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Présentation de Mme B, anamnèse et antécédents médicaux
Mme B se présente comme une dame de petite corpulence fine et frêle. Elle a 86 ans. Fille unique, elle s’est mariée sur le tard et a exercé toute sa vie en tant que psychologue. Elle est entrée à l’EHPAD en décembre 2020, après le décès de son mari et l’évolution défavorable de son état de santé. Elle n’a pas d’enfant. Elle reçoit la visite d’une amie proche toutes les semaines, son ancienne dame de ménage. Une cousine lui téléphone ou vient la voir également de temps en temps.
Dans l’EHPAD, elle participe peu aux activités proposées et refuse de personnaliser sa chambre, refusant de considérer cet endroit comme son nouveau « chez-elle ». Elle dit se sentir enfermée, elle qui aimait beaucoup les marches dans la nature avec son époux. Elle s’ennuie et passe beaucoup de temps à somnoler. Le seul élément de sa chambre qu’elle s’est approprié est son lit. Le reste de sa chambre ne contient que ses vêtements ; les murs sont nus, il n’y a aucune photo ni meuble personnel. Quand on entre dans sa chambre, elle est systématiquement allongée sur son lit, sur le dos de tout son long, ce qui peut évoquer une image de mort. Parfois, elle marche sans but dans le couloir, en admettant chercher à s’occuper. Elle possède une canne qu’elle utilise peu car elle marche correctement sans. Elle est semi-autonome (aide partielle à la toilette et à l’habillage).
Concernant ses pathologies médicales, elle présente une leucoaraïose (raréfaction de la substance blanche sous-corticale). Elle a également une rétinopathie acquise d’aggravation progressive (cécité de l’œil gauche et myopie sévère de l’œil droit).
Mme B présente des troubles cognitifs suffisamment présents pour empêcher son maintien à domicile.
Elle souffre d’un syndrome anxio-dépressif. Elle a plusieurs traitements médicamenteux, dont des anxiolytiques et des anti-dépresseurs.
Bilans pluridisciplinaires et suivis
Mme B a été évaluée par la psychologue de l’EHPAD. Le MMSE (Mini Mental State Examination) permettant d’évaluer les troubles cognitifs chez la personne âgée, donne un score de 19, en mars 2021, ce qui laisse supposer un syndrome démentiel à un stade limite entre léger et modéré, au vu de son haut niveau d’éducation. Le syndrome démentiel est défini par le Collège des Enseignants de Neurologie comme un affaiblissement ou une perte de plusieurs fonctions intellectuelles (cognitives), entraînant une perte d’autonomie et des troubles comportementaux (CEN, 2016). Ces troubles sont dus à des lésions structurelles du cerveau (pertes neuronales), d’où leur caractère progressif et irréversible. Les troubles de la mémoire y sont centraux. Le DSM-5 (Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux, de l’Association Américaine de Psychiatrie) donne les critères diagnostiques et utilise le terme de trouble neurocognitif majeur, plutôt que syndrome démentiel.
De plus, le GDS-15, qui est une échelle de dépression gériatrique, donne un score de 7, signifiant une forte probabilité de dépression. Selon le DSM-5 (Manuel MSD, s. d.), l’épisode dépressif majeur est un trouble de l’humeur, caractérisé par au moins cinq symptômes parmi la liste suivante (dont a minima soit une tristesse persistante, soit une perte d’intérêt ou de plaisir), depuis au moins deux semaines : humeur triste, perte d’intérêt ou de plaisir, modification significative du poids ou de l’appétit (sans régime), insomnie ou hypersomnie, agitation ou ralentissement psychomoteur, fatigue ou perte d’énergie, dévalorisation ou culpabilité excessive, diminution de l’aptitude à penser ou se concentrer, pensées de mort récurrentes. Il y a dépression si le patient souffre, que le fonctionnement au quotidien est impacté.
L’évaluation en kinésithérapie par un test de Tinetti donne un score de 25, montrant un risque de chute modéré.
Après ces évaluations, en 2021, Mme B est restée quelques mois sans bénéficier de suivis particuliers dans l’EHPAD. Elle avait de plus en plus tendance à rester au lit toute la journée. Plus aucune animation ne semblait l’intéresser. Elle était isolée, non stimulée. Comme elle avait pratiqué la gymnastique dans sa vie, la psychomotricienne l’a conviée à venir participer à un atelier de renforcement musculaire et de prévention des chutes mené par un éducateur APA (Activité Physique Adaptée) les jeudis matin, jour de mon stage.
