La musique originale face aux évolutions du secteur de la musique à l’image
Complémentarité entre musiques originales et préexistantes
Chaque œuvre cinématographique requiert des besoins bien spécifiques en terme de musique. Certains réalisateurs ou certaines œuvres pourront n’accepter que de la musique originale tandis que d’autres n’admettront tout simplement pas la moindre intervention musicale. Dès lors, il sera difficile de parler d’autre chose que de tendances générales lorsqu’on évoquera un recours plus fréquent à la musique préexistante dans le cinéma français. Si Séverine Abhervé dans Musiques de films, nouveaux enjeux, décrit les musiques originales et additionnelles comme étant « en concurrence »22, nous verrons ici que les apports artistiques ou narratifs de ces deux types de musique peuvent être complémentaires. . La musique originale face aux évolutions du secteur de la musique à l’image 29 Commençons par nous intéresser aux propriétés de la musique originale. Comme nous l’avons vu lorsque nous avons évoqué les différents outils à disposition du superviseur musical, la première grande qualité de la musique originale est la notion d’identité qu’elle peut dégager. De par son matériau thématique ou par les timbres qu’elle pourra contenir et qui s’inscriront dans la durée d’un film, la musique originale donnera à une œuvre audiovisuelle une singularité, une unité artistique. Cette unicité participera à la création de l’univers voulu par le cinéaste. La musique originale sera alors un élément constitutif de l’œuvre. La seconde grande vertu de la musique originale est certainement sa malléabilité. Sur un plan macroscopique, la musique originale, pensée en fonction d’un univers, d’une direction artistique ou esthétique, pourra potentiellement fonctionner avec n’importe quelle œuvre cinématographique dans laquelle elle s’inscrira. Cette capacité d’adaptation n’est pas présente dans la musique préexistante et certains genres, par exemple le film historique ou de science-fiction, pourront refuser l’intégration de ce type de musique. Au niveau microscopique, la malléabilité de la musique originale permettra de suivre de près l’action présente à l’image. Qu’il s’agisse d’orchestrer la chorégraphie d’une scène de combat ou de poursuite ou bien d’interagir et de créer un dialogue avec l’image – de manière sobre ou à la façon du mickey mousing, la musique originale pourra donc s’indexer sur la matière filmique avec un très haut degré de précision. L’autonomie de la musique préexistante par rapport à l’œuvre filmique qu’elle incorporera pourra être responsable de ses qualités comme de ses limites. Qu’elle soit de source diégétique ou non, la musique préexistante sera le témoignage d’un cadre spatio-temporel. Contrairement à la musique originale qui aura une fonction de création dans la mise en scène d’un film, la musique préexistante aura plutôt une fonction d’inscription de ce dernier dans un espace, une époque. Pour Gilles Mouëllic dans La musique de film, la musique préexistante, du fait qu’elle contient des métadonnées liées à son histoire et à son contexte de parution, pourra être utilisée par le cinéaste comme un indice d’appartenance à une certaine communauté, dans laquelle le spectateur trouvera un écho ou un sentiment d’appartenance.
Changements dans la façon de composer la musique originale en France
Le raccourcissement des délais accordés aux compositeurs de musique à l’image représente sans doute le principal changement dans la façon de composer des musiques originales. Renaud Barbier, compositeur, nous raconte que, s’il a l’impression d’être appelé de plus en plus tôt dans le processus de création d’un film, les délais de composition qui lui sont impartis eux sont de plus en plus courts. Le discours de Marc-Olivier Dupin, compositeur et figure phare de la musique en France, lui est plus pessimiste. Il estime au cours d’une discussion organisée autour des nouveaux enjeux de la musique à l’image, que la musique arrive de plus en plus tard dans la mise en place d’un film. Il déclare ainsi que celle-ci devient « une variable d’ajustement pour la fabrication d’un film ». Même son de cloche pour la compositrice Béatrice Thiret qui, au cours du même débat explique que les délais accordés aux compositeurs sont très brefs. Pour elle, le temps alloué à un compositeur peu toutefois dépendre de la notoriété de ce dernier ou de la qualité de ses relations avec le réalisateur. Si l’entrée en jeu des compositeurs au cours de la chaîne de production semble pouvoir varier, le raccourcissement des délais qui leur sont accordés semble être devenu la pratique habituelle chez les professionnels. Au-delà des délais de composition, la place de la musique au sein d’un film a elle aussi évolué. Pour Bruno Tarrière, ingénieur son, la musique dans le cinéma français est cantonnée à un rôle très discret. Elle peut être de la sorte mise en retrait au mixage et ses interventions rester assez ponctuelles. Dans un entretien accordé à Sourdoreille, Pascal Mayer confirme lui aussi l’approche timorée du cinéma français en matière de musique « La musique peut faire peur en France, on entend dire « ça amène du pathos. » » . Dans une rencontre organisée par l’UCMF et retranscrite sur le site de l’IRMA, Pascal Mayer tente d’expliquer cette prudence des réalisateurs français vis-à-vis de la musique originale par la peur de ces derniers face aux 24 Sourdoreille, « Qu’est-ce que la supervision, Pascal Mayer ? », art. cité. 32 répercutions narratives et artistiques qu’elle pourra avoir sur leurs œuvres : « c’est difficile de « donner les clés » d’un film à un autre collaborateur artistique. » 25 Pourtant historiquement et juridiquement considéré comme le co-auteur d’une œuvre cinématographique, le compositeur de musique originale semble aujourd’hui victime d’un manque de reconnaissance ou de prise en considération. Du fait qu’on fait appel à eux tardivement ou plus simplement à cause des convictions d’un réalisateur, les compositeurs ne prennent pas toujours part au spotting, moment où sont délimités les interventions musicales d’un film. Afin de communiquer leurs intentions au compositeur, il est devenu courant pour les réalisateurs d’utiliser des temp-tracks, des musiques préexistantes placées temporairement aux différents moments où la musique est souhaitée. Ces temp-tracks, auront une influence considérable sur le travail du compositeur. Elles pourront d’abord permettre au réalisateur et au compositeur de communiquer sans nécessairement devoir s’exprimer par le langage. Ces deux partenaires n’ayant pas toujours une culture commune en terme de musique ou de cinéma, le dialogue peut parfois être difficile. Dans le cas de délais de composition brefs, les temp-tracks peuvent ainsi représenter un précieux gain de temps. L’utilisation de ces musiques a en revanche de nombreuses limites. Premièrement elles brident la qualité d’auteur du compositeur. En demandant à un compositeur de reproduire un certain style musical ou une certaine forme, les libertés artistiques de ce dernier seront drastiquement réduites. Les temp-tracks auront aussi un effet sur les attentes du réalisateur. Généralement, du fait des nombreuses écoutes qu’il fera de ces musiques au cours du montage, le réalisateur sera sujet au phénomène d’accoutumance. Il pourra alors être difficile pour le compositeur d’arriver à rejoindre les attentes du réalisateur sans reproduire à l’identique et en se démarquant de la musique utilisée en tant que temptrack. Dans un débat retranscrit dans Musique de films, nouveaux enjeux, Thomas Jamois, superviseur musical, raconte qu’il arrivera que des réalisateurs finissent par demander l’obtention des musiques utilisées temporairement.