La mort en mots : parler de sa mort avec un résident en EHPAD

La mort en mots : parler de sa mort avec un résident en EHPAD

Quels objectifs poursuit­on en parlant de sa mort avec un résident d’EHPAD ?

Avant d’aborder les questions pratiques (Avec qui? Quand ? Comment ?…), il me semble nécessaire d’analyser les raisons qui poussent tel membre de l’équipe à parler de sa mort avec un résident ; ainsi que les raisons qui peuvent pousser un résident à en parler. Ces raisons sont variées et nombreuses. J’ai choisi de les présenter dans un tableau car les objectifs de l’équipe se lisent en miroir des objectifs des résidents. Objectifs du point de vue de l’équipe  Objectifs du point de vue du résident Coller à l’idéal normatif  La littérature et les médias nous enjoignent de parler de la mort avec les patients, les résidents, les malades, les personnes âgées… Nous sommes tenus de leur dire « la vérité », de les interroger et de les informer. Dans les recommandations de bonnes pratiques professionnelles (Cf Annexe 2), par exemple, il est   demandé   d’ « aborder   avec   le   résident,   au cours de son séjour dans l’EHPAD et selon un mode   de   communication   adapté   si   besoin,   le sujet de son décès. » 8 Coller à l’idéal normatif En parallèle, les patients sont pressés de parler de leur mort. «  Il y a un idéal normatif véhiculé largement par les médias : « Pour bien mourir, il faut parler de sa mort et dénouer ce qui reste problématique »,   on   attend   du   mourant   qu’il puisse parler de sa mort et qu’il l’accepte. » 10    Parmi les résidents de l’EHPAD où je travaille, plusieurs m’ont dit à propos de la mort, comme Mme Du. « Il faut en parler. […] Il faut aborder ce sujet. Il faut être lucide. ». Mme De., a ajouté « Il faut en parler, mais pas tout le temps ! » Recueillir et donner des informations Toujours dans les recommandations de bonnes pratiques, on nous demande de poser un certain nombre de questions au résident : « A­t­il écrit des   directives   anticipées   formalisées   ?   A­t­il désigné une personne de confiance ? A­t­il des volontés   particulières   non   formalisées   en   cas d’aggravation de son état de santé ? Au sujet de ses funérailles ? De rite particulier en rapport avec   sa   religion   ou   sa   culture   ?   A­t­il   des volontés particulières vis­à­vis de ses proches ? A­t­il fait un contrat obsèques ?… » 8 Ces   informations,   partagées   avec   l’équipe, doivent nous permettre d’accompagner au mieux le résident, en tenant compte de ses souhaits, à la fin de sa vie. L’accompagnement de sa famille peut en être grandement facilité aussi. Il est nécessaire également, dans l’échange avec le   résident,   de   répondre   à   ses   questions   en l’informant   sur   les   traitements,   les   soins,   les partenariats   (HAD,   Équipe   Mobile   Douleur, Réseau de Soins Palliatifs et autres) spécifiques à   la   fin   de   vie.   Expliquer   au   résident   ce   qui Donner et recueillir des informations A   l’occasion   de   ce   travail,   j’ai   demandé à quelques   résidents   de   mon   EHPAD   ayant   des capacités cognitives préservées, s’il leur semblait important de parler de la mort (Cf Annexe 3). Ils ont profité de cette occasion pour me donner des informations importantes et utiles : Mme Du. par exemple a dit « Il faut aborder ce sujet pour préparer son départ. J’ai réglé toutes mes affaires. » Elle a ajouté « J’ai peur d’être seule dans les derniers moments. J’aimerai avoir quelqu’un de ma famille. On a beau dire, on a peur de la mort. Je ne veux pas mourir toute seule. Mon  neveu, c’est mes yeux. » Mme Sc. « Il faut que je pense à vous donner les papiers   pour   le   contrat­obsèques   et   mes directives anticipées. »  Pour Mme B. «  Je souhaite être incinérée. »  Mme De. «   Ma place est à Guignes avec mon mari, mes enfants le savent. » et «  Je veux partir très vite, mais pas souffrir. » Mr   P.   « J’ai   mon   caveau   de   fait. »   puis «J’aimerai partir dans le calme. » Il entendait par 13 pourra être mis en place, c’est peut­être déjà le rassurer, au moins sur des questions techniques. là « sans préoccupations ».  Toutes ces réponses témoignent du fait que les résidents ont réfléchi à leur mort, aux derniers moments de leur vie, aux dispositions à prévoir… A   nous   de   recueillir   ces   informations,   de   les noter et d’en tenir compte le moment venu. Écouter les angoisses et les projets, rassurer… « L’écoute   de   la   personne   malade   n’est   pas seulement   l’occasion   de   recueillir   des informations   ni   l’opportunité   de   faire   croître cette relation soignant­soigné […]. Elle a aussi une   fonction   contenante   pour   le   malade,   quel que soit le rôle de chaque écoutant. Envahi par ses   angoisses,   mais   se   sentant   entendu,   le malade peut mobiliser de nouvelles ressources pour rester acteur de son cheminement. » 10 Selon   David   Taccoen,   « Les   résidents   nous disent souvent qu’ « ils voudraient partir ». Il est nécessaire   « de   recevoir   la   parole   [de   la personne âgée, d’avoir] une attitude d’écoute et de   réfléchir   avec   le   résident   sur   pourquoi   il évoque cela ? Que se passe­t­il ? Et lui montrer qu’il a de la valeur à nos yeux. » 11 Geneviève Mora ajoute à propos de la rencontre entre le soignant et le résident : « N’avons nous pas à offrir à ces exclus que sont les personnes âgées en fin de vie le miroir de notre regard, ce miroir   où   ils   pourraient   retrouver   leur   vrai visage,   leur   dignité   et   peut­être   aussi   leur solitude   d’êtres   humains   uniques   absolument ? Mais une solitude que peut, que doit ici, rompre la rencontre avec d’autres humains. » 6 Ici,   la   personne,   âgée,   malade,   ambivalente parfois,   peut   nous   confier   ses   angoisses,   ses souffrances et ses interrogations. Notre mission est d’abord d’être avec elle, de l’écouter, de la regarder   et   de   lui   apporter   du   réconfort   si possible. Il s’agit bien là  de soigner car notre présence   et   notre   écoute   aident   le   résident   à vivre. Parler   de   sa  mort   avec   le   résident   c’est  aussi l’interroger sur ses projets et en discuter avec lui. Confier ses angoisses, ses doutes, ses projets… Voilà ce que nous disent les Recommandations de   bonnes   pratiques :« Les   échanges   avec   les résidents autour de la mort, la leur et celle des autres,   leur   permettent   d’exprimer,   s’ils   en ressentent le besoin, leurs doutes, angoisses et interrogations. » 8  Mme Du., me confiait par exemple : « Je n’ai pas envie de mourir. On lutte toujours. Ça dépend de la vie qu’on a eu avec son conjoint. » puis « Ton passage se termine. Ta route se termine. »  Agnès Leclair cite une résidente qui parle de sa mort :   «Ça   ne   m’effraie   pas   de   mourir,   au contraire: je serai débarrassée de ce que je vis, je débarrasserai   les   miens   aussi.   C’est   gai   pour personne de venir ici»12 Souvent, quand un résident souhaite nous parler de sa mort, il commence par nous parler de sa vie.   « Le   fait   de   se   raconter   peut   restaurer   le sentiment d’exister. » 10 Parfois,   certains   résidents   malades   ont simplement besoin d’être plaints et compris : « Il y   avait   certains   moments,   après   de   longues souffrances, où Ivan Ilitch, si honteux qu’il fût de se l’avouer, avait surtout envie que quelqu’un le   plaigne   comme   un   enfant   malade.   Il   avait envie d’être cajolé, embrassé, qu’on pleure un peu sur lui. » Pour les résidents, se confier c’est « Simplement être sûrs qu’ils ne seront pas abandonnés, qu’ils sont encore précieux aux yeux des soignants et des proches. » 

