La mise en scène humoristique du didactisme dans Les Fables de La Fontaine

La mise en scène humoristique du didactisme dans Les Fables de La Fontaine

LA PEINTURE DES MŒURS DANS LES FABLES DE LA FONTAINE

 Depuis les origines, les animaux sont présents dans la littérature. Ils permettent en effet de caricaturer l’homme. De nombreux écrivains vont les utiliser dans leurs récits afin de mettre en lumière certains défauts humains dans un but éducatif ou pour critiquer les abus et les déviances de la société. Ainsi, dans les Fables, La Fontaine utilise le plus souvent des animaux à valeur symbolique dont le comportement évoque celui des humains et dont le but est de livrer une leçon de morale. « La Fontaine nous dit que son modèle et lui avaient la même aspiration : instruire les hommes en leur contant des apologues dont les animaux faisaient souvent les personnages. »3 De ce fait, les personnages sont des animaux anthropomorphes qui représentent la société française du XVIIème siècle dans son ensemble : le roi Louis XIV, ses courtisans et le peuple. C’est dire que de par les animaux, notre fabuliste attaque les vices et les ridicules de l’homme sans être inquiété par la censure du roi. En vertu d’un symbolisme animalier en partie hérité de la tradition et réactivé par le génie de notre fabuliste, ces « héros », lion, renard, singes, rats, chiens, loups, cigales, fourmis… et c apparaissent tour à tour comme des bourreaux ou des victimes, reconstituant toute une société en miniature. « Ce sont les personnages de son temps, roi, clergé, seigneurs, bourgeois, paysans. Ils sont à côté de lui, il vient de les quitter dans la rue, il les désigne du doigt. La Fontaine vient de la cour ou de la ville, raconte sans songer ce qu’il a vu, et sa morale s’applique aux contemporains. »4 Ces propos témoignent la vouée des Fables : peindre la nature de l’homme afin qu’il se corrige. C’est pourquoi certaines fables visent directement la société du XVIIème siècle dont on trouve une image presque complète. En effet, le lion représente le Roi. Il jouit d’une autorité quasi divine et aime étaler sa puissance dans de pompeuses cérémonies. La cour est représentée comme un pays de parasites où règnent la servilité et l’hypocrisie. Le courtisan, par excellence, est le renard qui flatte le roi et prend toujours son parti. De surcroit, les Fables évoquent aussi la noblesse de province qui exploite sans vergogne les paysans. Les mœurs de la ville sont montrées à travers des personnages et des modes de vie hauts en couleur. La Fontaine est un des écrivains qui ont le plus puisé dans l’actualité et laisse des tableaux de mœurs représentatifs de leur temps. Donc, il peigne la nature de l’homme, ses vices et ses ridicules, par le biais des animaux. Pour La Fontaine, être moraliste, c’est cerner les défauts des gens pour les amener à se corriger et non pas leur inculquer une morale. Partant de cette considération, on peut dire que la morale peut être perçue comme un regard distancié sur les comportements. C’est une vision des mœurs ; comme mise en œuvre fictive des caractères, c’est une représentation des mœurs ou encore comme modèle idéalisé pour la conduite sociale. Par ailleurs, la peinture des mœurs peut être assimilée à une étude de l’âme humaine, étude poursuivie dans un désir de perfectionnement et d’amélioration des qualités de l’homme. De ce point de vue, on peut affirmer que tous les grands écrivains du Classicisme furent des moralistes. La morale rend compte non seulement un comportement social mais aussi un discours sur les mœurs. La morale, entendue en son sens large, définit l’objet principal d’une littérature qui va peindre de manière critique la société ainsi que les comportements et les caractères, et imaginer des utopies. Ainsi, l’espace moral qui s’identifie au discours sur les mœurs de l’homme et la littérature qui travaille les représentations collectives se sont imposés comme les lignes directrices des Fables de La Fontaine. Le moraliste classique n’est pas un donneur de leçons, la morale qu’il développe s’entend moins dans un sens prescriptif que descriptif.

