Les origines : l’éducation formelle
La médiation culturelle n’est pas un concept créé de toute pièce par les politiques culturelles des années 80 afin de réaffirmer le concept de démocratisation culturelle. Ses racines sont plus anciennes, liées à l’éducation et à la transmission de savoir. Comme le précise Serge Chaumier et François Mairesse « C’est à partir de la Révolution Française et par la volonté affirmée publiquement de faire de l’instruction publique une cause nationale que l’on peut faire débuter véritablement la conception moderne qui nous intéresse ici »3. Cette nouvelle cause nationale « d’instruction publique » engendre à l’époque de nombreux débats au sein de la vie politique. Les missions reliées aux termes d’instruction et d’éducation sont discutées et notamment sur la complémentarité des deux où « l’instruction dont la mission se présente comme l’apport de connaissances et l’éducation qui doit susciter la réflexion et forger le citoyen comme homme libre et responsable parce qu’éduqué ».4 Il sera tranché que l’instruction passe par l’école et que la vie en dehors de l’école comme les fêtes et spectacles éduquent, « l’éducation est pensée d’emblée comme permanente et devant se déployer tout au long de la vie. La culture en devenant le bras armé ».5 Les orientations politiques soutenant à la fois l’instruction et l’éducation donnent naissance en 1871 au Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts. Une reconnaissance des publics va s’opérer progressivement lorsque le terme d’éducation prendra le dessus sur le mot instruction. En 1932, le Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts change de nom pour celui de l’Éducation nationale. Cette mise en avant du terme éducation montre une nouvelle orientation politique dans la prise en compte des personnes, « L’Éducation est plus large que l’instruction, essentiellement préoccupée à faire ingérer des contenus, elle entend former le corps et l’esprit du futur citoyen, en lui permettant de mieux s’appartenir. »6
L’émergence d’une éducation nouvelle :
L’action culturelle dans la vie quotidienne Avec la crise économique de 1936, le pays est confronté à une révolution culturelle liée à un certain nombre de mutations dans le champ de la culture et oblige les responsables politiques à se prononcer là-dessus. Les grèves du secteur privé accompagnent la victoire du parti socialiste et communiste ce qui donnera le Front populaire. Durant cette période se déroule un vaste mouvement culturel avec l’émergence d’une politique culturelle où la médiation est au coeur du projet. La médiation culturelle se déploie notamment à travers les loisirs : ce sont les bibliothèques et les musées qui mettront en oeuvre les premières actions de médiation. Plusieurs associations culturelles vont se créer sous la dynamique du Front populaire comme la DLP L’association pour le développement de la lecture public. Les bibliothécaires de la DLP avaient comme objectif : l’encouragement à la lecture. Pour cela, elles mettront en place comme dispositif de médiation le premier biblio bus afin d’aller vers les lecteurs. Une autre association va également se créer dans le domaine des musées : l’association populaire des amis des musées. « Elle consiste à dire : premièrement, ouvrons les musées le soir. Deuxièmement ces musées il faut les animer donc la PAM 7 va organiser le soir des visites d’ouvriers syndiqués au Louvre. La notion de musée va s’élargir, vont se créer à ce moment-là des notions inédites comme le Musée des arts et traditions populaires ou encore l’organisation de visites d’ateliers d’artistes vivants. Le gouvernement de 1936 met au coeur de sa politique la notion de culture dans la vie quotidienne. Les loisirs sont rattachés au Ministère de l’Education Nationale, ils font partie d’un vrai projet politique. Léon Blum Président du Conseil des Ministres, chef du gouvernement de l’époque est écrivain et grand critique de théâtre des années 1910, il est donc lui-même sensibilisé à cette question. L’objectif de ce gouvernement était : « premièrement de faire reconnaître des dignités culturelles aux productions populaires et le deuxième volet de cette ligne démocratique était de favoriser l’accès populaire à la culture. »9
Le courant de l’éducation populaire notamment à partir de 1944 avec la création du Ministère de l’éducation populaire et des Mouvements de jeunesse qui fusionnera en 1948 avec la Direction Générale de la jeunesse et des sports permettra de développer ce nouveau souffle d’éducation permanente lancé par le Front populaire. Le fondement de l’éducation populaire est de faire prendre conscience au peuple qu’il a la capacité de réfléchir par lui-même pour ainsi questionner la société et la transformer. Définition par le CNAJEP10 de l’éducation populaire : « L’éducation populaire, c’est l’ensemble des démarches d’apprentissage et de réflexion critique par lesquelles des citoyens et citoyennes mènent collectivement des actions qui amènent à une prise de conscience individuelle et collective au sujet de leurs conditions de vie ou de travail et qui visent une transformation sociale. » De nombreuses associations d’éducation populaire vont alors se créer au milieu du XXe siècle dans le but de développer des lieux de rencontres, d’échanges et d’entraide entre population d’origines sociales différentes. De nouveaux mouvements vont se lancer comme l’association Peuple et Culture qui valorise par ses actions une éducation permanente nécessaire à la vie quotidienne. D’autres associations importantes vont se créer comme les CEMEA, Centre d’Entrainement aux méthodes d’Education Active avec l’aide de Léo Lagrange.