Premières rencontres
Les ateliers « prévention des chutes » de l’APA
Tous les jeudis, nous invitions les résidents à rejoindre l’atelier prévention des chutes de l’APA. Cet atelier comprenait une dizaine de personnes, dont Mme B. Les premières fois que je lui ai proposé de venir, Mme B ne se souvenait ni de l’atelier, ni de moi. J’ai donc dû me présenter à chaque fois et expliquer en quoi consistait l’atelier. En insistant un peu, elle acceptait de participer, se remémorant l’activité physique à laquelle elle s’adonnait plus jeune avec plaisir et assiduité. Pendant la séance d’APA, je restais près d’elle et l’aidais à suivre le groupe et à effectuer les mouvements. Sa mauvaise vue et ses difficultés de compréhension la perdaient, et le rythme de l’atelier était trop rapide pour elle. En effet, les autres participants, majoritairement sans troubles cognitifs, venaient en autonomie à l’atelier. Je la raccompagnais après à son étage. L’atelier n’était pas adapté pour elle.
L’évaluation psychomotrice : amorce d’alliance thérapeutique
Au vu de ses difficultés et du repli sur soi de Mme B, la psychomotricienne et moi avons décidé de faire un bilan psychomoteur. J’ai fait passer ce bilan en plusieurs fois : avec la psychomotricienne au début, puis seule.
Après les deux premières séances d’évaluation, je suis allée l’inviter à l’atelier APA, comme d’habitude. Allongée dans son lit, elle avait eu un malaise au petit matin et se sentait épuisée et très angoissée.
L’après-midi, elle se souvenait vaguement de mon premier passage. La voyant allongée, à ce moment-là, la convaincre de passer les épreuves de bilan me sembla inapproprié. Je lui demandai comment elle se sentait, et si elle préférait que je reste ou que je parte. Elle me demanda de rester.
Je lui proposai alors de la relaxation, par un toucher-massage au niveau des mains, elle accepta. J’ajustai ma tonicité pour que mon toucher soit doux tout en étant ferme, contenant, sécurisant, sans ambiguïté. Je décidai de caler mon rythme respiratoire sur le sien, afin de renforcer, en plus du contact tactile, la communication par le dialogue tonique entre nous. Puis, j’ai réalisé des mobilisations passives de Wintrebert. Yeux fermés, elle participait aux mouvements. Quand je lui ai demandé de déposer son poids dans mes mains, elle le fit. Ayant finalement l’impression qu’elle somnolait, je suis restée quelques minutes près d’elle, en silence.
Se redressant sur le lit, elle verbalisa que la relaxation l’avait beaucoup détendue. Commença alors une longue discussion. Elle évoqua son sentiment de solitude à l’EHPAD, son ennui, et son besoin de relation, même si pour elle à présent, « converser demande trop d’efforts ». Elle raconta des événements personnels ; son discours était construit, lucide, posé. Elle était pleinement présente. Nous avons pu terminer le bilan psychomoteur lors des séances suivantes. Mon visage devenait vaguement familier. Elle m’accueillait avec le sourire, même s’il fallait réexpliquer qui j’étais et pourquoi je venais.
Je pense que ce moment de partage et de relaxation avec elle, en s’accordant le temps, avec ma qualité de présence, a laissé une trace mnésique au niveau émotionnel qui m’associe à une sensation positive et a contribué à créer le lien thérapeutique.
Evaluation psychomotrice
L’examen psychomoteur que nous avons fait passer est basé sur des items de l’EGP (Examen Géronto Psychomoteur), le Timed Up and Go, l’EMG (Evaluation de la Motricité Gnoso-praxique distale), le Goodenough (présenté sous la forme d’un dessin de soi), le test de Piaget/Head. Plusieurs séances ont été nécessaires : Mme B est très fatigable et ses difficultés de compréhension rendaient la progression du bilan compliquée. Pendant toute la passation, l’attention était labile, Mme avait du mal à se concentrer sur les consignes.
Sémiologie psychomotrice de Mme B
Représentations du corps
Les somatognosies de Mme B sont préservées. Elle connaît et montre les parties du corps sur elle et les nomme sur autrui.
Les imitations de postures sont la plupart du temps réussies en immédiat ou en pièce à pièce sur étayage verbal important (compte tenu de sa malvoyance). Cependant, de rares fois, elle engage certaines parties du corps en étant persuadée de répondre à la consigne alors que ce n’était pas la partie demandée et ne corrige pas la posture malgré notre étayage. Le schéma corporel semble donc plutôt préservé et intégré mais présente des fragilités.
