La matérialité du mental dans L’Homme neuronal de Jean de Jean- de JeanPierre Changeux

La matérialité du mental dans L’Homme neuronal de Jean de Jean- de JeanPierre Changeux

Le darwinisme neuronal de Changeux Jean-Pierre

Changeux apparaît comme l’un des plus grands représentants du darwinisme neuronal ou darwinisme neural-mental. Celui-ci se présente comme une hypothèse de la pensée évolutionniste en neurosciences selon laquelle le processus de la connaissance s’effectue par sélection de groupes neuronaux. Ainsi, cette architecture neurale-mentale qui va des composantes moléculaires et cellulaires aux « objets mentaux » est régie par une forme d’organisation dans laquelle règne une certaine dépendance entre les niveaux inférieurs et supérieurs. Pour expliquer ce rapport d’interdépendance au sein des groupes neuronaux, Changeux met en exergue un schéma de variation-sélection analogue à celui proposé par Darwin à travers sa théorie de l’évolution. Rappelons que Darwin, à travers son célèbre ouvrage intitulé L’Origine des espèces, souligne l’importance de la « lutte pour l’existence ». En effet, il introduit le principe de la « sélection naturelle » comme mécanisme de « conservation des variations favorables et rejet des variations nuisibles ». D’inspiration darwinienne, Changeux soutient que l’évolution par variation et sélection peut s’appliquer au développement du cerveau d’une manière strictement épigénétique, sans entraîner aucune modification du génome. Un des avantages de cette thèse développée aussi par Gérald Maurice Edelman, directeur de l’institut de neuroscience à La Jolla en Californie, dans sa Biologie de la conscience sous le sous-titre de « darwinisme neuronal » est de permettre de mieux comprendre la variabilité épigénétique de notre organisation cérébrale. A ce titre, nous pouvons retenir l’idée de la sélection naturelle résumée dans L’Homme neuronal en ces termes : « Pour qu’un système s’auto-organise, il va de soi qu’il ne saurait y avoir seulement de création de diversité. Une sélection pourra avoir lieu par la comparaison des objets mentaux entre eux, par leur entrée en résonance ou leur dissonance. » 9 9 Ibid., p. 227-228. 14 L’idée de Changeux est que le système d’organisation interne des gènes du cerveau s’effectue à la fois à travers un générateur de diversité et un système de sélection. A un moment donné, des éléments mentaux se recombinent entre eux, varient de façon aléatoire, et élaborent des formes transitoires qui relèvent du niveau d’organisation supérieur. Il y a donc production de variations « darwiniennes » qui peuvent accéder transitoirement à ce niveau supérieur d’organisation. Ainsi, un mécanisme de sélection stabilise certains de ces états transitoires et engendre un niveau d’organisation plus élevé – celui de la pensée – où s’élaborent l’organisation des conduites, la planification des comportements, les intentions etc. Autrement dit, l’organisation génétique du cerveau caractérisée par un système de variation-sélection au niveau des assemblées de neurones lui confère des propriétés associatives qui favorisent des enchaînements et emboîtements à partir desquels émergeraient des fonctions mentales. Le mental serait donc le produit d’une activité combinatoire qui procède par stabilisation sélective du capital génétique. Ainsi, c’est à partir de ces opérations qui se réalisent sous forme de système dans lequel apparaît une multitude de neurones divers et variés qu’émergent des états mentaux tels que la conscience. D’ailleurs, de l’avis de Changeux : « Ces enchaînements et emboîtements, ces  » toiles d’araignée « , ce système de régulation fonctionneront comme un tout. Doit-on dire que la conscience  » émerge  » de tout cela ? Oui, si l’on prend le mot  » émerger  » au pied de la lettre, comme lorsqu’on dit que l’iceberg émerge de l’eau. Mais il nous suffit de dire que la conscience est ce système de régulations en fonctionnement » 10 . Il ressort donc de ce constat du neurobiologiste français qu’un état mental comme la conscience est un processus, une fonction du dispositif cérébral émanant de l’interconnexion entre les neurones. Il s’inscrit ainsi dans la perspective émergentiste selon laquelle les processus évolutifs sont compatibles avec l’apparition des formes mentales et organiques plus complexes qui émergent au cours de l’évolution. Ce qui implique qu’il existe des niveaux d’organisation distincts tels que la conscience qui se réduisent, par leur nature, aux états qui les produisent ou aux mécanismes causaux physicochimiques.

