LA LIBERTÉ DE CIRCULATION ET LE DÉVELOPPEMENT
La signification et le contenu du principe de l’intangibilité des frontières africaines
Il ne saurait être question d‟une aussi importante règle de droit international, que le principe de l‟intangibilité des frontières, sans observations. En effet, il a une histoire fortement liée aux pays issus de la colonisation, dont la majeure partie se trouve sur le continent africain. 637 Mais pour mieux cerner cette idée, il faut partir du fait qu‟il existerait un lien tangible entre ce principe et l‟utis possidetis, dans lequel lien, le second principe s‟applique chaque fois qu‟une situation porte sur l‟interprétation du premier. Dans ce lien de complémentarité, l‟interprétation de l‟utis possidetis, contribue à donner un sens fort utile au principe de l‟intangibilité qui implique aussi le principe de l‟intégrité des frontières héritées de la colonisation. Tous ces principes s‟entremêlant afin de permettre d‟asseoir la règle du droit acquis en faveur de celui qui l‟invoque, notamment, les Etats issus de la politique coloniale, il serait utile d‟essayer de comprendre (A) la signification du principe qui nous intéresse le mieux, à savoir le principe de l‟intangibilité des frontières 637Même si les pays africains ont reconnu qu’ils devaient s’inspirer de l’exemple sud américain pour une meilleure application de ce principe, n’empêche qu’ils en ont fait une application exemplaire, au point que d’aucun ne se rende pas compte qu’il a prévalu fortement sur le continent des langues hispanophones avant de déposer ses valises en terre africaine 241 étatiques. Cette démarche, dans son déroulement, nous amène inévitablement à étudier diverses règles de droit. Parmi ces règles de droit, il sera question du principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures de l‟Etat ou encore le principe de l‟intégrité territoriale de l‟Etat. Enfin, nous ferons cas dans notre approche du principe si chers aux Etat membres de l‟ONU, notamment ceux issus de la colonisation, à savoir le principe de l‟égalité des Etats. Aussi aura-t-elle effet de nous conduire à appréhender (B) le contenu de cette règle de droit international, donc, de l‟analyser aisémentdans son interprétation par les Etats africains. A- La signification du principe Dans notre démarche portant sur l‟étude du contenu de ce principe, la question suivante s‟offre à nous : Pourquoi le principe de l‟intangibilité des frontières étatiques ? Elle pourrait conduire à s‟intéresser un peu à l‟historique du principe, ainsi qu‟à d‟autres préoccupations liées à la démarche utilisée. À l‟origine, le principe a été soulevé en Afrique noire, au moment de la libération du continent par les pères fondateurs des nouvelles entités étatiques.638 En effet, les luttes pour les indépendances de territoires africains devront s‟accompagner de luttes pour la préservation intégrale des nouveaux espaces politiques dits recomposés du fait de la colonisation. Dans cette autre lutte, les intérêts et enjeux étant divers, ceci implique pour ces raisons et pour diverses autres que l‟ancienne métropole colonisatrice s‟y mêle, tantôt pour soutenir les nouvelles autorités, tantôt pour tenter de donner à leur filleul un dirigeant du même bord politique. À l’approche de l’indépendance, les anciennes puissances colonisatrices n‟ont pu s‟empêcher d‟intervenir dans la gestion des affaires politiques, économiques et autres des anciennes colonies. D‟aucuns des observateurs ont pu faire remarquer que ceux-ci avaient toujours le 638Tout pourrait partir de l’insertion dans la Charte de l’OUA, parmi ses principes fondamentaux, du principe qui appelle : «au respect delà souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque Etat et de son droit inaliénable à une existence indépendante» §3 de l’article 3. En outre de cet article, il y a la résolution du sommet de l’OUA de juillet 1964, au Caire, ou il est mentionne : «Déclare solennellement que tous les Etats membres s’engagent à respecter les frontières existant au moment où ils ont accédé à l’indépendance». contrôle de la situation, cela en vue surement, d’influencer le processus dans le sens de leurs intérêts. Après l’indépendance, fort de leur supériorité militaire et économique suivie de l‟ascendance, ils pouvaient sans trop grande difficultés conserver sur les anciennes colonies, un certain contrôle même de leurs affaires au plan international. Cette attitude, du reste à inscrire dans la continuité de la stratégie coloniale, faisait qu‟Ils tenaient en général à défendre des positions qu’ils avaient bâties dans le contexte territorial de la colonie et qui, estimaient-ils, seraient mieux défendues en conservant ce contexte tel qu’il était. 