J’ai demandé à Mme B de « se dessiner telle qu’elle se sent aujourd’hui ». Elle dit qu’elle est fatiguée et qu’en conséquence elle va « dessiner quelque chose qui tombe ». Elle se dévalorise en disant qu’elle dessine mal et en rit doucement, sans sembler réellement craindre le jugement pour autant. Elle décrit verbalement son dessin tout en le faisant. Elle commence par le visage et fait des petits traits comme des hachures (pas de trait continu), comme pour sans cesse reprendre son tracé sans rien « affirmer ». Tout en dessinant de la main droite, sa main gauche demeure posée sur le bas du visage, cachant bouche et menton. Elle commente « c’est pas joyeux » et souhaite intégrer « un plateau pour la nourriture » (mais ne le fait pas). La silhouette est présente, de petite taille, occupant le quart supérieur gauche de la feuille. Plusieurs fois elle rajoute des cheveux. Mme B accorde de l’importance à sa chevelure, symbole de féminité : elle se recoiffe quand elle passe devant le miroir. Son dessin est consultable en annexe 1 (p. I).
De manière générale, ses attitudes renvoient à l’idée d’un corps subi. Debout dans un couloir, elle dit être totalement épuisée, « j’ai l’impression que mon corps va tomber dans la terre, mon corps est mou ».
Tonus et posture
Mme B présente une hypertonie de fond modérée. Elle est capable d’accéder au relâchement volontaire. Les mobilisations passives montrent de grandes amplitudes de mouvement, surtout au niveau des membres supérieurs. Concernant les membres inférieurs, le tonus est plus élevé et les amplitudes au niveau des chevilles sont limitées.
Assise, elle a tendance à s’affaisser et le buste se penche d’un côté ou de l’autre : elle ne tient pas son axe. Debout, elle est légèrement voûtée. Elle présente une hypotonie posturale. On remarque une prédominance des chaînes musculaires antéro-médiane et antéro-latérale, montrant une tendance au recentrage sur soi et à l’introspection. Quand elle est assise, elle croise les bras et les jambes, comme recroquevillée sur elle-même.
Motricité globale
L’équilibre bipodal statique debout se fait facilement sans appui, en unipodal avec appui.
La marche est lente, sans aide technique la plupart du temps, et sans traîner des pieds, avec une longueur de pas correcte et un polygone de sustentation réduit. La dissociation des ceintures est spontanément quasiment absente. Cependant, Mme B est capable de cette dissociation si elle doit le faire consciemment. Le ballant des bras dans la marche est difficile à voir car Mme B s’accroche toujours à son gilet en marchant. Le pied est posé à plat sans déroulement de la voûte plantaire. Les appuis sont fragiles. Sa démarche est par moments vacillante, et la trajectoire incertaine, légèrement déviante, peut-être davantage parce qu’elle ne sait plus où elle doit aller que par manque de contrôle posturo-moteur. Ses troubles de l’attention et sa déficience visuelle contribuent à la fragilisation de son équilibre.
Les transferts se font aisément : elle se lève sans difficulté d’une chaise (en s’aidant ou non des accoudoirs), ou du lit.
Le Timed Up and Go (cf annexe 2 p. II) montre un risque de chute modéré. Le meilleur essai est à 20 secondes, en partie dû au fait qu’elle a oublié la consigne et a dépassé le siège au retour. Concernant les coordinations, la sollicitation d’un seul hémicorps et les dissociations sont difficiles. Elle a tendance à engager les deux hémicorps simultanément dans des mouvements symétriques. Elle présente de temps en temps des persévérations motrices.
Espace
Mme B sait où elle est, dans quel établissement et dans quelle ville. L’orientation spatiale est préservée mais réduite aux périmètres familiers, dans lesquels elle évolue : sa chambre et son étage. Elle ne change jamais d’étage et ne sort pas dans le jardin de l’EHPAD seule. Les tests montrent une structuration spatiale relativement préservée. Elle décrit verbalement la configuration spatiale de son étage. Elle a donc une représentation mentale de l’espace familier, mais se restreint dans ses explorations de l’espace. Elle est autonome dans ses déplacements à son étage.
La latéralité et la réversibilité sont préservées.
Elle croise l’axe médian du corps, ce qui signifie que l’axe corporel est toujours intégré et que l’espace demeure unifié pour elle.
