La mobilité locale à la mobilité régionale
On assiste ponctuellement, aujourd’hui, à un développement du télétravail, de la livraison directe ou des services à domicile, levant ainsi la barrière de la mobilité forcée. Pourtant, la consommation de mobilité, réponse à une demande sociale croissante, stimule actuellement une réorganisation de la morphologie et de la temporalité des systèmes de transport. Nous allons donc tenter d’analyser le cheminement générant cette nouvelle consommation de mobilité afin de mieux la comprendre et la décrire par les diverses formes qu’elle peut adopter. Il s’agit en fait de saisir et déchiffrer ce que cette nouvelle donne temporelle et comportementale signifie pour le quotidien des individus. Pourquoi bougent-ils ? Comment cette mobilité est structurée ? Assiste-t-on à une désintégration progressive de la stabilité et de l’homogénéité des rythmes de déplacement ? Et, dans ce contexte, quelle variété est proposée en terme de mobilité quotidienne ? La compréhension de cette mobilité nous permettra une analyse critique de l’unité de mesure des migrants en modélisation de trafic. Etudier la mobilité par le biais de l’individu moyen ou à l’échelle de groupes d’individus considérés comme similaires reflète-il encore une réalité tangible face à cette mobilité nouvelle ? Est-ce que l’approche purement individuelle fournit une meilleure réponse à ces questions de modélisation ?
Nouvelle physionomie de la mobilité quotidienne
Toujours plus loin, toujours plus vite ! Bien qu’assez grossier, cet aphorisme résume assez bien l’évolution des déplacements quotidiens en France depuis un demi siècle. En effet, au-delà d’une simple transcription de la loi de Zahavi , on voit apparaître ici la traduction qu’avec l’augmentation des besoins de mobilité croit une attente des usagers de plus en plus forte .
L’émergence de nouveaux besoins
Les déplacements des personnes, les localisations d’activités et des zones résidentielles et la forme des villes sont inextricablement liés. L’évolution de la mobilité quotidienne de la population française connaît donc, de par le fait, une évolution parallèle au phénomène d’urbanisation / périurbanisation1 de ces cinquante dernières années, puisque ses caractéristiques induisent un changement fondamental des localisations. Les phénomènes d’urbanisation et de périurbanisation sont tout à fait déterminants dans l’expansion considérable de la mobilité quotidienne. Cette évolution urbaine et le rôle croissant de l’automobile dans la mobilité quotidienne se sont mutuellement entretenus dans un processus commun de modification des pratiques sociales, tant en terme d’habitat que de mobilité. En effet, l’agencement urbain, c’est-à-dire la disposition dans l’espace des composants de la ville, et la pratique des déplacements, résultent de choix pris par les acteurs, satisfaisant différemment un même objectif d’optimisation des interactions sociales . Car si l’imbrication spatiale des entités urbaines et des personnes conditionnent la quantité et la longueur des déplacements, l’inverse est vrai aussi : l’agencement urbain résulte, au moins en partie, des conditions de mobilité. Un bref historique de l’évolution des espaces urbains français suffit à illustrer ce propos. Les villes ont tout d’abord connu une densification avec la progression démographique tant que la mobilité présentait un réel obstacle (que ce soit en coût ou en temps) ; puis avec l’évolution du système de déplacement (automobile et transport collectif), l’extension a commencé à l’emporter sur la densification. Les pratiques de localisation ont été prises dans la « spirale de la transformation de la ville pédestre par les nouvelles conditions de la mobilité urbaine » . Car même si un ensemble de causes expliquent l’évolution des structures urbaines, il est admis que l’explosion de la mobilité individuelle noue un lien direct avec ce phénomène [Guidez 2002]. Au-delà de l’habitat, les entreprises ont également connu une redistribution spatiale qui a soutenu l’émergence de nouveaux besoins de mobilité. En effet, les franges des agglomérations, qu’il s’agisse des entrées de villes ou des abords des rocades, concentrent des emplois nouveaux. Cette situation très spécifique constitue en réalité une localisation optimale : elle constitue une répartition idéale des distances temps entre l’habitat urbain concentré et le périurbain d’une part, et d’autre part répond