 La critique du Roi 

Au XVIIème siècle, la littérature est tournée vers la peinture de la nature de l’homme pour ressortir ses vices et ses ridicules. C’est une littérature d’essence moralisatrice ou moraliste. Presque tous les grands écrivains de l’époque abordent, à travers leurs productions littéraires, des thèmes liés à la peinture des caractères de l’individu. Personne dans la communauté ou la société n’est épargnée. Ainsi, dans les Fables, Jean de La Fontaine se montre virulent à l’égard du Roi Louis XIV. De ce fait, le fabuliste manifeste un engagement politique sans précédent. Mais, pour ce faire, il fait recourir au lion qui reflète l’image du roi, de par sa force et son influence. A travers cet animal, le poète fabuliste vise le Roi Louis XIV car il expose la monarchie pervertie dans laquelle il vit. Et pour éviter la censure, La Fontaine utilise ce stratagème qui consiste à personnifier les animaux pour dénoncer les pervers du monarque Louis XIV, le « roi soleil ». Ainsi, dans la fable intitulée « la cour du lion », la Fontaine attaque véritablement la cour de Louis XIV. « Le singe approuva fort cette sévérité ; Et, flatteur excessif, il loua la colère Et la griffe du prince, et l’antre, et cette odeur :  Il n’était ambre, il n’était fleur Qui ne fut ail au prix. Sa sotte flatterie Eut un mauvais succès, et fut encore punie : Ce monseigneur du lion-là Eut parent de Caligula. »5 Au regard de ces vers, on peut dire que le fabuliste dénonce la méchanceté du roi. Il condamne également l’absolutisme royal dont on ne voit que la cruauté. Il reproche aussi que le système de la cour est perverti, que le roi ne tolère que son point de vue. C’est-à-dire qu’il est sévère, qu’il décide de tout. La Fontaine nous dévoile la véritable face cachée de Louis XIV et de sa cour. Cependant, on note la même démarche dans la fable : « les obsèques de la lionne ». Cette fable fait partir des fables qui critiquent les vices du monde du pouvoir. La Fontaine s’y fait plus autant satiriste que moraliste. En choisissant ce thème délicat (absolutisme), le poète fabuliste ne cherche pas à remettre en cause le pouvoir, mais bien au contraire à se faire reconnaitre par lui. La Fontaine veut être reconnu comme un des grands moralistes de son époque, à l’instar de la Rochefoucauld ou de la Bruyère. En se permettant de critiquer les travers de la cour et surtout du pouvoir et du roi, il hisse le genre de la fable au rang des genres majeurs, un genre qui peut se permettre d’aborder les grandes questions politiques. « Le fond du personnage est un amour parfait de soi- même. Chacun semble s’oublier pour se donner à lui et l’adorer. Tous les yeux, dit Louis XIV lui-même, sont fixés sur lui seul, et c’est à lui seul que s’adressent tous les veux. Lui seul reçoit tous les respects, lui seul est l’objet de toutes les espérances. On ne poursuit, on n’attend, on ne fait rien que par lui seul. On regarde ses bonnes grâces comme la source de tous les biens ; on ne croit s’élever qu’à mesure qu’on approche de sa personne et de son estime ».6 Ces propos de Taine montrent comment le roi incarnait la monarchie absolue de droit divin. Mais, La Fontaine ne remet pas en cause la royauté, évidemment, elle-même, et encore Louis XIV. Il invite ce dernier à la modération dans l’exercice en mettant en scène un contreexemple. C’est par ce qu’il s’agit d’un contre-exemple évident que La Fontaine peut se permettre de critiquer ce roi « lion » dans la cour du lion : « Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire, Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère ; Et tâchez quelquefois de répondre en Normand. »7 Ainsi, La Fontaine critique la naïveté du roi : à la fois par ce qu’il croit un « songe » mais également par ce qu’il croit le « mensonge » des courtisans. Les mots sont mis à la rime : « Amusez les Rois par des songes Flattez les, payez les d’agréables mensonge.»8 Ces vers laissent affleurer la mauvaise attitude du roi qui manque de réflexion face à des situations données. Il croit à tout ce que lui disent ses courtisans car le roi est dénué de raison. Mais, est-ce que ce n’est pas à cause de son intolérance, de sa cruauté que les courtisans agissent de la sorte ? L’absolutisme du roi ne constitue pas aussi un handicap dès lors que le prince doit être éclairé. Il doit éclaircir le monde. Pour cela, il ne doit pas se laisser aller à la flatterie ni de croire aux superstitions. Il doit être humble. Néanmoins, Louis XIV aime montrer son absolutisme et sa force : quand il s’adresse au cerf, il le fait de manière dépréciative, en l’appelant « chétif hôte des bois ». Ainsi, le roi met en avant sa puissance et sa force. La Fontaine le condamne au supplice : « (…) Venez, loups, Vengez la reine, immolez tous Ce traitre à ses augustes mânes. »9 Même la Reine est définie par sa cruauté, puisqu’elle a assassiné sa femme et son enfant « la Reine avait jadis/ Etranglé sa femme et son fils ». Un tel comportement renchérit sur la croyance à la superstition car le roi lion veut immoler le cerf aux mannes de son épouse défunte. Au contraire, le roi doit juger selon la raison. C’est ce que le second recueil des Fables illustre à travers la représentation de façon insistante la cour du Roi Louis XIV. Souvent par le biais des animaux, La Fontaine critique les perversités de la monarchie absolue en condamnant la naïveté, l’absolutisme, la cruauté du roi. Il fait discrètement l’éloge d’un prince pacifique et éclairé, soucieux de la destinée de son peuple.