Temps
Malgré le rappel de la date du jour à deux reprises au cours du bilan, Mme B n’est pas en mesure de la restituer. Elle identifie difficilement le moment de la journée. Elle ne sait pas à quelle saison nous sommes. Elle se souvient de quelques événements (atelier APA, déjeuner) de sa journée mais pas dans la totalité, et ne nous reconnaît pas d’une fois sur l’autre. Elle pense être arrivée à l’EHPAD il y a deux mois, alors qu’en réalité elle est là depuis presque un an. Elle présente une désorientation temporelle.
Sensorialité
Mme B accepte le toucher et l’apprécie. Elle aime les mobilisations passives. Elle aime être guidée par le toucher quand elle n’arrive pas à effectuer un mouvement.
Elle a une cécité à l’œil gauche et une malvoyance à droite avec une acuité visuelle estimée à 3/10ème à l’œil droit. Ceci altère probablement sa perception de l’espace.
L’audition est efficiente.
Différentes propositions de prises de postures et de mouvements effectués yeux fermés montrent que les perceptions proprioceptives et kinesthésiques sont encore efficientes.
Motricité fine et praxies
La motricité fine de Mme B est préservée pour les actes ancrés dans la mémoire corporelle mais elle est entravée par sa malvoyance. Elle a cessé d’écrire.
Les praxies idéomotrices sont conservées : elle mime correctement des gestes de la vie courante ou exécute des gestes symboliques, sur demande orale.
Les praxies idéatoires sont préservées : Mme B sait faire ses lacets, boutonner un gilet, se brosser les cheveux, se brosser les dents, utiliser des couverts, écrire, par exemple. Elle participe cependant de moins en moins à la toilette et à l’habillage le matin, alors qu’elle en est capable d’un point de vue moteur. Elle dit être trop écrasée par la fatigue. Le soir, elle se déshabille seule.
Fonctions cognitives
• L’attention de Mme B est labile, et elle est très fatigable. Dès que les phrases sont trop longues, les mots compliqués, ou les consignes multiples, elle décroche et il est nécessaire de répéter plusieurs fois et de fragmenter les consignes. Sa fragilité attentionnelle empêche l’encodage mnésique.
• Mémoire : Mme B semble présenter un oubli à mesure, observable dans les épreuves de mémoire de l’EGP. La mémoire à court terme (immédiate, et mémoire de travail) est fonctionnelle si et seulement si elle accorde son attention, et si on lui répète plusieurs fois les informations. A court terme, elle mémorise mieux la dernière information donnée, il y a effet de récence. Le passage en mémoire à long terme est fragile. La mémorisation verbale échoue, malgré un contrôle de l’encodage avec indiçage et rappel immédiat. Le rappel libre différé échoue quelques minutes après, et l’indiçage est inefficace. Les informations n’ont pas été stockées dans la mémoire épisodique. Malgré notre insistance sur l’importance de mémoriser les postures, et sa stratégie de mémorisation (le « toit » pour les mains), le rappel différé est échoué, même indicé. Elle ne se souvient pas d’avoir exécuté les postures quelques minutes avant. Le stockage en mémoire kinesthésique a échoué, malgré l’emploi de moyens mnémotechniques trouvés elle-même.
• Langage : Sa fatigue et sa quasi-somnolence constantes entravent son articulation, ce qui donne une impression de confusion. Lorsqu’elle est disponible, Mme B s’exprime dans un langage soutenu et avec un vocabulaire riche, même si son discours est fréquemment perturbé par un manque de mot. Elle est capable de soutenir une conversation et d’avoir un discours structuré et cohérent. Elle peut exprimer des souhaits, des refus (avec tact), ou encore ses émotions de façon mesurée.
• Fonctions exécutives : Mme B contrôle son comportement et ses émotions. Elle ne présente aucune impulsivité. La flexibilité mentale semble conservée au sens où elle est capable de passer d’une tâche à une autre sur demande. Cependant, on remarque par moments des difficultés au niveau de l’inhibition motrice, et des persévérations. Elle présente des difficultés de planification.
Relation, communication non-verbale et aspects psychoaffectifs
Mme B est d’un abord souriant, avenant, tout en étant discrète. Elle apprécie d’être en relation avec autrui. Elle dit souffrir de la solitude. Elle discute volontiers. Malgré sa malvoyance, son regard cherche le contact, sauf quand son épuisement est trop grand : elle ferme les yeux tout en exprimant son besoin de repos. Elle a le visage expressif. La voix est audible et la prosodie conservée, mais elle articule peu. Au niveau de la proxémie, elle entre dans la distance intime quand elle cherche le contact. Mme B se touche beaucoup le visage avec une ou les deux mains, dans des moments de confusion, d’épuisement, ou d’anxiété.
