Les noms des ignames cultivées de Madagascar
Deux espèces d’ignames sont cultivées à Madagascar : D. esculenta qui est cantonnée à la côte Est du pays et D. alata que l’on rencontre dans toutes les régions étudiées. Si D. esculenta n’est connue que Figure 1 : Zones d’étude par deux appellations « mavondro » partout sur la côte Est qui est la plus courante et « oviampasika ou ovi-pasy » ou igname des sables dans le Sud-Est de Madagascar, les noms vernaculaires données à D. alata sont légion et reflètent la grande variété morphologique de l’espèce, mais aussi la grande étendue de sa distribution. D. alata a été inventoriée dans toutes les régions qui ont été prospectées.
Elle se rencontre dans de véritables champs de culture, dans les jachères, dans le baiboho ou terres alluviales, mélangée à d’autres cultures ou enfin dans les jardins de case sous forme généralement de un ou quelques pieds isolés. Les noms des diverses formes de D. alata, à quelques exceptions près, sont formés du terme « ovy » qui est le nom générique des ignames en malgache et qui vient de l’indonésien « uwi » ou « ubi », suivi d’un qualificatif qui se rapporte généralement à une caractéristique du tubercule (forme, couleur, etc…). Les divers noms vernaculaires au niveau des différentes zones d’étude sont donnés au tableau I. Dans certaines régions, plusieurs noms vernaculaires sont utilisés pour désigner une même forme d’igname. Ailleurs, ces mêmes noms peuvent correspondre à des formes différentes.
Seules, les analyses génétiques et moléculaires effectuées sur plus de 300 accessions d’ignames cultivées récoltées dans les différentes zones d’étude permettront de trancher sur le fait que les différentes formes observées correspondent ou non à de véritables cultivars. Tableau I : Les divers noms vernaculaires de D. alata dans les zones d’étude Zones d’étude Noms vernaculaires de D. alata Antalaha Ovibe, Majôla, Antibavy mavônka, Tangôlina fotsy, Tangôlina mena, Ovy mena Vavatenina, Fenerive Est, Toamasina Ovibe, Ovy lohandambo, Ovy lava, Ovy lalaina ou Ovy mena Brickaville Ovibe, Ovy lalaina ou Ovy blé, Ovy lava, Ovy lohandambo, Ovy voay, Ovy vazaha ou ovy mena, Ovy masanivolo, Ovy tanga, Ovy rindrina, Ovy rozia, Ovy bonganomby Vatomandry Ovy lalaina Ovy vazaha, Ovy fotsy, Ovy voay, Ovy poipoy Parc National de Ranomafana, Région du Sud-Est Ovy tanty, Ovy lava, Ovy voay, Ovy, Oviala, Ovy mamy, Ovy gasy, Ovy tranga, Ovybory, Ovy saonjo ou Bodoa saonjo ou Ovy loatry, Ovy rindrina, Bodoa fotsy ou Bemako fotsy, Bodoa mena, Bodoa fotsy, Ovy katso, Ovy blé, Bodoa, Bodoa mena taho Axe Antananarivo- Fianarantsoa/ Ambalavao, Corridor Fandriana – Vondrozo Ovy tanty, Ovy toko, Ovy soroka, Ovibe, Ovy randromiendaka, Ovy tranga, Ovy lava Toliara Ovy soroka, Bemako, Revoroke, Ovy toko Menabe Ovy, Bemako, Bodoa Parc National Ankarafantsika Ovy, Oviala, Ovy fantaka, Ovy be Antsiranana Majôla, Majôla maroanaka, Majôla be ravina, Majôla kely ravina, Ovy fotsy, Ovy lava Si Ovy est le nom générique utilisé pour désigner généralement D. alata, d’autres termes sont utilisés dans certaines régions : Mâjola pour le Nord du pays, Bodoa pour le Sud-Est, Bemako pour le SudOuest. D’autre part, les noms vernaculaires des différentes formes de D. alata peuvent être classés en plusieurs catégories : • ceux qui se rapportent à la forme et /ou au nombre de tubercule. C’est le cas de Ovibe (gros tubercule), Ovy lava (tubercule allongé), Ovy lohandambo (tubercule ayant la forme d’une tête de sanglier), Ovy bory (tubercule court), Ovy toko (tubercules nombreux se présentant comme un tas), Majôla maroanaka (tubercules nombreux), Bodoa saonjo (tubercule qui ressemble à celui du taro), Ovy masanivolo (tubercule entouré de radicelles ressemblant à des rayons de soleil), Ovy bonganomby (tubercule ressemblant à un testicule de zébu). • ceux qui décrivent la couleur du tubercule, principalement la chair : Ovy ble (tubercule bleu), Ovy fotsy ou bodoa fotsy (blanc), Ovy mena ou Bodoa mena (tubercule rouge), ovy lalaina ou ovy rozia (tubercule violet) • certains noms décrivent d’autres caractères comme la peau du tubercule (Ovy randromiendaka où le tubercule a la forme d’une jambe dont la peau se désquame), les feuilles de la plante (Majôla be ravina ou igname à grande feuilles et Majôla keliravina ou igname à petites feuilles), la tige de la plante (Bodoa mena taho à tige rougeâtre). • Enfin certaines des qualificatifs utilisés désignent des ignames malgaches (Ovy gasy) ou des ignames étrangères (Ovy vazaha). Le terme vazaha désigne généralement des plantes dont certaines parties sont plus développées ou sont meilleures à consommer que celles des ignames « gasy ». En fait le Ovy vazaha ou Ovy rozia est une igname à chair violacée très appréciée par les paysans (figures 2 et 3).
