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La Méditerranée occidentale, un bassin homogène bordé de deux barrières au flux génique
La Méditerranée occidentale est une Mer presque fermée, bordée par deux détroits: le détroit de Gibraltar à l’Ouest et le Siculo-Tunisien à l’Est. Les données océanographique et génétique ont montré que la transition entre la Mer Méditerranée et l’Océan Atlantique se fait réellement au niveau du Front Almeria-Oran (Patarnello et al. 2007). Le Front Almeria-Oran est situé à environ 400 km à l’Est du détroit de Gibraltar, il forme une frontière semi-permanente, instable et peu forte entre les eaux Atlantique et Méditerranéenne (Galarza et al. 2009). C’est un front de densité thermo-haline, confiné à la partie supérieure de la colonne d’eau (~300 m) (Galarza et al. 2009). Le détroit Siculo-Tunisien sépare la Méditerranée Ouest de l’Est, il a été reporté comme barrière génétique chez plusieurs espèces (Bahri-Sfar et al. 2000; Ben Slimen et al. 2004; Gharbi et al. 2011; Zitari-Chatti et al. 2008). L’histoire géographique de la Méditerranée a largement gouverné la répartition actuelle des espèces (Domingues et al. 2005). La dessiccation de cette Mer pendant la Crise de Salinité Messénienne a causée l’extinction de plusieurs espèces à l’exception de celles vivant dans les lagunes hyper-salines et dans les eaux saumâtres. L’ouverture du détroit de Gibraltar à la fin du Miocène (il y a 6 à 5,5 Ma) a permis la colonisation à nouveau de la Mer Méditerranée par de nouvelles espèces d’origines Atlantiques (Figure 3) (Almada et al. 2001). Le retour des glaciations au quaternaire (il y a environ 2 Ma) a contribué aux changements des aires de répartitions des espèces marines (Palumbi 1994). Plusieurs espèces se sont concentrées dans des refuges glaciaires (Wilson et al. 2009). Actuellement, les expansions postglaciaires ont aussi fortement contribué aux changements des aires de répartitions des espèces en leur permettant des recolonisations d’habitats redevenus favorables. Durant ces expansions les espèces se sont retrouvées face à deux types de barrières; les barrières géographiques et les contacts entre populations issues d’autres refuges créant ainsi des zones hybrides ou points chauds de structure génétique ou encore zones de sutures (Hewitt 1996; Remington 1968). Dans cette thèse on s’intéresse à l’étude du Front Almeria-Oran reporté comme point chaud de différenciation génétique chez 43 espèces sur un total de 61 espèces indiquées par Patarnello et al. (2007). Ce nombre n’a cessé d’augmenter avec l’ajout de nouvelles espèces. Parmis ces espèces on cite par exemple: Cymodocea nodosa (Alberto et al. 2008), Caulerpa prolifera (Varela-Álvarez et al. 2015), Diplodus vugaris, Mullus surmuletus, Seranus cabrilla, Tripterygion delaisi, Apogon imberbis et Symphodus tinca (Galarza et al. 2009).
