L’incorporation des obligations de sécurité dans la sphère contractuelle, ne fait jusqu’alors, aucun doute. Tel est l’état du droit positif. En effet, il est couramment admis par les juges de déceler l’existence d’une obligation de sécurité là où les parties ne s’y attendaient pas forcément. D’ailleurs, si une distinction est faite entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle depuis la fin du dixneuvième siècle, cette tendance à contractualiser le dommage corporel a participé à la dissipation de la différence des deux ordres de responsabilité. Et pour cause, il s’agit de dire que la violation de ce qu’on considère classiquement être un devoir de prudence et de diligence est un manquement contractuel. C’est en cela que l’on parle de « contractualisation » de l’obligation de sécurité. C’est la pratique consistant à incorporer des éléments de la responsabilité extracontractuelle dans le rapport entre contractants. Or, il ne semble pas souhaitable de mélanger ainsi les règles de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle. Cela s’explique tant au regard de la spécificité du rapport qu’on choisi d’entretenir les parties par le biais contractuel, que par la nature du dommage. Le dommage corporel mériterait qu’un régime unifié lui soit consacré en raison notamment des enjeux qui s’y attachent. Le projet de réforme présenté le 13 mars 2017 s’inscrit dans ce mouvement. En effet, la lecture de la lettre de son article 1233-1 permet d’entrevoir un objet précis. Son objet étant justement de décontractualiser le dommage corporel.
La prévalence du fondement extracontractuel pour la réparation du dommage corporel (article 1233-1 alinéa 1er)
Si le législateur est jusque là intervenu de façon ponctuelle pour envisager la réparation de dommages spécifiques comme le régime des accidents du travail, le régime des accidents professionnels et des maladies professionnelles, le régime des accidents de la circulation, le régime de la responsabilité médicale, le régime responsabilité du fait des produits défectueux, il semble que ce soit au tour des victimes du dommage corporel de bénéficier d’un fondement particulier pour la réparation de leur dommage. La formule de l’article 1233-1 alinéa 1er est aussi claire que dénuée d’ambiguïté lorsqu’elle prévoit que « Les préjudices résultant d’un dommage corporel sont réparés sur le fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même qu’ils seraient causés à l’occasion de l’exécution d’un contrat ». A ce propos, il faut noter que cet article figure parmi le chapitre Ier intitulé des « Dispositions liminaires » immédiatement après l’affirmation du principe de non option posé par l’article 1233 du projet de réforme. L’importance à donner à l’article 1233-1 alinéa 1er est donc notable. D’ores et déjà, un champ lexical se dessine. Nous pouvons évoquer des formules comme « la prévalence du fondement extracontractuel » , « la clarification des règles applicables pour la réparation du dommage corporel » . In fine, il faut expliquer ce que cela implique théoriquement.
Peu important la source du dommage (un fait juridique ou un acte juridique), le dommage corporel est en principe appréhendé par le régime de la responsabilité extracontractuelle. Peu important que la personne ait une qualité de co-contractant ou de bénéficiaire d’une obligation générale de prudence ou de sécurité, elle serait victime au sens général du terme. Les rédacteurs de la réforme envisagent une indifférence totale à la qualité de la personne. Ratione personae, l’article 1233-1 alinéa 1er s’applique donc par principe à toute personne, pourvu qu’il s’agisse d’un dommage corporel. En l’espèce, seule la nature du dommage dicte l’application de la lettre du texte. A ce propos, Monsieur le Professeur Philippe le Tourneau suggère que « sans créer un véritable droit des dommages corporels, le projet de réforme envisage de soumettre tous les dommages corporels à la responsabilité délictuelle ».
D’une part, le principe de la réparation du dommage corporel sur le fondement extracontractuel semble être posé. On pourrait à ce titre parler d’un cadre commun de la réparation du dommage corporel. En conséquence, nous pouvons nous interroger sur le devenir de l’obligation de sécurité. Sa fin n’est-elle pas éminente ?
En effet, à supposer que les règles de la responsabilité extracontractuelle devraient prévaloir, le recours à l’obligation de sécurité dans le domaine contractuel apparaîtrait en conséquence désuète . C’est ainsi qu’il faut aborder les conséquences pratiques de ce changement .
Conséquences pratiques
Partant du présupposé selon lequel les règles de la responsabilité extracontractuelle devraient prévaloir pour la réparation du dommage corporel, il semble que l’on puisse arriver à la conclusion suivante : ce serait la fin de l’obligation de sécurité. Ce constat est aussi simple que logique.
Le régime extracontractuel étant le fondement de principe, le régime contractuel adjoint d’une obligation de sécurité n’aurait donc plus vocation à s’appliquer. Ce phénomène de « forçage du contrat » n’aurait plus lieu d’être dans la mesure où les règles au soutien de la réparation du dommage corporel découleraient du régime extracontractuel ainsi que le prévoit l’article 1233-1 alinéa 1er du projet de réforme. Il n’y aurait plus lieu pour les juges de procéder à une modification opportune du contrat, de dégager des obligations accessoires telles que l’obligation de sécurité.