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Avec quel résident parler de sa mort ? 

 En débutant mes recherches, je me suis posée beaucoup de questions. A qui faut­il parler de la mort, de sa mort ? Aux résidents orientés et communicants ? Aux résidents déments ? Aux mourants ? Aux personnes âgées atteintes de maladie grave et incurable ? Aux résidents qui en parlent eux­mêmes ?… Finalement, la mort étant notre destin commun à tous, je pense que tous les résidents sans distinction ont leur avis sur le sujet et peut­être le besoin d’en parler. Or, comme nous l’avons vu, les EHPAD accueillent une très grande proportion de personnes âgées atteintes de troubles cognitifs avec lesquels parler est une difficulté.  Reste donc la question très compliquée des résidents atteints de la maladie d’Alzheimer ou de pathologies apparentées. Ils ont des troubles cognitifs et ils sont désorientés. Est­il nécessaire de parler de la mort avec eux alors que certains se donnent 40 ans quand on les interroge sur leur âge ? Alors que certaines se croient encore à la maison et cherchent partout leur défunt mari ? Quelle réponse attendre d’eux ? Des propos incohérents, incompréhensibles ? On se rend bien compte à travers ces questions que « des troubles neuro­psychiques […] amènent parfois l’entourage à porter un regard disqualifiant sur la personne. » 10 En effet, « souvent, le sujet atteint de démence « ne sait plus » le contenu conceptuel des mots, il perd une expression verbale organisée ou n’a plus la force, trop épuisé, trop angoissé, d’articuler une parole intelligible, mais toujours, il sait ce qu’il ressent. Il y a là sa vérité. » 10  Il est donc nécessaire de le rejoindre, d’être à son écoute et d’essayer de le comprendre.  C’est pourquoi, je souhaite faire porter ce travail aussi bien sur la parole échangée avec les résidents ayant des capacités cognitives préservées qu’avec ceux atteints de troubles cognitifs. Nous verrons par la suite comment faire pour rejoindre chacun.