Un modèle emblématique, la moule méditerranéenne Mytilus galloprovincialis
Mytilus galloprovincialis est un bivalve du genre Mytilus. Ce genre comporte quatre espèces: Mytilus californianus, M. trossulus, M. edulis et M. galloprovincialis. La première espèce est complètement isolée, du point de vue reproductif, des trois autres espèces. Parmis ces dernières, M. trossulus semble être la forme ancestrale à partir de laquelle M. galloprovincialis et M. edulis ont divergé (Seed 1992; Stanley 1972). La divergence entre M. edulis et M. galloprovincialis a été estimée à environ 2.5 Ma, suivie d’une période de contact secondaire il y a environ 0.7 Ma (Roux et al. 2014). Durant environ 1.8 Ma les deux lignées allopatriques ont accumulé des incompatibilités génétiques. L’ancêtre de M. edulis et M. galloprovincialis aurait divergé de M. trossulus il y a plus longtemps, probablement à l’occasion de l’ouverture du détroit de Béring qui a permis la colonisation de l’Atlantique (Rawson & Hilbish 1995). Précédemment daté à 3.5 Ma (Vermeij 1989), l’ouverture du détroit de Béring pourrait être plus ancienne, entre 4.8 et 7.5 Ma (Marincovich & Gladenkov 1999). Le flux de gènes entre les espèces du complexe M. trossulus, M. edulis et M. galloprovincialis est désormais encore possible. Les chevauchements dans les aires de répartition entre les espèces du complexe, correspondent à des zones d’hybridation. Entre la Mer du Nord et la Mer Baltique une zone hybride clinale a été signalée entre M. edulis et M. trossulus (Gardner 1994; Gosling 1992; Väinölä & Strelkov 2011; Zbawicka et al. 2014). En Atlantique, M. edulis et M. galloprovincialis s’hybrident en mosaïque le long des côtes françaises (Bierne et al. 2003c), la mosaïque étant formée par trois zones de contact indépendantes (Bierne et al. 2003c; Hilbish et al. 2012); la première zone hybride (ZH1) résulte de l’hybridation entre M. galloprovincialis (Péninsule Ibérique) et M. edulis (Golfe de Gascogne), la deuxième (ZH2) entre M. edulis (Golfe de Gascogne) et M. galloprovincialis (Bretagne) et la troisième (ZH3) entre M. galloprovincialis (Bretagne) et M. edulis (Mer du Nord). En Méditerranée, une autre zone de contact a été détectée à l’Est du Front Almeria-Oran en Espagne (ZHAOF) entre M. galloprovincialis Méditerranéennes et Atlantiques (Figure 4) (Daguin & Borsa 1999; Quesada et al. 1995a). Cette dernière zone serait la conséquence d’un contact secondaire entre populations allopatriques antérieures à l’origine du Front Almeria-Oran (Quesada et al. 1995b), la différenciation étant maintenue par l’addition d’un autre type de barrière dite barrière génétique renforçant la barrière naturelle et environnementale au niveau du Front Almeria-Oran (Gosset & Bierne 2012).
La barrière s’est révélée être semi-perméable. Bien que ce concept ne soit pas nouveau (Barton & Hewitt 1985), ce n’est seulement qu’avec les travaux de Gosset & Bierne (2012) puis Fraïsse et al. (2015) qu’il a été montré que la nature de cette zone était sans-doute semi-perméable. Certains gènes contribuent à empêcher l’homogénéisation entre lignées génétiques différenciées appelées aussi gènes « verrous », soit parce qu’ils participent à l’adaptation aux conditions environnementales locales, soit parce qu’ils sont incompatibles avec les gènes d’autres lignées. D’autres parties du génome sont soit neutres, soit soumises à une sélection qui tend à homogénéiser les différentes lignées entre elles (Figure 5).
La division entre M. galloprovincialis Atlantique et Méditerranéenne a été mise en évidence grâce aux allozymes en particulier le locus ODH (Quesada et al. 1995a), les séquences RFLP (Sanjuan et al. 1996), le marqueur nucléaire mac-1 (Daguin et al. 2001), 3 marqueurs nucléaires (Me 15/16, EFbis et ITS) et un marqueur mitochondrial (ND2-COIII) (Kijewski et al. 2011). Récemment, un scan génomique de 31 marqueurs nucléaires codominants dont 14 allozymes à partir de Quesada et al. (1995a), 6 microsatellites de Dizand Presa (2008) et 11 polymorphismes de longueur de Daguin et al. (2001), Bierne et al. (2002b), Boon et al. (2009) et 357 marqueurs AFLP, Gosset & Bierne (2012) ont révélé une différentiation moyenne faible mais significative (Fst = 0.03) (Gosset & Bierne 2012). Les scans génomiques permettent de détecter les locus sous sélection dits « locus outliers ». Sept locus outliers (EF2, EFbis, ODH, mt, AFLP_1-187, AFLP_3-363, AFLP_1-111) ont été identifiés par trois méthodes (Beaumont & Nichols 1996; Foll & Gaggiotti 2008; Vitalis et al. 2003), seuls deux locus (EFbis et AFLP_3-363) ont été détectés comme anormalement différenciés par les trois méthodes à la fois (Figure 6) (Gosset & Bierne 2012). La différenciation entre les populations Méditerranéenne et Atlantique est accentuée par l’introgression du background Méditerranéen par des allèles de l’espèce M. edulis. Parmis les sept locus cinq étaient aussi outliers entre M. galloprovincialis Atlantiques et M. edulis (Gosset & Bierne 2012). La différenciation intra-spécifique détectée, chez M. galloprovincialis, n’est pas la seule au sein du complexe Mytilus, chez M. edulis elle a été aussi observée entre les populations Américaine et Européenne (Riginos et al. 2004).