La morphologie générale des ignames cultivées (figures 4 à 8)
Les ignames cultivées sont des plantes formant des tubercules en nombre variable et de forme diverse. La tige est une liane plus ou moins ramifiée portant des feuilles simples à nervation palmée avec un nombre de nervure variable. Le limbe des feuilles présentent une pointe plus ou moins marquée ou acumen et la base est échancrée formant un sinus plus ou moins profond et plus ou moins large conduisant à la formation de deux lobes inférieurs ou auricules. Enfin les fleurs de sexe séparé apparaissent sur des pieds distincts. D. esculenta pousse dans les sols sableux des régions côtières orientales et présente une tige épineuse dextrogyre (tournant dans le sens des aiguilles d’une montre) de section circulaire, avec des Figures 2 et 3: Tubercule de Ovy vazaha ou Ovy rozia feuilles cordiformes dont les auricules se recouvrent les unes sur les autres.
Les tubercules de couleur blanche sont très nombreux, de forme allongée ou arrondie et apparaissent chacun à l’extrémité de rhizomes. Ils sont entourés d’un réseau de racines densément épineuses qui jouent un rôle contre les prédateurs. D. alata peut se développer sur tous les types de sols. La tige est une tige anguleuse, généralement quadrangulaire et présentation des expansions ailées au niveau de chaque angle. Certaines formes peuvent présenter des épines à la base de la tige qui est aussi dextrogyre. Les feuilles sont globalement cordiformes avec un sinus bien marqué. Ce dernier cependant peut être très peu développé et donner alors des formes où les feuilles ont une base aplatie.
Certaines formes de D. alata portent sur les tiges des tubercules aériens appelés bulbilles, organes de multiplication végétative qui en tombant sur le sol peuvent redonner de nouveaux pieds. Lors de nos observations, nous avons surtout observé la présence de fleurs femelles sur les individus observés qui ne donnent pas naissance à des fruits. Ceci nous amène à nous poser la question de savoir si les formes introduites à Madagascar étaient toutes femelles. Figure 4 : pied de D.esculenta Figure 5 : tubercules de D. esculenta Figure 6 : tige ailée de D. alata Figure 7 : feuille de D. alata ovibe Figure 7 : bulbille de D. alata ovy lalaina Figure 8 :racines épineuses de D. esculenta C – Les usages des ignames cultivées 1) Usage alimentaire Toutes les ignames cultivées sont utilisées comme aliment.
Elles peuvent servir d’aliment de base, remplaçant le riz dans le Sud-Est de Madagascar, mais dans la plupart des cas et des régions, elles servent de supplément au riz ou d’en-cas ou peuvent remplacer le riz en période de soudure. Les populations qui connaissent les ignames s’entendent toutes pour dire que les ignames ont meilleur goût que les autres tubercules, en particulier le manioc, qu’elles ont la qualité de mieux rassasier et donc d’être plus intéressante pour s’attaquer aux travaux des champs. Enfin, au niveau de l’appréciation de leur goût, les populations hiérarchisent les ignames de telle sorte que c’est le mavondro (D. esculenta) qui est le plus apprécié, du moins dans les zones où il se rencontre, puis les ignames à chair violette ou rougeâtre (ovy lalaina, ovy ble, ovy mena) et les ignames à chair blanche et à peau fine (ovy lava, ovy fotsy). De toutes les ignames cultivées c’est la forme Ovibe qui est la moins appréciée bien que ce soit celle qui soit la plus cultivée et la plus abondante.
La préparation des ignames cultivées nécessite qu’elles soient d’abord épluchées, puis cuites dans de l’eau en morceaux plus ou moins gros (en morceaux de 3 à 4cm avec beaucoup d’eau pour donner le « kadaka », ou en morceaux plus gros de 5 à 10cm avec moins d’eau pour obtenir le « batabata », fig.9). Ces préparations peuvent ensuite être mangées seules ou avec des accompagnements comme du poisson, de la viande, du miel, du jus de coco ou du sucre.