Le sermon sur la Montagne
Le sermon sur la Montagne est un recueil du discours que le Christ prononça devant ses disciples sur la Montagne ; Saint Mathieu s’inspira de l’Evan gile de Marc instituera ce qui est et ce qui saura le pilier de la religion chrétienne. Joseph Ratzinger BENOIT XVI, montre dans son ouvrage Jésus de Nazareth que le contenu du sermon demeure l’essence de la religion chrétienne. BERGSON voit, dans ce moment captivant, le passage de la société closeà la société ouverte. En Hébreu, Jésus désigne Dieu sauve, Il est venu libérer l’homme du joug de la société, lui indiquer le chemin où il pourra réaliserson être. En ce sens, le sermon témoigne de l’idée deauveurs de Jésus et rend compte de la nouvelle Alliance, par laquelle l’humanité doit s’engager afin d’être sauvée. Elle s’annonce comme la dernière chance, pour l’humanité, de se racheter auprès du Père.
Nous constatons, dans le sermon sur la Montagne, un fait qui est commun dans toutes les religions bibliques, à savoir le judaïsme, le christianisme e t l’islam : la Montagne. Elle désigne l’élévation, l’ascendance. Cela revient à dire que le sermon, lo in d’adopter, de faire sienne, la réalité existante, la transcende de cette sorte qu’elle n’a aucun pouvoir d’achopper l’homme de se communier avec le divin. De là, on voit nettement que ces trois religions on t en commun un point de départ. Cela nous amène à se demander comment se fait-il qu’aujourd’hui, toutes les trois, sont si loin l’une de l’autre. De plus, de la Montagne, on assiste à un mouvement dialectique : l a montée et la descente. C’est dans et à travers ce mouvement dialectique que DIEU manifestant sa volonté Explose, Brise le joug social et L’ouvre à l’humanité. En effet, DIEU est source de l’ouverture de la société humaine. BERGSON s’accorde à dire que ce sermon illustre cette ouverture du fait que le Christ nous lègue l’Evangile et non pas une Loi.
La réalité du Sermon sur la Montagne réside dans cefait qu’il n’ordonne rien, ne commande rien, il indique le chemin. Joachim Jérémias définit la oiL comme :
« La Loi laisse l’homme à ses propres forces et lui demande de les mettre en œuvre au maximum »75.
Tandis que l’ Evangile :
« Place l’homme devant le don de DIEU et lui demande de faire de ce don ineffable le vrai fondement de sa vie »76.
Ceci étant, le Christ proclame, dans ce sermon, que:
« Ne croyez pas que je suis venu défaire la Loi et les Prophètes : je ne suis pas venu pour défaire, mais pour accomplir » .
En effet, DIEU – Le Père envoya son Fils-Unique pour finir et accomplir sa volonté. On trouve dans ce verbe accomplir un sens dont sa réalité résume la mission de Jésus. Il désigne l’achèvement,al mise en termes de la Loi divine. Jésus vient achever la Loi des Prophètes, achever le Judaïsme. Le Christianisme se constitue comme l’achèvement du judaïsme. D’ailleurs, BERGSON affirme que le christianisme est l’achèvement du judaïsme. Dans cet achèvement, Jésus ouvre la société des hommes à la société céleste, il fait absorber la Loi dans Evangilel’. En ce sens, Jésus s’appuie sur la Loi des Prophètes pour affirmer l’Evangile. BERGSON transpose cela dans la réalité sociale et affirme le passage du clos à l’ouvert. Il dit que :
« La morale courante n’est pas abolie ; […] mais on l’intègre dans une méthode plus générale, comme il arrive quand le dynamique ésorbe en lui le statique, devenu un cas particulier »78.
De là, les oppositions qui affirment l’avènement de l’Evangile. Jésus ne refuse pas la Loi antérieure mais d’elle proclame l’Evangile. Or de la Loi à l’Evangile, l’écart est important, le contenu du premier est diamétralement opposé à la seconde, l’Evangile se veut l’opposé de la Loi. Dans la perspective bergsonienne, le clos est l’opposé de l’ouvert. En ce sens, la Loi est le clos chez BERGSN, l’Evangile l’ouvert. Cette comparaison permet de di re que les oppositions du sermon sur la Montagne sont l’expression d’opposition entre la société close et la société ouverte. La première enferme l’home dans cette institution comme la Loi des prophètes exhorte l’homme à rendre coup par coup, l’Evangile se résout à être clément vis-à-vis des pauvres, ell est ouverte. A cela, BERGSON explique que :
« L’acte par lequel l’âme s’ouvre a pour effet d’él argir et d’élever à la pure spiritualité une morale emprisonnée et matérialiséedans des formules : celle-ci devient alors, par rapport à l’autre, quelque chose comme un instantané pris sur un mouvement. Tel est le sens profond des oppositions qui se succèdent dans le sermon sur la Montagne : « On vous a dit que… Et mo i je vous dis que… » D’un côté le clos, de l’autre l’ouvert » 79.
