Conclusion de la partie des traductions encadrées par des machines médiatiques
On peut affirmer que ce long détour sur les différentes instanciations des métalangages en contexte de technologies et de médias a permis de préciser théoriquement l’approche du vernaculaire de réseau avant d’entrer dans le vif du sujet. Tout d’abord, il a été important de rappeler que la recherche Internet est prise dans des problématiques déterministes. L’artefactualité du réseau est traversée de différentes traductions qui tendent à véhiculer des conceptions englobantes du média. En effet, l’idée de métatechnologie, c’est-à-dire une technologie qui revient sur ses modalités de conceptions et de productions, pourrait déboucher sur des idéologies déterministes : l’infrastructure technologique déterminerait le social, ou au contraire, le social, superstructure de la civilisation humaine, programmerait le technologique pour arriver à ses fins (qu’elles soient considérées comme positives ou négatives). Le méta- langage des techniques pourrait ainsi être attaché à une véhicularisation de discours qui cherchent à assigner des sens téléologiques sous la forme de normes et de valeurs socio- techniques. Pourtant, la perspective « méta » appliquée à Internet comme média permet de nuancer ces perspectives.
La logique méta-médiatique est appropriable : ses programmes logiques sont en dialogue avec ses programmes culturels. Si des conflits institutionnels émergent dans ce dialogue, ils ne font qu’éclairer la complexité du réseau comme un être trivial, vivant et fait de codes hétérogènes. Les productions culturelles de ce réseau sont ainsi envisagées comme des textes, qui prennent sens dans des contextes culturels, mais qui, plus précisément, sont les processus de dispositifs d’écriture à sens multiples, hétérogènes, et instables. Au-delà de la surface des écrits d’écran, des architextes sont à l’œuvre qui encadrent, conditionnent et génèrent ces productions, mais ne les déterminent pas en totalité. En identifiant des métatextes de réseau, je souhaite ainsi éclairer une culture de la communication de réseau qui s’exprime dans un folklore réflexif sur la culture technique d’Internet. Ils sont les intertextes qui dynamisent la culture Internet en proposant une création expérimentale collective que l’on peut envisager comme un infra-littéraire. Ces métatextes mettent également au jour les processus d’appropriation des architextes, leur logique et leur dynamique du « Read/Write » (RW).1 C’est pour lui une façon de s’opposer à celle contre du « Read Only » (RO), caractéristique des conceptions propriétaires des objets culturels et qui limite l’appropriation par des formats et des lois (algorithmiques ou juridiques) les « fermant » à la possibilité de transformation (Lessig, 2008 : 28).
L’environnement d’Internet est pour lui favorable au « RW », c’est-à-dire un ensemble de documents en réseau qui ne sont pas verrouillés, mais réinscriptibles et participant de la réinvention permanente de la culture et de la technologie. Plus encore, elle est historiquement liée à des périodes d’intense créativité des acteurs d’Internet sur le plan de la production de textes en réseau. Il dégage ligne en même temps qu’ils la produisent, l’échangent, et la transforment, dans un processus de trivialité culturelle. L’aisance avec laquelle un utilisateur de Usenet peut contribuer à l’élaboration d’une information de réseau en envoyant des messages électroniques qui engagent et participent à une conversation globale, est problématisée par le fait que chacun se fait sa propre idée au sujet de la valeur de cette information. Si l’information circule, c’est qu’elle prend part à un système de communication et de traitement des messages qui dépasse les autorités individuelles tout en circulant. L’autorité des messages se double ainsi d’une responsabilité, non pas morale, mais informationnelle : que devient un message quand il est traité dans ce système ? Comment prend-t-il part à un interdiscours collectif ? Sur Usenet, la première plateforme de conversation à grande échelle de l’Internet, langage et information sont ainsi pris dans une problématisation alors qu’on apprend à parler sur le réseau à travers des ordinateurs, et en public.
Le folklore Usenet accorde une place privilégiée à ces interrogations qui traduisent dans la communication médiatisée des modes de divertissement et d’expérimentation. L’interdiscours de réseau se transforme en un intertexte écrit par des milliers de mains qui a pour auteur le collectif. L’autorité complexe du discours sur Usenet est produite dans un contexte socio-technique et donc grâce à des dispositifs techniques conditionnés par les utilisateurs et conditionnant en retour ces utilisateurs. Les utilisateurs de Usenet sont avant tout des usagers des systèmes d’information mis en place pour utiliser ce réseau : la hiérarchie des groupes, les règles de publication et de transmission des messages, les outils des logiciels de lecture et d’écriture des messages sont des conditions de production des textes qui, sinon déterminantes, sont importantes pour comprendre ce qu’est l’information en ligne. Je m’intéresserai ainsi aux productions textuelles de Usenet qui engagent une réflexion folklorique (et non scientifique ou purement technique) sur les architextes de leurs écrits en réseau. Cette réflexion transforme le simple utilisateur en usager par une forme de récursivité métatextuelle que j’ai définie dans la partie précédente.