LIRE AUSSI :  Les objets d’art forain des écoles française et belge dans la collection des Pavillons de Bercy à Paris

 La satire des courtisans

 A travers la lecture des Fables, on peut vite appréhender que La Fontaine s’intéresse à la cour du roi et particulièrement aux courtisans. Notre fabuliste critique l’attitude des courtisans de Louis XIV. Cette critique des courtisans est une peinture qui vise à la fois le cynisme des gens 7 RADOUANT, op. cit, p 24. 8 RADOUANT, op. cit, p 84. 9 ibidem 15 de cour qui ne veulent que plaire au prince, mais aussi un trait de caractère, l’hypocrisie. C’est-à-dire que La Fontaine vise la nature de l’homme : ses défauts et ses ridicules. Il se réfère à ce que l’on appelle « castigat ridendo mores », peindre d’après nature. « Toute grande œuvre littéraire contient un traité de la nature humaine et des hommes, et il y en a un dans ces petites fables »10 Ainsi, les Fables de La Fontaine s’intéressent aux perversités des courtisans. Chez La Fontaine, c’est le milieu hypocrite et injuste de la cour qui fournit bien souvent la cible de la satire. La fable « les animaux malades de la peste » montre l’hypocrisie des hommes de cour. Dans cette fable précitée, La Fontaine dénonce de même les jugements de cour, capables de condamner l’innocent au mépris de toute équité. En fait, il apparait que le fabuliste ne veut pas tant passer pour un moralisateur qui donne une leçon de morale que pour un moraliste qui observe les mœurs de ses contemporains dont il fait la satire. Partant de cette considération, on peut aisément dire que La Fontaine fait preuve, envers les courtisans, d’une ironie agressive. Dans la moralité qui les concerne, il donne sa perception de la cour : « Je définis la cour un pays où les gens Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents, Sont ce qu’il plait au prince, ou, s’ils ne peuvent l’être, Tâchent au moins de le paraître. »11 Toutefois, dans cette définition de la cour du roi, La Fontaine attaque les mœurs, formule des réflexions sur les actes, sur le caractère et le comportement des hommes à l’image des courtisans, sur leur rapport entre eux et surtout sur la soumission ou la dévotion faite au prince. La Fontaine dénonce les faux semblants. Il mène une satire sur les ridicules des courtisans « peuple singe du maître » qui les rend monstrueux. Pour le fabuliste, la cour est un ramassis de « machinateurs d’impostures », de courtisans qui se doivent de flatter le roi, qui se dénoncent sans vergogne et sont en danger permanent. Par ailleurs, dans la cour du lion, La Fontaine condamne le manque d’intelligence, d’être trop bête pour réfléchir, aux courtisans de Louis XIV. On peut dire globalement que les courtisans sont hypocrites envers le roi. Ils sont à l’image de ce que l’on attend d’eux. C’est ce que l’on peut appeler la logique du paraître. Il reproche aux courtisans d’être des personnes fausses, de se battre entre eux pour être auprès du roi, et d’être toujours des hypocrites. 10 TAINE Hippolyte, op. cit, p 44. 11 RADOUANT, op. cit, p 83. 16 « Si le roi daigne parler à un courtisan, c’est avec une condescendance hautaine. Toutefois, lorsqu’on déroge ainsi à l’étiquette, on sent le besoin de s’excuser à ses propres yeux. »12 Cette assertion nous renchérit sur le comportement des courtisans qui obéissent le roi au point de devenir des inhumains. La Fontaine souligne les ridicules dans les comportements, comme ceux de ces grenouilles qui croient en la vertu d’un gouvernement fort : « les grenouilles qui demandent un roi ». Dans cette fable, notre fabuliste attaque les défauts des hommes et les abus auxquels leur condition les conduit. « Les grenouilles, se lassant De l’état démocratique, Par leurs clameurs firent tant Que jupin les soumit au monarchique pouvoir. »13 Ces vers montrent la servilité permanente des courtisans. Ces derniers réclament par habitude un pouvoir monarchique auquel ils seront assujettis au roi. Mais, cette fable peut être perçue comme une apologie de la monarchie car pour La Fontaine, le peuple doit avoir la sagesse de se satisfaire du pouvoir en place ; vouloir en changer, c’est risquer de trouver le pire.