En ce sens, les oppositions du sermon indiquent la voie où l’homme doit sans obstacle, rencontrer le Père. Il nécessite la soumission et une pratiquedes Béatitudes et tout ce que le Christ a recommandé. La nature de ce dernier est de faire en sorte dès ici bas, la vie terrestre, que l’homme fait la connaissance de Dieu. C’est pourquoi Joseph Ratzinger, BENOIT XV I, dit que, pour atteindre cet état, il faudrait faire une « conversion »80. Cette dernière vient du grec µ ετάvoiα est parfois traduit par pénitence ou repentance. Il exprime un changement dont le message du Christ sera le fondement de cette vie nouvelle. Il est, en ce sens, à reconsidérer les Béatitudes comme la clé du royaume du Père. Dans l’ Evangile, les Béatitudes commencent par le terme beati qui désigne les bienheureux. Qui sont ces derniers, alors ? Ce sont les pauvres et les démunis. Il faut, cependant, leur prêter mains fortes carils sont des élus pour le Royaume de DIEU. Et Le Pape ajoute qu’en suivant cela, nous réalisons du même coup notre être puisqu’on« fait apparaître un univers plus pur et plus élevé; notre existence se met alors en bon ordre »81. Nous voyons, en fait, que le sermon sur la Montagne se constitue comme un discours de rachat pour l’humanité, il est une seconde chance pour elle de se rapprocher du Père. La perspective bergsonienne est que la société close, à un momentdonné, doit être dépassée outrepassée pour redonner à cette institution un nouveau statut lequel sera b asé sur l’amour du prochain et non pas sur l’égoïsme et la haine. Cette ouverture permet à l’humanité de réaliser son être et cela dans la personne du Père. Or, la mystique, comme réalité spirituelle, assure et réalise cette tâche.
Définition de la mystique
D’ordinaire, la mystique est un concept de la théologie. Elle est un pilier fondamental de cette discipline. Elle désigne l’appréhension d’un ordresupérieur. Autrement dit, le mystique est l’union de l’homme avec le divin. Alors que son étude étymologique révèle qu’elle est ce qui est caché, ce qui n’est pas pris au regard de l’homme, elle dépasse l’expérience sensible de celui-ci. Ce concept, en fait, vient du grec µ u6τρiov, µ u6τikÓs, il est « ce qui déborde les schèmes de l’expérience ordinaire »82, il interpelle d’en haut, l’intelligibilité que notre intelligence ne peut pas appréhender. En ce sens, la mystique est le mouvement spirituel par lequel l’âm e prétend atteindre DIEU. En d’autres termes, elle est : « Un mouvement pour se dépasser en direction d’un objet particulier, ni simplement profane, ni éternel, mais situé au-delà des limites de l’expérience normale et empirique »83.
Ainsi, nous saisissons le fil conducteur de la mystique : elle est un mouvement qui élève l’âme humaine où celle-ci s’abandonne, s’intègre et se fond en Dieu. Il devient un mystique, tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait dépasse l’intelligence mais aussi acquiert un comportement hors norme et aspire à l’imitation.
En effet, dans sa philosophie morale et religieuse, BERGSON s’intéresse à cet état de la mystique où le mystique devient un modèle, un archétype pourles autres. Cette ambition lui devient claire après la lecture de l’ouvrage majestueux d’Henri Delacroi x, Etudes d’histoires et de psychologie du mysticisme. Il voit là, le premier jalon où d’autres pourront suivre pour percer le mystère des mystiques. Quelques années plus tard, il donneles deux sources de la morale et de la religion. Nous voyons que la mystique est pour nous détacher du monde sensible, de l’expérience ordinaire pour nous fondre en DIEU. BERGSON pense que la mystique chrétienne est parfait à assumer cette tâche car le Père, grâce à sa grâce et sa volonté, nous délivre de la pression sociale en nous aimant dans un amour infini et que nous finissons par être sauvés par lui. Saint Jean de la Croix traduit cela parles nuits. Selon lui, l’union de l’homme avec le Père s’effectue en trois nuits : 1 er. La nuit des sens : cela veut dire que l’homme doit faire abstraction du monde empirique, il doit nier l’expérience ordinaire pour une autre. 2e. Le chemin où l’âme doit emprunter pour s’unir ave c DIEU est une nuit car il est un chemin engageant la personne toute entière de l’homme et donc la foi de celui-ci et le divin. 3e. Cette troisième étape est l’union de l’âme avec DIEU, elle se traduit comme incompréhension et infiniment parfait par l’âme. De là, nous comprenons que l’uni on avec DIEU est l’abandon de l’apport de la société, le nier est la meilleure façon d’atteindreDIEU. Il dit, cependant, pour affermir cela que :
« Ces trois nuits doivent passer par l’âme, ou plut ôt l’âme doit passer par ces nuits avant d’atteindre l’union avec DIEU » 84.