Quand peut­on parler de sa mort avec un résident? 

La question est de savoir quel est le moment opportun pour parler de sa mort avec un résident. Mes recherches ont abouti à des réponses nombreuses et contradictoires.   a­ A l’arrivée dans l’EHPAD Dans la Résidence où je travaille, le « contrat obsèques » figure parmi les documents exigés dans le dossier administratif d’admission. Voilà qui a le mérite d’annoncer clairement la couleur ! Et pour ceux qui n’auraient pas compris le message, le jour de la signature du contrat de séjour, la Directrice   Adjointe leur présente un formulaire vierge de directives anticipées… On imagine les sentiments des résidents qui, à peine arrivés, sont sommés de penser à leur mort. Marie de Hennezel le décrit en disant : «  Lorsqu’on leur pose la question des directives anticipées à leur entrée dans la résidence, [les résidents] ressentent cette question avec une rare violence. » 15 Mme Du, résidente que j’ai interrogée, explique que « si on en parle au début, on aura l’impression d’avoir été mis dans un mouroir. Il faut pas qu’on prenne la Résidence pour un mouroir. C’est un endroit où on vient finir sa vie tranquillement. » L’arrivée de la personne âgée en EHPAD ne semble donc pas être le meilleur moment pour parler de sa mort. Nous risquons d’effrayer le résident et de lui donner une mauvaise image de la maison de retraite.  Et pourtant, il m’est arrivé à deux reprises d’être informée par la directrice adjointe que tel résident nouvellement arrivé souhaitait rédiger ses directives anticipées. Je les ai rejoins quelques jours après  pour en discuter avec eux et nous avons écrit ensemble leurs souhaits. b­ Au moment de la rédaction du projet de vie personnalisé En EHPAD, il est recommandé de rédiger ce projet de vie dans les trois mois qui suivent l’entrée du résident ; puis de le réactualiser tous les ans, ou tous les six mois pour les personnes vivant en Unité Alzheimer. Le projet personnalisé doit être préparé avec le résident, puis faire l’objet d’une réunion avec l’équipe, le résident et sa famille s’il le souhaite. Une fois le document rédigé, il est signé par le résident qui en conserve un exemplaire. Il est vrai que la rédaction du projet personnalisé est un temps de rencontre privilégiée avec le résident. C’est l’occasion de lui demander ce qui pourrait être mis en œuvre pour améliorer son séjour et d’écouter ses projets. Les projets en question peuvent sembler très modestes : changer de place  à  table, ne plus  être réveillé  au petit matin pour un changement de protection, aller se recueillir sur la tombe de son mari, trouver des partenaires pour jouer au Scrabble… De plus, les recommandations de bonnes pratiques professionnelles ajoutent à ce projet la dimension de la fin de vie: « Que le résident décède dans l’EHPAD de façon attendue ou inattendue ou qu’il soit transféré à l’hôpital dans une phase d’aggravation, l’accompagnement de la fin de vie est intégré dans le projet personnalisé du résident dès son élaboration et tout au long du séjour » . Frédérique Josse pose la question « A quand le projet de mort ? » 2 Cette question peut sembler brutale mais je pense que les échanges entre l’équipe et le résident autour du projet de vie peuvent effectivement nous amener  à discuter de la fin de vie et de la mort. Les souhaits du résident concernant son décès, ses funérailles deviennent ainsi des projets parmi d’autres.

Table des matières

Introduction
Narration
Problèmes posés par la situation
Problèmes que me pose la situation
Exposition de la problématique
­ Parler de sa mort
­ Résident
­ EHPAD
Quels objectifs poursuit­on en parlant de sa mort avec un résident d’EHPAD ?
Avec quels résidents en parler ?
Quand en parler ?
Qui peut en parler avec le résident ?
Comment le faire ?
Quelles difficultés rencontre­t­on ?
Conclusion
Bibliographie
Annexe I ­ Glossaire
Annexe II ­ Questionnaire à l’adresse des résidents
Annexe III ­ Conte « Le jeune homme et la Mort »

projet fin d'etude

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