La médiation urbaine, un champ émergent qui participe à la construction sociale des métropoles
L’étude d’un nouveau champ ; questionnement initial et problématique
Les premières observations des évènements culturels précédemment cités nous ont questionnés sur leurs objectifs réels : attendus communicationnels autour de l’image d’une ville créative et « joyeuse », renforcement de la cohésion sociale, mieux vivre ensemble, etc. Il semblerait qu’un discours plus ou moins clair, plus ou moins affirmé appelle à la réunion, au partage ou à la rencontre autour de ces manifestations. Un second questionnement a porté sur la dimension territoriale de ces nouvelles manifestations. Un nombre toujours plus important d’entre eux est structuré, et fait participer, ou fait appel, d’une manière ou d’une autre, au territoire métropolitain. Le Défilé de la Biennale de la Danse à Lyon intègre des compagnies de Saint-Étienne ou de L’Isle-d’Abeau, Marseille Provence Capitale de la culture collabore avec Aix-en-Provence, la Biennale de l’estuaire de Nantes-Saint-Nazaire regroupe ces deux villes, etc. Ces agglomérations soumises à la métropolisation semblent obligées de proposer un évènement à cette échelle. En effet, dans le contexte de concurrence internationale, les métropoles, en tant qu’ensembles urbains définis par leur rayonnement international (ASCHER, 1995), doivent se faire une place à l’échelle mondiale. Les grands évènements représentent un levier de reconnaissance et de rayonnement planétaire souvent utilisés (AUGUSTIN, 2009, §1). Mais ils sont généralement associés à la commune centre et il ne semble pas nécessaire, pour remplir cet objectif, d’y associer les communes aux alentours. C’est essentiellement la villecentre, considérée comme porte d’entrée vers l’extérieur, qui récolte les fruits de l’opération en termes de notoriété. Ainsi, le Défilé de la Biennale de la Danse à Lyon ne paraît pas gagner en renommée internationale en associant, par exemple, la MJC Jean Cocteau de Saint-Priest. Associer les communes limitrophes relève d’une autre logique. En observant le contexte lyonnais, nous avons élaboré l’hypothèse que ces évènements auraient pour objectif de construire le territoire métropolitain au-delà des logiques de développement économique, de rayonnement ou de développement touristique. En organisant ces nouvelles manifestations, les acteurs métropolitains souhaiteraient donner du sens à ce territoire en gestation. Nous supposons que ces actions croisant les champs de la culture, du tourisme ou de l’économique donneraient à voir le territoire métropolitain pour en construire une représentation partagée. Nous proposons d’appeler médiation urbaine l’ensemble de ces 10 nouvelles pratiques. Nous présumons que l’émergence de la médiation urbaine, et notamment son apparition à l’échelle des territoires métropolitains, proviendrait de l’obsolescence des cadres actuels de représentation des territoires. 1/ Un constat initial, l’apparition de nouvelles formes d’actions collectives Les représentations territoriales en France se sont construites, au fur et à mesure de la constitution de l’État moderne, sur un triple système de représentation : démocratiques articulant local et national, visuelles (cartes, emblèmes, monuments, paysages) et collectives basées sur plusieurs niveaux institutionnels (commune, département, nation). La cohérence de ces représentations est fondée sur une simplification de la réalité s’appuyant sur une juxtaposition et un emboîtement des découpages administratifs (DEBARBIEUX, VANIER, 2002, p8-9). L’ensemble du territoire national est découpé en communes, regroupées en départements, ces derniers à nouveau réunis en région. Ce système de représentation est entretenu par un ensemble de dispositifs. Les livres de géographie, les cartes touristiques, les panneaux routiers, mais également les différentes élections nous rappellent que ce système clair existe et a une efficacité (Ibid.). Un discours généralisé et répété autour de l’échelon communal comme lieu de rattachement et de la quotidienneté, dont le maire est l’interlocuteur privilégié de proximité, entretient ces représentations. L’échelon communal est, dès lors, logiquement associé au lieu de vie et de légitimité démocratique (BUSSI, 2006, p335). Pourtant, lors de la seconde moitié du XXe siècle, des modifications des réalités territoriales viennent perturber ce système de représentation. a) Métropolisation et complexification des territoires La société contemporaine est en prise avec des phénomènes nouveaux qui impactent son rapport à l’espace. L’urbanisation du XXe siècle et son accentuation ont tout d’abord entraîné une individualisation croissante des comportements (GRAFMEYER, ISSAC, 2004 ; DE SINGLY, 2003). Ensuite, la mondialisation économique et la globalisation des flux financiers ont provoqué pour leur part une remise en cause du système économique (SASSEN, 1996 ; VELTZ, 1996).
Métropolisation et métropole
Une des matérialisations de ces changements, à la fois résultat et moteur, est la métropolisation des agglomérations. En plus du phénomène d’urbanisation, la métropolisation est, « la concentration des hommes et des activités dans les principales agglomérations d’un système urbain donné. Cette dynamique s’appuie sur des régions urbaines qui se distinguent par leur capacité à polariser les grandes circulations planétaires de biens, de capitaux, de personnes, de connaissances scientifiques, de symboles, etc. Au cœur d’une mondialisation qui touche de plus en plus de domaines de la vie quotidienne, ces régions urbaines constituent les foyers de la production et de l’accumulation de richesses. Ce sont elles que nous nommons métropoles6 . » (HALBERT, 2010, p6). Le « statut » de métropole7 s’obtient non pas avec la fin du processus de métropolisation, mais avec le constat de la concentration au sein d’un même territoire métropolitain d’entreprises, de banques, d’universités, de capitaux, etc., ce que nous appellerons les fonctions métropolitaines, soit l’ensemble des activités à fort capital symbolique ou productrices de valeur ajoutée (JULIEN, 2002). Engagée avec la mondialisation économique, la métropolisation a des répercussions locales.