Par ailleurs, la mystique occupe, dans la philosophie bergsonienne, une place importante. Elle est une méthode philosophique. Cela sous-entend qu’elle suit un code spécifique et scientifique afin de démontrer le réel. Ce code n’est rien d’autre les normes que cette discipline exige à savoir la cohérence, la logique de l’argumentation et les preuves pour illustrer cette argumentation. BERGSON est convaincu et persuadé que la mystique répond à cesexigences. Elle prend pour fait et donc de domaine de recherche le témoignage des mystiques. En ce sens, ce n’est pas dans l’expérience de BERGSON que l’auteur de l’Evolution créatrice épuise ces témoignages mais à travers des grands mystiques chrétiens. Henri Gouhier qualifie cela de métaphysique habitée.C’est dans et par cela que l’absolu à savoir Dieu est appréhendé. Il va sans dire que d’importantes questions essentielles même dans la religion chrétienne, sont ici ignorées ou exclues de ce dessein. BERGSON, conscient de cela, montre que l’importance est que la philosophie ne peut pas empiéter le domaine de la foi et pour y rentrer, il faut un instant suspendre ce dogme et la foi afin que la mystique puisse sonder le Père. Pour affermir cela, il dit, à Jacques Chevalier, ceci : « Je tente d’introduire la mystique comme procédé de recherche philosophique, je suis tenu de démontrer qu’il n’y a que solidarité ntre l’acceptation de cette méthode de recherche et la foi à un dogme quel qui soit. Et le seul moyen de le montrer est de supposer un instant le dogme aboli, et de constater que la méthode conserve toute sa valeur, toute sa force »85.
Dès lors que la mystique ne joue pas sur le terrain de la foi ou à un dogme mais de la philosophie, il convient de dire que l’ambition de BERGSON est de montrer que l’intelligible, le réel ou l’absolu peut être sondé, appréhendé par une intuition mystique. Il va sans dire que les formes élémentaires dela religion chrétienne sont laissées dans l’Eglise et fermées à doubles clés. Le péché, la grâce, la résurrection, l’ascension et l’Eglise ne sont pas, cependant, dans l’optique de la philosophie, ils sont du domaine de la théologie. Cet auteur s’abstient à s’aventurer dans ce domaine. Voilà pourquoi, expressément voulu, il ne mentionne nulle part ces formes élémentaires. Dans cette perspective, la mystique est à l’instar du doute cartésien et de la maïeutique socratique. Elle se veut être scientifique. C’est pourquoi BERGSON la distingue de la foi chrétienne. Dans son dernier ouvrage de 1932, il insiste sur l’importance de considérer la mystique du domaine de la philosophie. Il dit que : « Dans le premier cas, il resterait nécessairement à l’écart de la philosophie, car celle-ci laisse de côté la révélation qui a une date, les institutions qui l’ont transmise, la foi qui l’accepte : elle doit s’en te nir à l’expérience et au raisonnement. Mais, dans le second, il suffirait de prendre le mysticisme à l’état pur, dégagé des visions, des allégories, des formules théologiques par lesquelles il s’exprime, pour en faire un auxiliaire puissant de la recherche philosophique. De ces deux conceptions des rapports qu’il entretient avec la religion, c’est la seconde qui nous a paru s’imposer » 86.
Dans l’optique bergsonienne, la mystique est différente de la mystique de la théologie. Il veut, cependant, en faire un instrument de la philosophie. Il aura, pour tâche, de découvrir l’absolu et de faire faire fondre l’homme en Dieu. Cela par une élévation spirituelle où l’homme s’abandonne à Dieu. La réalité de cette conception est que la philosophie,en empruntant la voie du mysticisme, peut découvri l’absolu au lieu de se résigner dans la formule scolastique87. Dans cette perspective, la philosophie n’est plus une servante, elle est apte à découvrir des vérités éternelles. Nous voyons que la conception bergsonienne de la mystique est l’œuvre de la philo sophie. Elle nous fait découvrir l’absolu ou Dieu.
Bref, la réalité de la société close réside dansnsoconservatisme. Ce dernier illustre le caractère vicieux et enfermé dont cette société fait figure elle; dispense à l’homme, l’obligation morale et la religion. L’homme demeure un simple instrument que la société manie à sa guise. Il doit, cependant, se résigner aux limites assignées par elle. Il devientsemblable aux hyménoptères. Cette naturalité est fondamentalement discontinue. Cette discontinuité,pourtant, permet à BERGSON de dire que la société dite close est infra-intellectuelle ou infra-rationnelle. Cette attitude, trop subalterne ne permet pas à la mystique de défier la matière. Elle est, par conséquent, hors du champ de la mystique. Alors que la société dite ouverte est diamétralement opposée àettec conception, elle st mystique.