Les CEMEA sont des organismes de formations, l’un des cinq objectifs des CEMEA, est de : « Faire vivre l’éducation formelle et non formelle, développer les pratiques culturelles et la lutte contre toutes les exclusions. »11 Les FRANCAS, Fédération Nationale des Francs et Frances Camarades sera également un mouvement important pour une éducation complémentaire à l’école. « Ils agissent pour l’accès de tous les enfants et de tous les adolescents à des loisirs de qualité, en toute indépendance, et selon le principe fondateur de laïcité qui, au-delà de la tolérance, invite à comprendre l’autre, pour un respect mutuel.»12 Ainsi la médiation culturelle se construit et prend forme sous l’influence de ces mouvements sociaux. Elle évolue d’un objectif d’instruction d’un contenu comme au départ avec le Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts à une construction citoyenne à l’aide d’un contenu avec la création du Ministère de l’éducation populaire et des Mouvements de jeunesse. « Ce sont donc les contenus qui sont au service de la médiation pour parvenir à construire quelque chose, non l’inverse. »13. La participation des personnes aux actions culturelles est développée pour créer du sens commun dans un contexte politique favorisant l’émergence de l’expression citoyenne. La personne est mise au centre des actions de médiation. La médiation culturelle est vue comme un outil de soutien dans une mission de transformation sociale. Cet important mouvement associatif va entrainer la création de postes d’animateurs socio-culturels pour concrétiser cette relation entre la culture et le public. Les équipements culturels fleurissent de plus en plus dans les années 1950, le personnel est d’abord formé par les fédérations d’éducation populaire comme Peuple et Culture ou encore les CEMEA ou les FRANCAS.
La création artistique avant tout : naissance de la démocratisation culturelle
La politique culturelle après 1945 avait pour objectif d’utiliser la culture et principalement l’art pour réaffirmer une dynamique de cohésion sociale. Sous le Président Charles de Gaulle, la culture aura dorénavant son Ministère, André Malraux devient le Ministre des Affaires Culturelles en 1959. Selon André Malraux, le rôle de l’Etat est de rendre accessible des oeuvres artistiques où la culture populaire n’y est pas intégrée. La création du Ministère des Affaires Culturelles sera consacrée à affirmer le fait national. « La culture apparaît comme un moyen de lier les individus à une idée pour souder et unifier le sentiment d’appartenance à la France. »14 Ainsi est né le concept de la démocratisation culturelle dans le décret du 24 juillet 1959, « la démocratisation culturelle a pour objectif d’initier un public non averti à la connaissance des chefs-d’oeuvre de l’Humanité par la révélation patiente et contemplation cultivée »15. André Malraux sera le Ministre des artistes et s’éloignera des associations populaires et de ses acteurs.
Il y aura une coupure avec le Ministère de l’Éducation nationale puisque le Ministère des Affaires culturelles renonce à intervenir dans le champ de l’éducation artistique au sein des écoles « Notre travail, c’est de faire aimer les génies de l’humanité et notamment ceux de la France, ce n’est pas de les faire connaître. La connaissance est à l’université ; l’amour, peut-être, est à nous.»16 Une séparation s’opère entre les actions d’éducation populaire et la nouvelle politique culturelle « Cette coupure avec le milieu associatif constituera un handicap qui entraînera des répercussions profondes sur le secteur de la médiation et de l’adresse aux publics, notamment ceux les plus éloignés. »17 André Malraux pense que l’art doit se révéler par lui-même au public où le sensible, l’imaginaire n’a pas besoin d’être éduqué, il renonce alors à un intermédiaire entre l’oeuvre et le public tel que la médiation. À l’opposé l’animation sociale et culturelle fait le pari que l’on accède d’autant mieux aux oeuvres lorsque l’on participe à une pratique artistique. La culture est alors rattachée à la création artistique là où les pratiques amateurs, moyen de médiation des animateurs socio-culturels, sont relayées au Ministère de la Jeunesse et des sports. « (…) en destinant les pratiques artistiques amateurs à être confinées dans des lieux séparés des institutions culturelles, André Malraux prend le risque d’engendrer deux rejets, celui des pratiques amateurs d’un côté, mais qui a pour reflet le rejet de la culture institutionnelle de l’autre. »18
Attestation de non-plagiat |