aux contraintes de regroupement des entreprises dues aux besoins de marchés de proximité2 . De plus, ces nouvelles localisations correspondent à un coût du foncier plus attractif. On voit apparaître, en relation directe avec ce phénomène, une périurbanisation d’habitat plus spécialisée spatialement, avec des ménages situés plus près de ces nouveaux emplois. On aboutit ainsi à une certaine polycentralité, avec des pôles d’emplois émergents. L’exemple du développement d’espaces commerciaux en périphérie des villes est une illustration parfaite de ce phénomène. Car si ces localisations correspondent à un coût du foncier moins cher, elles répondent à un accroissement des aires de chalandises de ces services commerciaux supérieur à celui d’un centre ville. On rejoint donc ici les considérations développées plus haut d’optimisation des distances temps à l’habitat. Et même si la modernisation de la distribution et les progrès techniques de stockage expliquent en partie cette évolution de positionnement des espaces de services commerciaux, cette évolution a été rendue possible par le bouleversement des capacités de mobilité. Cette logique, vraie pour la localisation des entreprises liées à la fréquentation des ménages, l’est également pour d’autres entreprises de par une bonne accessibilité au marché de l’emploi, ainsi que pour l’ensemble des autres facteurs déjà développés (accès aux autres entreprises, coût du foncier…) On voit donc globalement apparaître de nouveaux besoins de mobilité engendrés –de manière directe ou indirecte– par les nouvelles possibilités et les avancées techniques liées à la mobilité de personnes. L’amélioration des conditions de déplacement entretient donc un accroissement de la mobilité. On constate donc globalement une forte croissance de la mobilité quotidienne locale. Cependant, et malgré un grand nombre de données et analyses existantes, on ne possède que peu de séries statistiques à grande échelle temporelle nous autorisant à une description détaillée et scientifiquement fondée de l’évolution de la mobilité quotidienne sur longue période. On peut toutefois voir émerger quelques tendances symptomatiques qui nous instruisent sur un accroissement certain et une complexification indéniable de la mobilité. Mais ces caractéristiques fortes ne peuvent en aucun cas nous indiquer si cette mobilité relève d’un choix ou d’une contrainte –à savoir qui de l’évolution des localisations ou des nouvelles possibilités de mobilité conditionne le plus l’autre– , ni de déterminer les facteurs exacts de cette mobilité. 1.2. L’accès toujours croissant à l’automobile, clé d’une échelle régionale de la mobilité Différents indicateurs permettent de comprendre aisément l’évolution de la mobilité quotidienne sur l’espace français (tableau 1). La quasi stabilité constatée du nombre de déplacements par personne, qu’ils soient mécanisés ou non, est à mettre en relation directe avec l’augmentation très nette du nombre de déplacements totaux. Ces évolutions, a priori en totale opposition, sont en fait le reflet d’une hausse incontestable de la mobilité quotidienne. On retrouve cette tendance avec l’augmentation (8,4%) du nombre de personnes effectuant des déplacements quotidiennement. Ainsi, le nombre de migrants journaliers augmente, même si dans l’ensemble chaque individu ne se déplace pas plus. La distance parcourue a également connu une très nette augmentation (28% pour les distances brutes et environ 21% pour les distances moyennes [Madre et Maffre,1997]) et atteint aujourd’hui trente kilomètres par jour et par personne [Orfeuil, 2002]. Ainsi, les « territoires potentiels des quotidiennetés urbaines » définis par Jean-Marie Halleux [Halleux, 2001] s’étendent de plus en plus pour couvrir progressivement un espace inter-départemental, voire inter-régional. La figure 1 montre assez fidèlement ce phénomène, que l’on doit associer à la très grande stabilité des durées de déplacement. Cette constance de la durée moyenne d’un déplacement s’associe à l’augmentation très nette des distances parcourues. Ce paradoxe trouve son explication dans l’accroissement rapide durant ces cinquante dernières années des vitesses de déplacement. La variation de ces vitesses est principalement la conséquence de la généralisation de la voiture particulière (tableau 2), des progrès techniques des transports en commun et de l’amélioration générale des infrastructures de transport.