Les origines génétiques du cerveau humain

L’universalité de l’homme et de son cerveau est à rechercher dans ses gènes. En effet, des recherches ont montré que le génome humain est extrêmement voisin de celui du singe. De ce point de vue, on pourrait dire que l’homme est la continuité de la lignée des hominidés, c’est-à-dire qu’il serait issu de la famille des primates fossiles et de ces récents ancêtres. Ce passage des ancêtres de l’homme à l’Homo sapiens s’est manifesté par un accroissement du cerveau. Seulement un petit nombre d’évènements génétiques est intervenu au cours de l’ « hominisation ». D’ailleurs, selon le constat de Changeux : « Tout le monde s’accorde donc sur le fait que, sur le plan génétique, le chimpanzé et l’homme sont extrêmement proches. Cependant leur cerveau et surtout leurs fonctions cérébrales diffèrent sensiblement… » 13 Bien que le cerveau de l’homme, notamment ses fonctions cérébrales soient plus développées que celui des autres espèces, il y aurait une certaine homologie entre les chromosomes humains et ceux du singe considéré comme son ascendant le plus proche. Ainsi, grâce à la découverte de la structure de l’acide désoxyribonucléique (ADN), cette molécule, principal constituant des chromosomes, qui sert de support à l’information génétique et à sa transmission héréditaire, il est possible de déterminer l’épigenèse qui a conduit à la compréhension des bases génétiques du cerveau humain. Ce qui implique alors que pour mieux comprendre le fonctionnement de notre appareil cérébral, il serait nécessaire de connaître la composition de ce support matériel de l’hérédité qu’est l’ADN. 13 Ibid., p. 337. 17 De ce point de vue, nous pouvons être d’accord avec Changeux sur l’importance de cette unité génétique dans la compréhension de la structure du cerveau. Pour lui : « Comprendre le déterminisme génétique de l’organisation cérébrale passe par le déchiffrage de l’ADN et de son expression en protéines. Le neurobiologiste doit se convertir en biologiste moléculaire. Mais la génétique moléculaire du cerveau est encore dans les limbes » 14 . De ce fait, l’ADN dont l’analyse aboutit à la découverte d’une molécule telle que l’acide ribonucléique (ARN) ou messager, traduite en protéines, apparaît ici comme l’élément fondamental à partir duquel l’on pourrait avoir une idée claire de la structure génétique du cerveau. Il se révèle ainsi être le constituant principal des gènes, la molécule porteuse des caractères héréditaires. Il y a lieu alors, pour le chercheur en neurobiologie de s’imprégner des données de la biologie moléculaire puisque la connaissance de cet héritage génétique est une condition sine qua non de la compréhension du dispositif génétique à l’origine de l’organisation neuronale. En effet, les bases de la génétique peuvent, à partir des lois de transmission de certains traits héréditaires, servir à expliquer et à comprendre l’ « encéphalisation » et la croissance du cerveau humain. C’est ce que semble confirmer Changeux dans ces lignes : « Cette continuité de l’évolution anatomique de l’encéphale s’accompagne d’une au moins égale continuité dans l’évolution du génome. Celui-ci varie même beaucoup moins que celui-là. Le paradoxe d’un accroissement de complexité cérébrale à stock de gènes constant trouve enfin un début d’explication » 15 . A travers ce passage, l’auteur montre la concomitance qui existe entre l’évolution génétique et l’évolution cérébrale. Ce qui importe de noter ici est que le cerveau subit plus de changements que le génome mais apparaît comme un organe dont la structure neuronale est presque achevée avant la naissance. Malgré tout, en s’appuyant sur la 14 Ibid., p. 243. 15 Ibid., p. 358. 18 composition génétique, on pourrait rendre compte du fonctionnement du cerveau, cet élément très complexe du système nerveux. En effet, les études menées sur le développement humain montrent bien que la division des neurones corticaux s’effectue avant la naissance de l’enfant. Ce qui signifie que le nombre de neurones est définitivement déterminé entre le stade embryonnaire et la formation du fœtus. Après la naissance, il n’y aurait peut-être plus de possibilité de récupération – à la suite d’une lésion cérébrale par exemple – encore moins d’augmentation du nombre de neurones qui, ne fait que diminuer, au contraire, jusqu’à la mort de l’individu. La quasi-totalité de la formation neuronale s’est déjà réalisée au stade prénatal. C’est d’ailleurs dans ce sens que nous pourrions comprendre cette idée de Changeux qui indique la période principale de constitution de la majorité des neurones. Il note : « Bien avant la naissance, le nombre maximum de neurones corticaux est donc atteint. L’homme naît avec un cerveau dont le nombre de neurones ne fera que diminuer par la suite. […] Les grandes lignes de la connectivité du cortex cérébral, chez le singe comme chez l’homme, se mettent en place avant la naissance » 16 . Ce qu’il y a à retenir ici c’est l’idée selon laquelle la formation du dispositif neuronal est presque achevée avant la naissance de l’homme. De ce point de vue, nous pourrions dire que naturellement, les traits fondamentaux des connexions entre les organes de sens, le système nerveux central et les principales régions de l’encéphale sont déjà mis en place pendant la période de gestation. Ce qui montre que l’individu naît avec un dispositif biologique qui favoriserait l’émergence de fonctions cognitives, sensori-motrices, etc.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA CONSTITUTION GENETIQUE DU CERVEAU HUMAIN
CHAPITRE PREMIER : LA THESE EVOLUTIONNISTE
1. Le darwinisme neuronal de Changeux
2. Les origines génétiques du cerveau humain
CHAPITRE II : L’HERITAGE BIOLOGIQUE ET SOCIOCULTUREL
1. La transmission génétique
2. La transmission socioculturelle
DEUXIEME PARTIE : L’EXPLICATION PHYSICO-CHIMIQUE DU MENTAL CHEZ CHANGEUX
CHAPITRE III : LE CERVEAU, RECEPTACLE DES FONCTIONS COGNITIVES
1. Anatomophysiologie du cerveau
2. Les thèses localisatrices
CHAPITRE IV : LE CERVEAU, UN RESEAU NEURONAL
1. La théorie psychoneurale de Changeux
2. Le mental, un processus de la machine cérébrale
TOISIEME PARTIE : ENJEUX ET CRITIQUES DE L’ŒUVRE
CHAPITRE V : PROBLEMES EPISTEMOLOGIQUES .
1. La complexité du cerveau
2. Obstacles scientifiques
CHAPITRE VI : ENJEUX PHILOSOPHIQUES
1. La spécificité de l’humain
2. Un problème idéologique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHI

 

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