La complexification des territoires
La métropolisation s’accompagne d’une croissance démographique ainsi que du développement de l’urbanisation selon un double mouvement de densification et de dilatation (ASCHER, 1995 ; FLOCH, LEVY, 2011). La nécessité de se loger, ajoutée à la pression foncière et couplée avec le développement de la mobilité individuelle, a développé de nouveaux territoires, notamment périurbains, liés à la ville-centre (WIEL, 1999, p21). « Les citadins vivent quotidiennement de plus en plus à l’échelle de vastes zones urbaines traversant et fréquentant de multiples communes qui appartiennent parfois à des bassins d’habitat et d’emploi différents » (ASCHER, 1998a, p87). Cette complexité de la société se spatialise dans les territoires. Elle s’incarne dans de nombreuses problématiques comme celle du rapport centre – périphérie qui perd de sa puissance, de la limite ville – campagne qui s’estompe. Le schéma de la ville-centre se délite et de nouvelles structures urbaines plus complexes, polycentriques, émergent. La société 6 Nous utiliserons pour notre part, par soucis de simplification, le terme de métropole pour désigner des territoires dans un stade avancé de métropolisation. Il faudra distinguer l’usage générique du terme, synonyme de territoire métropolitain, de métropole d’intérêt européen, nouveau statut administratif existant depuis la dernière réforme territoriale de 2010. 7 Souvent autoproclamé. 12 urbaine s’étend, et la ville en tant qu’entité distincte de la campagne tend à disparaître (ASCHER, 1995 ; MONGIN, 2005). Les modes de vie urbains se généralisent dépassant la ville historique (CHOAY, 1994 ; LUSSAULT, 2009). Ce redéploiement de la société urbaine déstabilise la démocratie locale représentative. Les territoires institutionnels sont remis en cause pour leur incapacité à se saisir des nouvelles problématiques. Les repères territoriaux perdent de leur puissance. Les citoyens ne peuvent plus s’appuyer sur ces territoires dépassés par leurs pratiques. Les schémas établis des territoires administratifs sont déstructurés et les réseaux d’acteurs qui les composent également. Martin Vanier et Bernard Debarbieux définissent la complexité territoriale autour de la démultiplication et de l’imbrication des espaces de référence (BEBARBIEUX, VANIER, 2002, p14-15). Elle résulte d’après eux de trois processus : ■ la diversification des constructions identitaires des individus ou des groupes ; ■ la diversification des modalités pratiques et techniques des rapports à l’espace et au mouvement ; ■ la diversification des échelles pertinentes de l’action collective. Ces modifications de l’organisation spatiale et des modes de vie entraînent l’obsolescence des cadres de représentations des territoires classiques. b) Le territoire métropolitain, inaccessible aux représentations ? Pour André Micoud et Marie-Christine Fourny (FOURNY, MICOUD, 2002, p34) les habitants de périphérie organisent l’espace en deux niveaux : l’agglomération comme espace de sociabilité et de choix, et le logement comme lieu d’ancrage. Cette organisation spatiale présente un décalage avec les modes d’identification sociale et institutionnelle. Les habitants s’identifient principalement à la commune qui n’est guère plus qu’une adresse. Le sentiment d’appartenance privilégie un lieu unique, malgré la multiplicité des pratiques et des lieux de vie. Ce constat qu’André Micoud et Marie-Christine Fourny réalisent pour les habitants de la périphérie pourrait être étendu à de nombreux autres profils-types d’habitants8 . Avec l’individualisation de la société, chaque habitant fonde son propre territoire en réseau, suivant ses activités et son mode de vie. Les territoires construits par le groupe sont désormais à l’échelle de l’aire métropolitaine. Mais, contrairement aux lieux de proximité, « les limites des aires ne peuvent pas être appréhendées entièrement sans médiation d’instruments représentationnels (les cartes, les schémas, les images mentales), car elles excèdent toujours les capacités humaines d’appréhension et d’immédiation, in situ » (LUSSAULT, 2007, p100). Les espaces administratifs sont représentés par divers moyens : panneaux d’entrée et de sortie des communes, des départements, des régions, cartes, logos ou encore par des hommes (conseillers régionaux, généraux, maires, etc.) ; alors que les régions métropolitaines ne font pas l’objet de représentations matérielles. Pourtant, les territoires de vie s’organisent désormais à l’échelle des métropoles. Ces entités territoriales ne peuvent plus être appréhendées comme les espaces de proximité par les sens humains. Cependant, c’est à cette échelle que nous retrouvons désormais un territoire commun. Celui-ci se compose de l’ensemble des territorialités individuelles organisées autour d’un pôle urbain, mais sans pour autant être approprié par tous les individus. Cette multiterritorialité individuelle est plus signifiante que la mosaïque des territoires institutionnels (VANIER, 2008). Cependant, « les conventions de reconnaissances sociales et la charge signifiante des référents spatiaux semblent inviter à s’identifier à des formes pourtant débordées par les pratiques » (FOURNY, MICOUD 2002, p36). L’administration, la représentation démocratique empêchent la mutabilité des représentations de la ville-réseau et leur mise en cohérence avec les nouveaux modes de vie métropolitains. Le rituel démocratique du vote favorise la réduction des enjeux politiques à l’échelle des territoires administratifs.
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