A priori, ce que propose de rejeter le projet de réforme de la responsabilité civile, c’est cette amplification du contenu obligatoire du contrat qui assure certes à la victime la réparation de son préjudice, mais qui dénature grandement le concept d’obligation contractuelle. Dès lors, il n’y aurait plus de raison de recourir à la contractualisation du devoir général de bonne conduite qu’est l’obligation de sécurité. Si la jurisprudence a perturbé le régime de l’inexécution contractuelle en y insérant des éléments de la responsabilité délictuelle, le projet de réforme de la responsabilité civile se propose de remédier à cela.
Si nous pouvons espérer dans un premier temps un retour à l’orthodoxie juridique, il faut maintenant se pencher sur l’option que le projet de réforme propose. Le second objet de la réforme consiste à consacrer un principe d’option pour la victime du dommage corporel. Il s’agit d’éluder en quoi consisterait ce principe d’option en faveur de l’application du régime contractuel d’autant que cette faculté semble encadrée.
L’insertion d’un droit d’option en faveur de la responsabilité contractuelle
Si le premier alinéa de l’article 1233-1 du projet de réforme pose comme fondement de principe à la réparation du dommage corporel, le régime extracontractuel, le second alinéa quant à lui, pose un tempérament. La lettre du texte prévoit la chose suivante : « Toutefois la victime peut invoquer les stipulations expresses du contrat qui lui sont plus favorables que l’application des règles de la responsabilité extracontractuelle ».
Il s’agit d’une faculté pour la victime d’un dommage corporel d’opter pour le fondement contractuel. Le projet de réforme crée une possibilité, une faculté d’opter pour le régime contractuel plutôt qu’extracontractuel. A la lecture de la lettre de l’article 1233-1 alinéa 2 du projet de réforme, ce droit d’option semble devoir être relativisé dans la mesure où la lettre du texte limite son champ d’application aux seules « stipulations expresses du contrat » d’une part, et qui « sont plus favorables que l’application des règles de la responsabilité extracontractuelle », d’autre part. Il s’agirait là de deux conditions cumulatives et préalables à l’application du régime contractuel. Il faut donc comprendre cette faculté d’option comme encadrée .
Les conséquences pratiques
En attendant une prise de position plus claire du législateur, il convient d’imaginer quelles seraient les conséquences pratiques de cette faculté d’option. De deux choses l’une : c’est certainement la prise en compte de la situation réelle des parties qui a motivée les rédacteurs de la réforme à consacrer la faculté pour la victime d’opter pour le fondement contractuel, ce qui impliquerait la survivance de l’obligation de sécurité.
Si l’objectif du projet de réforme va dans le sens d’une clarification des règles applicables à la réparation du dommage corporel, celle-ci ne doit pas se faire au mépris de la situation réelle des parties. Rendant par principe inopérante l’application jadis abusive et opportune de l’obligation de sécurité en matière contractuelle, les rédacteurs du projet de réforme de la responsabilité civile ont limité le principe d’option « aux stipulations expresses du contrat » et « plus favorables ». En conséquence, on peut imaginer que seuls des contrats spécifiques seront concernés. Il en va ainsi par exemple pour les contrats incluant la pratique d’un sport, d’une activité à risque où l’obligation de sécurité est naturelle à ce type de convention. Ces contrats, de par leur nature, prévoient le risque du dommage corporel.
Entre autres, cette faculté d’option doit pouvoir s’entendre comme cantonnée aux obligations de sécurité expressément formulées dans la loi contractuelle. Il ne s’agirait donc pas d’incorporer à nouveau des obligations accessoires de sécurité ou bien de « forcer » le contrat. La faculté d’opter pour le régime contractuel impliquerait la survie du concept d’obligation de sécurité à condition toutefois que cette obligation de sécurité soit non équivoque. Elle doit apparaître naturelle au contrat, s’imposer en tant que telle si bien que les parties l’auront contractualisée. Elle ne doit pas être le fruit d’une extension du contenu obligatoire du contrat par le juge. Le tempérament ne doit pas devenir le principe. Il semble simplement que le législateur ait pris en compte de l’existence de ces contrats à risque. A supposer que ces contrats prévoient a priori les risques relatifs à l’activité exercée, la faculté d’option proposée par le législateur se comprend tout à fait.
En définitive, il est clair que le projet de réforme présenté le 13 mars 2017 s’articule autour de deux mouvements. D’une part, se dessine la volonté du législateur de faire prévaloir le fondement extracontractuel pour la réparation du dommagecorporel. D’autre part, est consacré un tempérament en faveur de la victime. Nous l’avons vu, il s’agit du principe d’option pour le fondement contractuel. Néanmoins, cette faculté doit s’entendre comme cantonnée à deux conditions cumulatives et préalables. Les choix opérés par le législateur sont d’autant plus compréhensibles lorsqu’on s’intéresse à la justification de la décontractualisation du dommage corporel.
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