Elle souffre de troubles anxio-dépressifs. Elle ne présente pas de troubles du comportement « bruyants ». Elle semble de plus en plus apathique. Elle manque de motivation pour s’engager dans des activités. Si l’on insiste, il se peut qu’elle accepte de participer aux propositions, pour finalement s’y soustraire. Elle éprouve peu de plaisir dans les activités en tant que telles. En plus de cette anhédonie, elle présente une aboulie : c’est la diminution ou la privation de la volonté, s’accompagnant de l’incapacité d’orienter et de coordonner la pensée dans un projet d’action ou une conduite efficiente (définition du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales).
En conclusion : le diagnostic psychomoteur
Mme B présente une bradypsychie, des troubles cognitifs handicapants (attention, mémoire épisodique antérograde), et une désorientation davantage temporelle que spatiale. S’ajoutent à cela une déficience visuelle d’apparition tardive et des problèmes de compréhension qui l’isolent en l’empêchant de s’engager dans des activités et de participer à la vie sociale de l’EHPAD. Le bouleversement de ses repères et la conscience de la perte de ses capacités alimentent son anxiété.
Sa perte d’élan vital se traduit par une hypotonie posturale, un ralentissement psychomoteur, une passivité, une asthénie et une fuite dans le sommeil. Mme B subit son corps et se dévalorise : elle perd confiance en elle. Elle désinvestit son corps et l’environnement. On peut faire l’hypothèse d’un sentiment de perte d’identité et de dégradation de l’image du corps, tout ceci en lien avec son syndrome dépressif.
L’axe corporel est une construction tonique et psychique, représentative du Moi, qui permet de déployer ses fonctions instrumentales dans l’espace perçu comme unifié, et d’avoir une appréhension structurée de son propre corps. Mme B se voûte et passe beaucoup de temps allongée au lit, tout en désinvestissant l’environnement. Même s’il semble toujours intégré, il y a un risque de perte progressive de l’axe corporel et de perte d’accès à la verticalité.
Pourtant, elle est avide de relation, le verbalise, et a de nombreuses capacités. Au niveau de la motricité globale, elle est autonome dans ses transferts et déplacements, même si ses équilibres sont altérés par ses appuis fragiles, son défaut de vigilance et sa malvoyance. Par conséquent, il existe un risque de chute avéré, mais qui reste modéré.
Autres points d’appui, le schéma corporel, la latéralité, et la sphère spatiale sont encore relativement préservés. Cela lui donne la capacité de déployer ses fonctions instrumentales. D’ailleurs, ses praxies sont conservées et elle reste plutôt autonome. Quand elle est motivée par des activités physiques douces qu’elle a toujours appréciées, elle sait réaliser des mouvements relativement précis et amples, et évoque spontanément le plaisir que cela lui apporte.
La relation, les échanges, le toucher, et l’imitation peuvent la soutenir dans ses expériences psychomotrices.
Objectifs thérapeutiques et projet psychomoteur
A court terme, l’objectif en psychomotricité pour Mme B est de :
• Soutenir la valorisation de soi, le réinvestissement de son propre corps et de son environnement en l’aidant à prendre conscience de ses ressources internes, retrouver de l’élan vital
• Améliorer ses compétences motrices afin de diminuer le risque de chute et conserver son autonomie le plus possible
Sur le long terme, l’objectif est de favoriser la relation à autrui pour rompre son isolement et soutenir son identité. Nous espérons qu’elle investira sa chambre, la personnalisera, et participera à la vie sociale de l’établissement. Nous veillerons également, en trame de fond, à stimuler indirectement ses capacités attentionnelles et mnésiques.
En termes d’axes de travail plus précis sur les items psychomoteurs, le but est de :
• Renforcer la solidité des appuis, de l’ancrage, ainsi que l’axe corporel, afin d’améliorer ses équilibres, à la fois physique et psychique
• Préserver la motricité globale pour soutenir l’intégrité du schéma corporel et prévenir sa dégradation
• Encourager la prise d’initiatives dans le plaisir du mouvement et la valoriser pour rendre Mme B actrice et davantage confiante, pour valoriser l’image du corps
Nous avons proposé, au début de la prise en soins, une séance d’une heure par semaine en petit groupe de quatre personnes : la psychomotricienne et moi, Mme B, et une autre résidente très impliquée dans la vie sociale de l’établissement, Mme F, autour de la médiation taï chi chuan. Le petit groupe de quatre a été formé au début pour proposer un cadre contenant et sécurisant à Mme B, favoriser une ouverture à la relation, et soutenir le sentiment d’identité. Cependant, la prise en charge en groupe n’a pas duré, et Mme B a été suivie en individuel.
En psychomotricité, les propositions s’appuient grandement sur les appétences et goûts des patients, afin de favoriser l’émergence de plaisir en séance. C’est un moyen pour, tout d’abord, faciliter l’instauration de l’alliance thérapeutique, et ensuite, motiver le patient. Ainsi, la séance permet de « mettre au travail » via l’adhésion de la personne. La dimension plaisir en séance est un élément capital pour à la fois, favoriser l’engagement du patient, et soutenir les progrès par un meilleur ancrage dans la mémoire corporelle.
Table des matières
Introduction
1 Mme B
1.1 Présentation de Mme B, anamnèse et antécédents médicaux
1.2 Bilans pluridisciplinaires et suivis
1.3 Premières rencontres
1.3.1 Les ateliers « prévention des chutes » de l’APA
1.3.2 L’évaluation psychomotrice : amorce d’alliance thérapeutique
1.4 Evaluation psychomotrice
1.4.1 Sémiologie psychomotrice de Mme B
1.4.2 En conclusion : le diagnostic psychomoteur
1.5 Objectifs thérapeutiques et projet psychomoteur
2 Le plaisir, un élément clé pour relancer l’élan vital
2.1 Définition du plaisir
2.2 L’élan vital, en lien avec le plaisir
2.3 Le point de vue de la psychanalyse
2.3.1 Libido et principe de plaisir
2.3.2 Vieillissement et libido
2.4 Neurobiologie du plaisir
2.4.1 Le système de la récompense
2.4.2 Dopamine et sérotonine : des hormones du bien-être
2.5 Plaisir et mémoires
2.6 Quand le plaisir disparaît : démotivation, apathie, ou dépression ?
2.7 Répercussions psychomotrices de la perte d’élan vital
2.8 La perte d’élan vital de Mme B
2.9 Qu’entend-t-on par plaisir en psychomotricité ?
3 La médiation corporelle en psychomotricité
3.1 Qu’est-ce que le mouvement ?
3.2 Les liens entre motricité et vie psychique
3.2.1 Le mouvement, reflet de la vie psychique
3.2.2 Le corps en mouvement, source de vie psychique
3.2.3 Mouvement, tonus et émotions
3.2.4 L’intégration psychomotrice
3.3 Médiation corporelle et mise en mouvement
3.4 Quelle médiation par le mouvement pour Mme B ?
3.5 Le taï chi chuan : une approche holistique
3.5.1 Origines et esprit de la pratique
3.5.2 L’énergie, le « Qi », ou « Chi »
3.5.3 Principes fondamentaux
3.5.4 Imitation et engagement du schéma corporel
3.5.5 Mouvement lent et conscience corporelle
4 Evolution de la prise en soins de Mme B
4.1 Cadre thérapeutique
4.2 Conception de la séance
4.3 Première et unique séance de groupe
4.4 Evolution au cours des séances individuelles
4.4.1 Première séance individuelle : curiosité, et un souhait pour le printemps
4.4.2 Fausses notes dans le dialogue tonico-émotionnel
4.4.3 La chute, même pas peur !
4.4.4 Visualisation et élan tonique
4.4.5 Danse à deux
4.4.6 Mme B investit sa prise en soins
4.4.7 Evolution
5 Discussion
5.1 Le soin psychomoteur en gériatrie
5.1.1 Le dialogue tonique
5.1.2 La fonction contenante
5.1.3 Le toucher
5.1.4 Le regard
5.2 Quel chemin pour retrouver l’élan vital ?
5.2.1 Stimuler les sens
5.2.2 Enrichir et valoriser les représentations du corps
5.2.3 Renforcer l’axe corporel : la verticalité, symbole de l’élan vital
5.2.4 Diriger son regard
5.2.5 Explorer l’espace et le temps
5.2.6 Moduler son tonus
Conclusion
Références bibliographiques et sitographiques
Annexe 1 : Dessin de soi de Mme B
Annexe 2 : Timed up and go de Mme B
Annexe 3 : MMSE de Mme B, mars 2021