La méthode des éléments finis
Problèmes de la modélisation « réelle »
Pour faire suite aux dernières remarques faites au paragraphe précédent, il faut se rendre à l’évidence que les équations qui modélisent les principales théories de la physique ont été présentées (et développées) dans un cadre idéalisé. Dans les problèmes réels, il est souvent difficile de rester dans ce cadre à cause de nombreuses difficultés telles que les problèmes géométriques, d’échelle et du couplage de différents modèles. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il est alors impossible de simuler le problème, mais seulement qu’il est nécessaire d’ajouter encore un peu plus d’intelligence et d’astuce. En effet, ces difficultés peuvent souvent être découplées dans un calcul numérique par des algorithmes adéquats et l’on se ramène alors à la résolution itérée de problèmes standard (d’où la nécessité de disposer de méthodes sûres et performantes pour calculer des solutions numériques de ces problèmes standard). Nous allons présenter quelques exemples de problèmes pouvant survenir dans une modélisation, sachant qu’un certains nombre seront traités dans des chapitres ultérieurs (mais pas tous).
Problèmes géométriques
Jusqu’à présent, nous avons supposé que le domaine dans lequel le problème était considéré était fixe. Or, dans de nombreux problèmes ce domaine est variable, on parle de problèmes à surface libre, dont voici quelques exemples : — Le problème le plus évident pour le lecteur, et qui a déjà été évoqué, est celui de la grande déformation d’un solide. — L’étude des mouvements d’un liquide, notamment les vagues ou le mouvement de l’eau dans un réservoir. Quand la variation de la forme du domaine n’est pas trop grande on peut définir le domaine inconnu comme l’image d’un domaine fixe par une certaine fonction. Cette fonction devient alors une inconnue du problème qui se ramène à une équation plus complexe que l’équation initiale mais sur un domaine fixe. Mais, parfois, le domaine peut être amené à se fragmenter comme dans le cas de la formation de gouttes… — La fusion de la glace dans l’eau : la frontière entre la glace et l’eau est alors une inconnue du problème.
Problèmes d’échelle
La formulation d’un problème peut dépendre de l’échelle à laquelle on regarde ce problème, comme cela a été mentionné précédemment. Mais il se peut également que différentes échelles interagissent… Quelques problèmes classiques d’échelle sont : — Nous avons déjà évoqué un peu cela en mécanique des fluides : dans l’écoulement d’un fluide la turbulence est un phénomène qui fait apparaître des mouvements à très petite échelle. La complexité de ces mouvements rend nécessaire, dans un calcul numérique, le remplacement des valeurs exactes des champs inconnus par leur moyenne, en un sens à préciser. Cela conduit à des modèles de turbulence qui se différencient par les hypothèses supplémentaires qui sont faites. — Dans un champ plus proche des considérations du lecteur, on pensera évidemment aux ondes. Une excitation à très haute fréquence crée une onde de longueur très petite. Or une longueur d’onde très petite ne peut pas être prise en compte dans un calcul numérique à grande échelle. La prise en compte de ce phénomène dans l’équation des ondes conduit à des modèles asymptotiques dans lesquels l’étude des ondes se ramène à la théorie de l’optique géométrique plus ou moins enrichie pour tenir compte de phénomènes comme la diffraction. Mais si la longueur d’onde est proche des longueurs des variations géométriques du bord du domaine d’étude il faut revenir à l’équation des ondes pour étudier l’effet de ces variations géométriques. On peut donc être amener à coupler l’optique géométrique et une étude directe de l’équation des ondes — Un autre champ lui-aussi déjà mentionné est celui des hétérogénéités d’un milieu continu, qui, quand elles sont à très petite échelle, peuvent empêcher la prise en compte exacte de celles-ci, au moins dans une approximation numérique. C’est le cas des solides formés de matériaux composites, des fluides comme l’air chargé de gouttelettes d’eau ou de l’eau contenant des bulles de vapeur. On est conduit à définir des modèles limites dits homogénéisés dans lesquels on remplace les grandeurs usuelles (vitesse, masse volumique), qui ont une forte variation locale, par leur valeur moyenne. Les équations obtenues peuvent avoir la même forme que les équations initiales comme dans le cas de la théorie élastique des matériaux composites (le seul problème est de calculer les propriétés matérielles du matériau homogénéisé, mais nous présenterons cela plus loin) ou bien, quand les paramètres des hétérogénéités (la densité de bulles par exemple) dépendent de la solution, ces paramètres s’ajoutent aux grandeurs inconnues initiales et le nombre d’équations peut donc s’accroître.
Couplage géométrique
De nombreux problèmes impliquent la prise en compte de plusieurs modèles (on dit parfois également « plusieurs physiques »). C’est le cas de l’interaction d’un fluide et d’une structure : l’écoulement d’un fluide par exemple peut faire vibrer une structure qui en retour fait vibrer le fluide. Une des difficultés vient de ce que les inconnues utilisées dans la modélisation de chacun des milieux sont de natures différentes : les déplacements dans le solide et les vitesses dans le fluide. Comme illustration de ce couplage, nous proposons le cas d’un poisson, issu de l’intéressante étude de San Martín et al. [51]. Le déplacement d’un poisson dans son millieu, illustré à la figure 10.1.a, n’est pas imposé mais résulte de l’interaction entre la déformation propre du poisson (donnée à la figure 10.1.b, et qui elle est imposée) et le fluide. On retrouve aussi les problèmes d’interaction fluide/structure dans la modélisation de la circulation sanguine : le sang est un liquide très faiblement compressible, alors que les vaisseaux sanguins sont déformables et susceptibles de grands déplacements Le contact entre deux solides peut également être placé dans cette catégorie.