639 Ce choix des puissances colonisatrices était très difficile d‟appréhension pour les nouveaux Etats indépendants d‟Afrique, dont les nouveaux dirigeants avaient désormais à résoudre l‟épineuse problématique de développement économique de leur pays, cela avec le soutien indispensable de l‟occident. Les revendications sécessionnistes et indépendantistes qui avaient pour enjeu fondamental la remise en cause des frontières, même dans des contextes où elles étaient bien plus limitées, ont avant tout entraîné des guerres, bien plus souvent que des réaménagements satisfaisants et pacifiques. Ces situations conflictuelles ont tenté de convaincre de la thèse selon laquelle toutes les frontières étatiques d‟Afrique noire sont contestables sur toute leur longueur. Le constat que l‟on pouvait faire est que tout Etat africain pouvait se trouver dans la situation peu emballante d’avoir sur son territoire une province jouant les Etats du Sud en 1860, l’Alsace et la Lorraine sur une de ses frontières, le corridor de Dantzig sur une autre, et la troisième dans les Balkans à la veille de Sarajevo. On comprend que le status quo ait semblé préférable. À juste titre alors, l’Organisation de l‟Unité Africaine, fortement convaincue par le nombre élevé d’absurdités frontalières qui couvrent le territoire africain, dès sa création, proclama l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Elle n‟eut à cette époque là aucune véritable difficulté à réunir l‟unanimité des dirigeants politiques africains, même au sein des plus fortes 639En effet, les nombreux cadres économiques politiques, tel que la CEAO ou encore le maintien du Franc Communauté Française (CFA) ou encore le Commonwealth, mis en place au niveau régionale, rentrent dans cette ligne directrice. 243 rivalités idéologies politiques et culturelles qui prévalaient en ce moment sur le continent. La suite de ce positionnement politique, c‟est un ensemble de décisions de justice et de décisions politiques issues de différents modes de règlement des différends qui suivront pour affirmer le principe et le rendre effectif.640 Au plan juridictionnel, c‟est le différend entre la République du Mali et celle du Burkina Faso qui mettra à niveau la position des autorités politiques africaines qui ont eu la même position que le juge international. Néanmoins, ce sont les affaires mauritaniennes et algériennes qui, très tôt, ont vu les Etats africains se prononcer en faveur de la préservation de l‟espace territorial colonial. En effet, l‟attitude des Etats africains est marquée par une originalité qui, à long terme, est à la base de la distinction à établir, bien que poursuivant un même objectif, entre le principe de l‟intégrité territoriale et celui de l‟intangibilité des frontières coloniales. Les Etats africains adoptèrent une position qui a permis de préciser la définition et la fonction du principe de l‟intangibilité des frontières en ce sens que ceux-ci arrivèrent ainsi à justifier la nécessité d‟intégrer ce principe dans le corpus du droit international.641 Face aux revendications Marocaines jugées expansionnistes, les Etats d‟Afrique noire prenaient une position commune pour l‟adhésion et la reconnaissance de la souveraineté internationale de la République Islamique de Mauritanie. En effet, conscients du poids de la colonisation sur l‟histoire de leursentitésétatiques, ainsi que les conséquences en termes de balkanisation des empires africains, les autorités politiques africaines, estimaient, devant la tribune des Nations Unies en 1960 et en 1961, que leur position commune de préservation des frontières coloniales devait s‟entendre aussi et surtout, saisir dans un contexte de risque permanent de scission 640On pouvait en ce moment là, parler de consécration conventionnelle du principe de l’intangibilité des frontières africaines. Par une décision unilatérale, en date du 9 décembre 1960, le Liberia renonce à toute revendication territoriale sur la République de Guinée. Le 9 novembre 