 La critique du bas peuple 

La satire dans les Fables de La Fontaine n’épargne personne dans la société de son époque. Le poète fabuliste conçoit son art comme un facteur de raffinement des mœurs. La fable française du XVIIème siècle atteint avec La Fontaine une perfection qui a longtemps donné l’illusion de constituer un modèle absolu et éternel : on a cru que tout homme devait trouver dans le recueil des Fables le miroir de ses défauts. Ainsi, Le bas peuple comme les paysans, les bûcherons, les bergers… y sont critiqués car cette critique consiste à nous livrer des préceptes. Donc, on peut dire que La Fontaine, à travers ses Fables, s’attache à peindre la vie populaire. « Le ton change dans les Fables, et le vers aussi. La Fontaine n’essaye pas d’y fronder la morale, mais d’en établir une. Il s’agit de peindre toute la vie humaine, et non plus seulement les parties défendues de la vie humaine. »14 Par ailleurs, les Fables évoquent la noblesse de province qui exploite sans vergogne les paysans. Les mœurs de la ville sont montrées à travers des personnages et des modes de vie hauts en couleur. La Fontaine est un des écrivains qui ont le plus puisé dans l’actualité et 12 TAINE Hippolyte, op. cit, p 50. 13 RADOUANT, op .cit, p 67. 14 TAINE Hippolyte, op. cit, p 33. 17 laisse des tableaux de mœurs représentatifs de leur temps. De ce fait, à travers ses Fables, La Fontaine attire le regard du lecteur sur les problèmes que l’on rencontre, l’obligeant ainsi à réfléchir d’une manière différente, à regarder le monde qui l’entoure avec un œil neuf. La fable de « la cigale et la fourmi » illustre encore une fois de plus un phénomène de société particulièrement flagrant : l’oisiveté, la paresse, la course à la richesse. Tous ces défauts peuvent être appréhendés dans cette fable. Le comportement de la cigale laisse à désirer car elle veut, comme à l’image de certains hommes, vivre sur le dos de son prochain. Au lieu de travailler, la cigale passe « tout l’été » à chanter. : « La cigale ayant chanté tout l’été/ Se trouva fort dépourvue » L’attitude de la fourmi traduit un défaut humain car elle ne veut pas aider sa voisine. Et dans une société, les individus doivent s’entraider mutuellement : éviter la cupidité, la course effrénée à la richesse. C’est le même constat qui apparait dans les « Voleurs et l’âne ». De plus, la question de l’honnêteté des individus de la société est au cœur des débats. Ainsi, La Fontaine, dans sa fable le « Loup et les bergers du livre X, en donne une illustration parfaite. Car le loup ayant médité sur sa cruauté venait de décider de devenir végétarien lorsqu’il vit des bergers mangeant un agneau cuit à la broche. Il renonça alors à son projet. A quoi bon, puisque dans ce monde, on est obligé de s’adapter pour ne pas être écrasé, puisque chacun suit son intérêt en faisant abstraction de la morale. « Bergers, bergers, le loup n’a tort Que quand il n’est pas le plus fort ; Voulez-vous qu’il vive en ermite ? »16 De tels vers ne laissent aucune équivoque sur l’importance que La Fontaine accorde à l’honnêteté. Pour lui, l’honnêteté est le garant d’une société paisible. Sans l’honnêteté, le monde ne pourrait pas connaitre la quiétude, il serait toujours en proie au désordre, à la loi du plus fort.

Table des matières

Dédicace
Remerciements
Sommaire
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE
CHAPITRE I.
LA PEINTURE DES MŒURS DANS LES FABLES DE LA FONTAINE
I – 1 : La critique du Roi
I – 2 : La satire des courtisans
I – 3 : La critique du bas peuple
CHAPITRE II
LES VALEURS MORALES DIDACTIQUES DE LA FONTAINE DANS SES FABLES
2-1 : La tolérance
2 – 2 : Le travail
2-3 : La question de l’entraide
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
L’ART DE PLAIRE DANS LES FABLES DE LA FONTAINE
3-1 : La gaieté
3-2 : L’ironie dans les Fables de la Fontaine
3-3 : La moralité et la composition de la fable
CHAPITRE IV
L’HUMOUR DANS LES FABLES DE LA FONTAINE.
4-1 : L’équivoque
4-2 : Le mélange des tons
4-3 : L’intervention narquoise du fabuliste
CONCLUSION GENERALE
LA BIBLIOGRAPHIE.

 

projet fin d'etudeTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *