energy-related Products ») « établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’éco-conception applicables aux produits liés à l’énergie ». Cette directive remplace la Directive 2005/32/CE dite « Directive EuP » (« Energy-using Products ») en la refondant. Elle se situe explicitement dans le cadre de la Politique intégrée des produits (considérant n°13) et s’appuie sur les concepts de cycle de vie et d’ACV. (Dossier sur le site de la DG Energy: http://ec.europa.eu/energy/efficiency/ecodesign/eco_design_en.htm et Directive ErP : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:285:0010:0035:fr:PDF) 99 l’étiquetage des produits (Dir. 2010/30/UE) créée en effet un dispositif renforcé avec des exigences de performance environnementale minimale obligatoires, et la possibilité de rendre visible les meilleurs produits pour les consommateurs19. Les stratégies de pionniers en écoconception pouvant cette fois être valorisées dans les comités de normalisation définissant les cibles de performance à atteindre pour chaque catégorie de produit20. Le label « CE » apposé sur le produit venant alors attester de sa conformité avec les exigences de ces normes, deux modes de preuve sont prévus en cas de contrôle par l’administration : la présentation du dossier d’éco-conception du produit mis sur le marché, ou bien la démonstration que l’entreprise a mis en place un système de management environnemental (par exemple de type EMAS) couvrant l’éco-conception (Article 8.2 et Annexe 5) . Les trois autres types d’écolabels se situent dans le cadre de démarches volontaires de la part des entreprises. • Les écolabels de type 1 (norme ISO 14024) Ces écolabels sont les plus anciens22. Ils définissent des critères de performance environnementale pour des catégories de produits très variées : papier, peintures, filtres à café, ordinateurs portables, aspirateurs etc. Ces critères ont un caractère sélectif : ils ne peuvent être atteints qu’à la suite d’une démarche d’éco-conception : l’annexe I du Règlement (CE) 66/2010 du label écologique de l’UE indique par exemple que les produits éligibles au moment de l’adoption d’un nouvel écolabel représentent les 10 à 20% meilleurs produits d’une catégorie du point de vue de l’environnement. Les cahiers des charges définissant les exigences de performance environnementale sont définis par des comités de produit associant 19 Les évolutions des seuils de ces échelles informatives (de A à G, et de A+ à A +++) se feront en lien avec les exigences de performances minimales par famille de produits prévues par la nouvelle Directive ErP (2009/125/CE). 20 La Directive ErP se situe dans un processus en 2 étapes : la phase d’écriture de la directive (Commission européenne, Parlement européen) qui débouche sur des exigences essentielles d’éco-conception des produits, puis le travail de définition des cibles de performance environnementales à atteindre par catégorie de produits avant leur mise sur le marché (avec le marquage « CE »). 21 A ce titre l’Annexe 5 de la Directive ErP fournit comme la norme ISO 14006 une définition (très) minimale de ce qu’est un Système de management environnemental orienté produit (ou « POEMS ») en s’appuyant sur le registre de discours du management de la qualité, et non sur celui de l’ingénierie de la conception ou du design par exemple : « Politique, Planification, Documentation, Vérification et Action corrective ». On retrouve ici l’analyse de Reverdy (2000), sur l’importance de la problématisation du management environnemental par les experts de la qualité. 22 NF-Environnement (http://www.marque-nf.com/pages.asp?ref=gp_reconnaitre_nf_nfenvironnement) a été créé en 1991 tandis que l’écolabel européen (http://ec.europa.eu/environment/ecolabel/index_en.htm) a vu le jour en 1992. 100 différentes parties prenantes (industriels, consommateurs, experts, pouvoirs publics) et sont délivrés par un organisme de certification officiel (ex. l’AFNOR en France). Ils résultent d’une approche multicritères de l’environnement et prennent en compte l’ensemble du cycle de vie des produits (voir ci-dessous l’exemple du cahier des charges de l’écolabel européen de l’aspirateur). Nadaï (2007) a montré que la définition de ces cahiers des charges pour un produit suivait une logique de compétition par la norme (sur le cahier des charges de l’écolabel) qui est d’autant plus intense que les secteurs présentent une hétérogénéité technologique et une diversité de modèles productifs entre industriels, chaque critère risquant de favoriser un groupe industriel au détriment d’un autre. Cahier des charges de l’écolabel européen de l’aspirateur 101 • Les écolabels privés ou écolabels de type 2 Ces écolabels recouvrent à la fois des démarches collectives (ex. : le label FSC pour les produits en bois provenant de forêts gérées de façon durable) et individuelles (ex. Monoprix, 3 Suisses ou Philips). Ces labels sont librement proposés par des entreprises, la définition des critères ne reposant pas sur une consultation multipartite comme pour l’écolabel de type 1. Pour éviter les abus liés à ces démarches d’auto-déclaration, une norme ISO (la norme ISO 14021 qui précise la définition et les exigences de 12 déclarations usuelles) et des recommandations ont été définies. Philips Exemple d’éco-logo de la société Philips • Les écolabels de type 3 (norme ISO 14025) Ces écolabels visent à fournir des informations sur les bilans d’ACV quantifiés des produits. Les labels de ce type standardisent des données et visent à fournir aux consommateurs les éléments d’une comparaison objective des performances environnementales. La technicité des informations produites peut cependant constituer un obstacle à leur utilisation par des consommateurs profanes. De plus, à la différence des écolabels officiels (de type 1), ce n’est plus ici le niveau de performance environnemental du produit qui est récompensé (le produit peut être de qualité environnementale moyenne), mais la qualité du diagnostic environnemental réalisé. La norme ISO 14025 prévoit en particulier que l’ACV réalisée soit l’objet d’une revue critique par les pairs avant publication. Ces écolabels de type 3 connaissent depuis peu un véritable essor pour les produits de grande consommation dans le monde23, à tel point qu’un groupe de coordination intergouvernemental 23 De multiples plateformes gérant la publication des écolabels de type 3 coexistent aujourd’hui dans le monde, comme par exemple : EnvironDec (http://www.environdec.com) en Suède qui a été pionnier sur ce thème avec les EPD (Environmental Product Declaration), le Sustainability Consortium en Amérique du Nord (http://www.sustainabilityconsortium.org) qui regroupe de nombreuses entreprises de commodités et du secteur de la grande distribution, le Ministère Français du Développement durable (voir la présentation de son initiative au point 3.2 dans ce chapitre), le programme Ecoleaf au Japon 102 informel réunissant les Ministères de l’environnement de plusieurs pays (Amérique du nord, Europe et Asie) s’est mis en place en 2011 pour coordonner au niveau mondial les initiatives de nouveaux PCR (Product Category Rules, qui définissent les exigences d’information pour chaque catégorie de produits)24 . Exemple de d’écolabel de type 3 avec bilan ACV sur le tableau de droite (source : EnvironDec) Le PCR peut faire l’objet d’une stratégie sur la norme dans la mesure où ce document s’appliquera ensuite à toutes les entreprises du même secteur : selon les frontière du système à (http://www.jemai.or.jp/english/ecoleaf/index.cfm). La Commission européenne a récemment initié une démarche pour développer ses propres standard (le Product Footprint Category Rules : http://ec.europa.eu/environment/eussd/product_footprint.htm). A noter également les dispositifs proches comme par exemple le GhG Protocol sur les Bilans de Carbone des produits (http://www.ghgprotocol.org) ou le Global Footprint Network (http://www.footprintnetwork.org/en/index.php/GFN) 24 Ce Groupe de travail a notamment fait l’objet d’une table ronde à Zurich en Avril 2011 (2nd PCR Rountable : http://www.pcf-world-forum.org/2011/02/2781 ) 103 prendre en compte sur le cycle de vie ou la qualité attendue des données ACV, les industriels les plus avancés dans la maîtrise de l’ACV peuvent avoir un certain avantage sur leurs compétiteurs. La différence se fait dans ce cas sur l’aptitude à fournir des ACV de qualité et à coût maîtrisé pour tous les nouveaux produits mis sur le marché. L’essor de l’écolabel de type 3 sur le marché de la consommation finale : le projet français d’expérimentation de l’étiquetage environnemental multicritère Initialement envisagé comme un article de la Loi « Grenelle 2 » (promulguée le 12 juillet 2010), la généralisation de l’étiquetage environnemental des produits a finalement été remplacée par une démarche d’expérimentation d’un an (à partir du 1er juillet 2011) coordonnée par le Ministère français du Développement Durable (notamment pour l’évaluation de la démarche). Plus de 160 entreprises (potentiellement près de 1000 produits, dans de multiples secteurs : alimentation, textile/habillement, équipement de la maison, hygiène/beauté…) se sont engagées dans ce programme volontaire, qui comportera un étiquetage multicritère (avec une approche de cycle de vie : bilan de carbone, eau, air et biodiversité) ainsi que des innovations sur l’affichage (en magasin, mais aussi sur internet fixe et mobile avec par exemple le nouveau service en développement GreenCode Info). 25 Casino a par exemple lancé en 2008 l’initiative « Indice Carbone » pour informer ses clients sur le bilan de carbone (cycle de vie) de ses produits (sur les emballages de 400 produits Casino en 2011). Ce diagnostic a depuis été enrichi par une information complémentaire sur le bilan d’eau et la pollution des eaux, accessible sur Internet par Smartphone (voir exemple ci-dessous).
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