Heterozygosity Heterozygosity
Figure 6: Scan génomique d’outliers de la différenciation chez Mytilus galloprovincialis entre la Mer Méditerranéenne et l’Océan Atlantique (Péninsule Ibérique). (a) 31 marqueurs nucléaires codominants (14 allozymes, 6 microsatellites et 11 polymorphismes de longueur).
(b) 357 marqueurs AFLPs. Moyenne (ligne pointillée) et enveloppe de confiance à 95% (lignes en gras, la limite supérieure pour les données hors locus microsatellites est représentée en gris) sont des résultats à partir de simulations réalisées avec le programme FDIST2 (a) et le programme de DFDIST (b). Les locus aberrants sont annotés et représentés par des points noirs (lorsqu’ils sont identifiés par une seule méthode), carré (lorsqu’ils sont identifiés par deux méthodes) et les diamants (lorsqu’ils sont identifiés par trois méthodes, y compris BAYESCAN) (d’après Gosset & Bierne 2012).
Des progrès dans la compréhension de l’histoire de la spéciation et de l’adaptation au sein du complexe Mytilus ont été réalisés. Fraïsse et al. (2014a) ont pu montrer, grâce à une méthode statistique d’inférence de scénarios de spéciation ‘Approximate Bayesian Computation (ABC)’, que les moules Européennes ont connu une histoire complexe de divergence stricte suivie d’une période de connectivité périodique. En accord avec le concept de barrière semi-perméable au flux génique, il a été montré que les taux d’introgression sont hétérogènes le long du génome.
Des scans génomiques de la différenciation ont été menés entre populations du complexe d’espèces. Ces derniers ont permis d’identifier des régions du génome avec des taux inhabituels d’introgression. En effet, les régions à fort niveau de différenciation pourraient être des obstacles au flux génique, tandis que les régions à faible niveau de différenciation pourraient indiquer une introgression adaptative (Fraïsse et al. 2014b; Piálek & Barton 1997). Le locus mac-1 est le seul outlier identifié par toutes les méthodes (six méthodes). Ce locus montre une empreinte caractéristique d’une introgression locale et une fréquence anormalement élevée d’allèles chez M. edulis introgressés dans les populations de M. galloprovincialis enclavées en Bretagne (Figure 7A, B).
L’analyse de la variation génétique et des généalogies d’allèles, sur une échelle chromosomique localisée, a permis de reconstituer l’histoire évolutive de plus de 1000 régions du génome des moules. Cette analyse a révélé qu’une cause majeure, mais insoupçonnée, de la différenciation génétique intraspécifique est l’introgression différentielle d’allèles hétérospécifiques (Fraïsse et al. 2015).
Un nouveau modèle, la pourpre bouche de sang Stramonita haemastoma
Stramonita haemastoma (Linnaeus, 1767), communément appelé « pourpre bouche de sang », est un gastéropode de la famille des Muricidae. Il vit sur les fonds rocheux à proximité des côtes souvent exposés aux vagues dans les eaux tempérées à chaudes et parfois enfoncé dans la vase (Rilov et al. 2001). Pendant la saison estivale, les individus matures regagnent la zone intertidale pour s’accoupler et émettre des capsules, environ 20 à 86 capsules, contenant entre 1724 et 6956 œufs/capsule (El Ayari et al. 2015; Lahbib et al. 2011). L’éclosion donne naissance à des larves planctoniques pélagiques (Spence et al. 1990). La durée de la phase larvaire est relativement longue, elle a été estimée à 2-3 mois (Claremont et al. 2011; Lahbib et al. 2011; Scheltema 1977). Il constitue de ce fait un bon modèle puisqu’il présente tous les paramètres démographiques qui pourraient intéresser un généticien des populations marines. En plus, une forte variabilité morphologique a été observée entre populations géographiquement proches (Figure 8) (Claremont et al. 2011, observation personnelle).