1961, le Liberia par une Déclaration accepte, dans le cadre d’un accord avec la Côte d’ivoire, les frontières coloniales. Dans ne déclaration à la radio, au mois d’aout 1962, le Niger par la voix de son Président de la République Monsieur Hamani Diori, précise qu’il n’avait aucune revendication territoire Algérien. Par la signature d’un accord sur le tracé frontalier, en date du 27 février 1962, le Mali et le Niger, s’engagèrent à avaliser leurs frontières coloniales. On pouvait alors noter qu’un nombre croissant d’Etats africains a pris part à ce processus de consécration conventionnelle et de matérialisation de leurs frontières respectives. Cela est estimé environ dix sept (17) Etats africains, avec cinquante huit (58) zones de frontières internationales. (M.Chemilier Gendreau. Juin 2008) 641Bien que ce principe connaît d’énormes difficultés à être assorti d’une décision claire et précise, il pourrait être appréhendé comme une interdiction faite aux Etats africains de remettre en cause les frontières héritées de la colonisation au moment de leurs indépendances. Par conséquent, il demande aux Etats africains, d’accepter l’héritage territorial colonial et de ne formuler aucune revendication pouvant le compromettre. des nouvelles entités politiques. Occasionnant ainsi une déstabilisation politique et sociale du continent qui serait certainement embrasé dans un conflit régional. Par conséquent, il fallait que l‟application du principe de l‟intangibilité des frontières étatiques africaines puisse concourir à donner tout son sens au principe de l‟intégrité des territoires étatiques africains. 642 L‟affaire Algérienne fut elle aussi l‟occasion pour les autorités africaines de préciser, mais aussi, de maintenir leur position sur la question. Au préalable, ils s‟insurgeaient tous contre toute tentative de légitimation du principe opposé au principe de l‟autodétermination des peuples. Dans son intervention, le Représentant du Soudan, disait : «…l‟autodéterminationest un droit reconnu pour les peuples et non pour les fractions de peuples, on ne saurait l‟invoquer pour démembrer les entités politiques bien établies.». À travers les mots de son discours, le Représentant de Khartoum, invitait très certainement les autorités de la nouvelle tribune internationale, à donner toute leur onction au seul principe de l‟autodétermination en faveur des peuples de leurs Etats nouvellement indépendants. Par conséquent, l‟ONU devait, dans ses interventions et dans ses stratégies, définir une voie qui consacrait ce principe et qui l‟associait au principe de l‟intangibilité des frontières qui en découlait comme conséquence irréfragable. De l‟avis du Professeur Giuseppe Nesi643 , la portée générale du principe du maintien des frontières internationales en cas de succession d’Etats, trouve une confirmation tant dans le droit des traités que dans la pratique juridictionnelle. Selon le professeur, le droit des traités et la jurisprudence vont se renforcer mutuellement jusqu’à créer dans l’esprit des Etats, une opinio juris qui donne au 642Dans son intervention devant la tribune des Nations Unies, le Représentant du Sénégal (Cité par Gonidec Pierre-Francois et Bourgi.Albert, Intangibilité des frontières coloniales et espaces étatique en Afrique, , Bibliothèque Africaine et Malgache, Droit sociologie Politique et Economique, 1989, pp 66, 67, 68 et 69), a estimé : «..les pays d’Afrique ont subi au cours de l’histoire de nombreuses modifications de frontières. A la suite de ces transformations, il est arrivé qu’un même groupe ethnique soit scindé en deux fractions placées chacune sous une administration différente. Mais l’indépendance des pays d’Afrique a été réalisée, à juste titre, sur la base des frontières actuelles ; s’il fallait reconstituer d’anciens ensembles politiques, cette indépendance n’aurait pas été acquise dans les conditions de paix et de concorde… ». Celui-ci ajoutait : «…la sagesse veut que l’on évite de remettre en cause les frontières actuelles.». De ce discours, l’élément frappant est que les africains n’empiètent pas sur l’idée selon laquelle leurs frontières sont artificielles. Au contraire, ceux-ci abondèrent de façon unanime dans ce sens. Mais plutôt que d’en faire l’objet d’une discussion, ils on vite estimé que l’héritage colonial devait être préservée et que le débat devait être tout autre que revendicateur d’une quelconque identité culturelle. 643ProfesseurGiuseppe Nesi, L’uti possidetis hors du contexte de la décolonisation : le cas de l’EuropeIn: Annuaire français de droit international, volume 44, XLIV – 1998 – CNRS Editions, Paris, 1998. pp. 1-23 245 respect des frontières héritées de l’Etat prédécesseur un caractère coutumier. À cette tendance juridique internationale, le professeur fait également remarqué que le fait que l‟utis possidetis iuris, en tant que norme de droit international général, aurait subi un processus de «consécration juridique universelle», du moment qu’à travers son application, on parviendrait à la stabilisation des frontières internationales et, par conséquent, à l’affirmation de la sécurité juridique. Dans sa portée, il a permis très tôt aux dirigeants africains de concevoir toute une démarche juridique et de la faire admettre à l‟ONU et ses instances juridictionnelles. La communauté internationale devait alors consacrer le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures de l‟Etat644, quelque soient les conséquences. Dans son application, ce principe juridique sera la cause de nombreux malheurs du continent africain.645 À la base, les choix politiques opérés par les dirigeants des nouvelles entités étatiques, on constate la nécessité de préserver la stabilité politique impliquait aussi de garantir le développement économique du pays. Cette exigence ne saurait être associée à une quelconque nécessité, faisant de certaines valeurs fondamentales du droit, notamment, du droit international des Droits Humains, des appendices de la politique nationale de développement. Lacommunauté internationale assistait, durant les annéessoixante et soixante dix, à d‟effroyables scènes. Durant cette tragique période, l‟image du continent a pu être associée à des scènes de guerres civiles et de crises militaro-politique avec leurscortèges d‟hécatombes humaines et de refugiés deversés sur les différentes routes du continent. Le principe de la non-ingérence fut alors le prétexte tout fait pour sacrifier les droits de l‟homme au profit des revendications économique qui 644Ce principe de Droit International s’inscrit dans le domaine réservé de l’Etat qui a pour conséquence l’interdiction faite aux autres Etats dans les affaires et les matières qui en relèvent. L’intérêt que la communauté internationale accorde à ce principe pourrait se résumer à travers les nombreux textes y relatifs, notamment, la Déclaration sur l’inadmissibilité de l’intervention dans les affaires intérieures de l’Etat et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté (Résolution 2131 du (XX) du 21 décembre 1965 ainsi que la Déclaration relative aux principes du Droit International touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte (Résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970). En Droit International, il serait utile de considérer que ce principe est la conséquence de deux piliers du droit des relations internationales à savoir le principe de la souveraineté de l’Etat et le respect de l’égalité des Etats. 645Ce principe pourrait ramener au « principe de l’inviolabilité des frontières », qui du reste est à dissocier du principe de l’intangibilité des frontières étatiques. Ce principe interdit à tout Etat « de franchir de force les frontières d’un autre Etat pour porter atteinte sans son consentement à la propre souveraineté de ce dernier». devaient se transformer très vite en scènes de revendications politiciennes.646 Autrement dit, l‟opportunité a été offerte aux partis au pouvoir d‟alors, d‟opérer en toute légitimité en bâillonnant toutes les velléités politiques et autres contestations de leur opposition. Ce énième principe, connexe au principe de l‟intangibilité des frontières, connaitra lui aussi des effritements dans son interprétation, au fil du temps. De même, le principe de l‟intangibilité va à son tour être fortement éprouvé par les juridictions et acteurs politiques de la scène internationale qui n‟ont pu rester éternellement sourd à certaines formes revendicatives, très violentes du reste. Dans d‟autres situations, les revendications ont pu s‟accouder à des arguments de droit si solides qui trouvaient toute leur explication dans les faits sociaux et politiques de tous les jours.
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