La répartition géographique ainsi que la nomenclature, au sein du genre Stramonita sont sujet à débat, tout comme l’identification basée sur la morphologie de la coquille. Ceci s’est avéré insuffisant pour la distinction entre espèces et sous-espèces (Butler 1954; Claremont et al. 2011; Gunter 1979; Liu et al. 1991; Walker 1982).
Dans la littérature, les études portant sur la génétique du complexe Stramonita en général et sur l’espèce S. haemastoma en particulier sont rares. Dans une étude sur les allozymes, Liu et al. (1991) ont montré, la présence de deux sous-espèces S. haemastoma floridana et S. haemastoma canaliculata au Sud-Est des Etats Unis, alors que ces populations étaient considérées pendant longtemps comme faisant partie d’une seule espèce, Stramonita floridana. Les deux sous-espèces sont considérées sympatriques avec un faible taux d’hybrides détecté (1.2%). Ces résultats ont aussi été confirmés avec un marqueur mitochondrial (COI) (Harding & Harasewych 2007). A ces deux études, s’ajoutent l’étude de Claremont et al. (2011). qui ont combiné à la fois des données morphologiques et moléculaires pour délimiter les espèces du genre Stramonita et tracer les aires de répartition ainsi que la phylogénie entre les espèces. Il résulte que le genre Stramonita comporte Sept espèces: Stramonita haemastoma, S. delessertiana, S. rustica, S. floridana, S. canaliculata, S. biseralis et S. brasiliensis. Toutes les espèces sont allopatriques ; cependant trois cas de sympatries ont été reportés entre S. haemastoma, S. brasiliensis et S. rustica au Venezuela, S. floridana et S. canaliculata dans le golfe du Mexique et S. rustica et S. brasiliensis au Brésil. L’âge du genre Stramonita a été estimé à 28 Ma (Claremont et al. 2011) et la présence de S. haemastoma en Europe à seulement 5 Ma (début du Pliocène) (Landau et al. 2007). S. haemastoma est une espèce qui se caractérise par une répartition géographique particulièrement large, elle a été signalée en Méditerranée, Atlantique Est et Ouest, Pacifique Est et à l’Ouest de l’océan Indien (Figure 8) (Abbott 1972 ; Claremont et al. 2011; Clench 1947 ).
Table des matières
1- INTRODUCTION
1.1 Les originalités de la génétique des populations marines
1.2 Les points chauds de différenciation génétique en milieu marin
1.2.1 La diversité génétique marine est souvent distribuée en mosaïque
1.2.2 Les différents types de barrières génétiques
1.3 Modèle d’étude
1.3.1 La Méditerranée occidentale, un bassin homogène bordé de deux barrières au flux génique
1.3.2 Un modèle emblématique, la moule méditerranéenne Mytilus galloprovincialis
1.3.3 Un nouveau modèle, la pourpre bouche de sang Stramonita haemastoma
2- OBJECTIFS DE LA THESE
3- ARTICLES
ARTICLE I : La face cachée de la zone de transition Atlantique-Méditerranée: Une zone hybride mosaïque de 600 km de large à l’Est d’Oran révèle l’interaction complexe entre l’hydrographie et l’isolement reproducteur chez les moules
I.1- Résumé
ANNEXE ARTICLE I
ARTICLE II : Répartition en mosaïque et distribution géographique inattendue de deux lignées cryptiques du gastéropode marin Stramonita haemastoma, s’hybridant en Espagne
II.1- Résumé
ANNEXE ARTICLE II
4- CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
4.1 Synthèse des résultats
4.2 Perspectives
5- REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES