La liberalisation du secteur petrolier aval

Liberté, cette notion a dicté plusieurs mouvements dans l’histoire du monde. Les différents conflits survenus sur la planète ont pour origine des révoltes tendant à la cassure du joug d’un homme sur un autre, d’une société sur une autre, d’un pays sur un autre. Pendant l’Antiquité, des esclaves se sont battus pour obtenir ou retrouver leur liberté. Des nations ont engagé des luttes pour retrouver leur indépendance. Etre libre signifie alors ne pas être sous le joug d’un autre. Montesquieu, dans son ouvrage l’Esprit des Lois énonce : « La liberté est le droit de faire tout ce que les lis permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’y aurait plus d libertés parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir. ». Ainsi la liberté est issue du respect des lois que se donnent les sociétés. La notion de libéralisme est ensuite venue s’adjoindre à celle de liberté mais qui est surtout un principe politique et économique.

Sur le plan politique, un régime libéral est celui où les individus ont une zone d’action qui leur est réservée et où les libertés de chacun sont garanties par l’Etat. Le contraire de ce régime est le régime totalitaire qui nie cette zone d’action réservée et où l’Etat a le droit d’intervenir dans tous les domaines et a un pouvoir illimité. Ces conceptions ont changé de sens avec le temps. Si au dix-neuvième siècle, le libéralisme désignait une doctrine politique affirmant la nécessité de la garantie des droits individuels tel que la liberté de presse, d’enseignement, les libertés d’expression de pensée en général, à notre époque il est surtout basé sur le domaine économique. Le libéralisme économique se fonde sur la notion de propriété privée des moyens de production encourageant et prônant la liberté d’entreprise, la libre concurrence. Des économistes, tels qu’Adam Smith se basent sur l’idée que toute interventionnisme de l’Etat dans la vie économique est nuisible. Cette idée fut ensuite rejetée du moins en partie car il a été démontré que le libre jeu des initiatives privées ne permettaient pas un développement harmonieux de l’ensemble social. L’interventionnisme de l’Etat est parfois nécessaire pour éviter les abus de l’économie libérale mais cela dans un contexte bien réglementé.

LE SECTEUR PETROLIER AVAL

L’EVOLUTION DU SECTEUR

LE SECTEUR PETROLIER DE 1960 A 1991

L’après colonisation, une période libérale 

Un mimétisme de la politique coloniale
Madagascar obtient son indépendance en 1960 tout comme de nombreux pays africains après avoir été soumis à la colonisation depuis la fin du dix neuvième siècle. Les colonisateurs ont emmené avec eux les méthodes de travail et de pensée de leur métropole. La manière de travailler des pays européens est transférée dans les pays colonisés. En cette fin du dix neuvième siècle, sur le plan économique, le libéralisme est de rigueur. Le principe était que l’Etat ne devait s’occuper que de ses fonctions régaliennes et ne devait en aucune façon s’immiscer dans le domaine économique. C’est la période dite « d’Etat gendarme ». Des grandes sociétés se forment et deviennent de grandes multinationales en s’implantant dans le monde entier. Cette prépondérance des sociétés étrangères est due aux matières premières achetées à des prix dérisoires dans les colonies des Etats européens, qui les transforment en produits manufacturés plus chers. Cette liberté économique, qui permet la « domination du plus fort sur les faibles » continuent lors de la décolonisation. Cette continuité se retrouve dans tous les domaines. En effet les pays nouvellement indépendants adoptent la même politique des anciens colonisateurs. On parle d’un phénomène de mimétisme. Les règles de l’époque coloniale sont reprises le plus souvent intégralement et si elles sont modifiées, ce n’est que très superficiellement. Ce phénomène se retrouve à Madagascar. Les textes de lois en vigueur lors de la colonisation ont fait l’objet de projets de lois de la part du gouvernement malgache et ont été soumis au vote du Parlement malgache pour les rendre applicables en tant que lois malgaches dans la République Malgache. C’est ainsi par exemple que le « Code de commerce français » régissant les méthodes commerciales est en vigueur à Madagascar. Il en ressort que les étrangers sont plus avantagés que les nationaux car habitués à ces pratiques commerciales des pays pratiquant le libéralisme.

Deux mondes coexistent ; l’un moderne, l’autre traditionnel. Le premier se met au diapason des pays développés, au moins en imitant leurs pratiques, au mieux en essayant de se mettre à leur niveau. Le second reste ancré aux pratiques anciennes de la production familiale et reste fermement attaché aux principes qu’on lui a inculqués et qu’il considère comme essentiels : « se nourrir ». D’ailleurs le slogan du parti au pouvoir à l’époque était «la politique du ventre » c’est à dire faire en sorte que les citoyens malgaches se nourrissent en quantité suffisante même si cette pratique date de l’époque du roi Andrianampoinimerina qui ne voulait pas de sujet affaibli par la faim. C’est comme si on distrayait les malgaches par la nourriture pour les empêcher de faire autre chose tel que se soucier du développement de Madagascar. De plus, les différents ministères du gouvernement malgache de l’époque sont dirigés par des assistants techniques français et non par les malgaches titulaires du porte-feuille ministériel. Cette assistance technique permet la continuation de l’Administration française malgré l’accession à l’indépendance et de ce fait assure et défend la présence de sociétés étrangères à Madagascar qui sont très dominantes dans tous les secteurs.

La domination des compagnies étrangères
La majorité des sociétés pétrolières du monde est présente à Madagascar, tel que Elf, Esso, Caltex, Agip, Shell, etc.…Ce sont toutes des multinationales ayant la capacité financière et technologique pour pouvoir s’implanter dans un marché de grande envergure et où la concurrence est de rigueur.

L’absence de technologie et de financement a fait que les malgaches ne pouvaient pas parvenir à s’aligner à ces grandes firmes qui ont déjà acquis une expérience s’étalant sur des dizaines d’années. Ces sociétés sont à la fois présentes dans le secteur pétrolier amont et aval, ce qui facilite leur implantation en ne faisant qu’importer les produits qu’elles exploitent dans leurs filiales situées dans les pays producteurs de pétrole brut. Cette domination des compagnies étrangères se reflète dans le cas de la raffinerie de Toamasina. En 1964, la Société Malgache de Raffinage est créée dans le but de satisfaire les marchés pétroliers de Madagascar, et des îles voisines telles que les Comores, et la Réunion. C’est une société anonyme de droit privé avec comme actionnaire l’Etat malgache et les sociétés pétrolières exerçant à Madagascar. La présidence du Conseil d’Administration revenait à l’Etat mais sa gestion fut confiée à la société nationale française Elf. La quasi totalité des dirigeants de la société étaient des expatriés. Ces faits traduisent l’omniprésence d’étrangers et leur domination dans le pays et notamment dans un domaine stratégique pour la Nation. C’est ce sentiment de domination par les étrangers qui a conduit à la nationalisation en général et celui du secteur pétrolier aval en particulier en 1976. On peut noter que l’économie malgache est entre les mains de grandes sociétés étrangères notamment françaises comme la Compagnie Lyonnaise de Madagascar qui s’est implantée à Madagascar en 1897. Cette compagnie, par exemple s’est occupée de l’exportation de café, du riz et du tabac. Celle-ci a également des exploitations minières notamment d’or et du graphite. La deuxième grande société française est la Compagnie Marseillaise de Madagascar créée en 1896 représentant ESSO Standard. Tout comme la Compagnie Lyonnaise de Madagascar, elle s’occupe de l’exportation de produits locaux comme le riz, le tabac et le café. Cette société a été aussi productrice de sucre et de sel. La Société Industrielle et Commerciale de l’Emyrne (SICE) créée en 1911, représentant SHELL figure parmi les grandes compagnies dictant l’économie malgache de l’époque. Ce sont ces trois grandes sociétés qui importent les produits dont Madagascar a besoin pour les revendre aux consommateurs malgaches par l’intermédiaire des minorités chinoises et indiennes spécialistes du commerce, en excluant les Malgaches. Ce sont ces mêmes sociétés qui détiennent la grande part de l’exportation notamment des produits agricoles et miniers. La bonne ou la mauvaise santé de l’économie malgache dépend ainsi de ces sociétés.

Les Malgaches ne sont pas maîtres de leur destin et sont liés au bon vouloir des sociétés étrangères malgré l’accession à l’Indépendance de leur pays. On peut dire que l’Indépendance de 1960 est purement formelle car la réalité est toute autre. Que ce soit sur le plan politique, économique ou social, l’empreinte de l’ancienne puissance coloniale reste bien présente. Les méthodes administratives sont les mêmes que celles de la France. La majorité des produits utilisés par les Malgaches sont d’origine française. L’enseignement primaire, secondaire ou universitaire se fait en français. Cela démontre l’omniprésence des étrangers à Madagascar et surtout des anciens colonisateurs.

La nationalisation du secteur

Une négation au néocolonialisme
Le 25 juin 1976, l’ordonnance 76020 bis du 27 juin 1976 institue en monopole d’Etat l’achat, le transport, le stockage, la transformation et la distribution de tous produits pétroliers ou d’origine pétrolière, en somme tout le secteur pétrolier aval. Les biens, parts, actions, droits et intérêts de toute nature composant le patrimoine des sociétés suivantes sont déclarés propriétés exclusives de l’Etat par cette même ordonnance :

– la Société malgache de raffinage (Toamasina ),
– Agip Madagascar SA (Antananarivo),
– Compagnie Malgache des Pétroles (Antananarivo),
– Esso Standard Madagascar (Antananarivo),
– Société Shell de Madagascar (Antananarivo),
– Total Madagascar (Antananarivo),
– Produits Lubrifiants de Madagascar (Toamasina),
– Elf Madagascar SA (Tamatave).

Ce patrimoine exproprié par l’Etat sera transféré à une société d’Etat selon l’article 9 de cet ordonnance 76020 bis. Cette société sera créée par l’ordonnance 76021 du 27 juin 1976 et aura pour dénomination SOLITANY MALAGASY (SOLIMA). L’article 3 de cette ordonnance édicte que cette société aura pour objet d’exécuter la politique de l’Etat et de réaliser les objectifs nationaux dans le secteur des produits pétroliers ou d’origine pétrolière, et ainsi d’effectuer et de faire effectuer sur toute l’étendue ou à destination du territoire national toutes les opérations relatives au secteur pétrolier aval.

Qu’est ce qui a poussé cette nationalisation ? Comme nous l’avons constaté plus haut, ce secteur pétrolier est détenu en majorité voire en totalité par des sociétés étrangères. Ces dernières ne sont pas de simples sociétés mais de véritables multinationales ayant leur poids dans le domaine du commerce international mais aussi au niveau interne du pays. Il se trouve qu’à l’époque les malgaches sont à la recherche de leur identité perdue lors de la colonisation. Après avoir vécu pendant près d’une soixantaine d’années sous la colonisation, ils ressentent encore la présence des français durant la Première République notamment par le biais des assistants techniques français travaillant dans des ministères malgaches d’où le terme de néo-colonialisme.

LE SECTEUR PETROLIER, UN SECTEUR PRIMORDIAL 

Une source d’énergie importante 

L’énergie pétrolière sur le plan mondial 

La découverte du pétrole fut le commencement d’un grand changement dans la vie de l’humanité. Grâce à l’énergie qu’il apporte, le pétrole a permis l’utilisation croissante du machinisme et de la mécanisation au début du vingtième siècle.

Dans ce monde en perpétuelle évolution, le pétrole a encore toute sa place et son importance malgré toutes les recherches faites en matière d’énergie pour le remplacer. En Allemagne, la houille qui était la première source d’énergie fut détrônée par le pétrole. En l’espace de trente ans la part de la houille dans la production d’énergie a baissé de soixante treize pour cent (73%) en 1950 à dix-huit pour cent (18%) en 1977. Dans le même laps de temps, la part du pétrole est passée de cinq (5%) à cinquante trois pour cent (53%). On peut noter que l’énergie a toute son importance quelle que soit son origine. Le fait de disposer en tout temps de sources d’énergie est essentiel pour la compétitivité de l’économie. La sécurité de l’approvisionnement énergétique est une des conditions essentielles de la bonne marche de l’économie moderne et de la satisfaction des besoins fondamentaux des hommes.

Le Japon, grand pays industriel s’est développé rapidement dans les années soixante en adoptant des techniques de production de masse et cela grâce à l’utilisation d’énergie notamment d’origine pétrolière. La croissance économique du Japon a accusé un ralentissement à la suite des chocs pétroliers de 1973 et de 1979-1980. La hausse du prix du pétrole a réduit la production en acier, en aluminium (la liste n’étant pas exhaustive) du Japon. Cette répercussion sur la production d’autres produits démontre l’importance du pétrole dans le domaine économique.

Aux Etats-Unis dans le domaine des transports, la consommation annuelle d’essence dépasse les quatre cent vingt cinq (425) milliards de litres en 1992. Ces exemples démontrent l’utilisation importante du pétrole en tant qu’énergie même si son prix est tributaire de la volonté des pays producteurs notamment ceux affiliés à l’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole (OPEP). De ce fait des investissements sont faits, surtout par les Etats développés dans la recherche d’énergie renouvelable à moindre coût pouvant satisfaire les besoins en énergie.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : LE SECTEUR PETROLIER AVAL
CHAPITRE I : L’évolution du secteur
SECTION 1 : Le secteur pétrolier de 1960 à 1991
Paragraphe 1 : L’après colonisation une période libérale
A Un mimétisme de la politique coloniale
B La domination des compagnies étrangères
Paragraphe 2 : La nationalisation du secteur pétrolier
A Une négation au néo-colonialisme
B Le choix de la voie socialiste
SECTION 2 : Le secteur pétrolier aval un secteur primordial
Paragraphe 1 : Une source d’énergie importante
A L’énergie pétrolière sur le plan mondial
B Le cas malgache
Paragraphe 2 : Un service public
A La SOLIMA, une entreprise publique
B La satisfaction de l’intérêt général
CHAPITRE 2 : L’ADOPTION DU LIBERALISME
SECTION 1 : Les raisons du libéralisme
Paragraphe 1 : Une option politique issue de l’économique
A L’Ajustement structurel
B Un phénomène mondial
Paragraphe 2 : Une nouvelle Constitution
A Une Constitution démocratique et libérale
B L’Adaptation des lois avec la nouvelle politique de l’Etat
SECTION 2 : L’achèvement de la libéralisation
Paragraphe 1 : La privatisation de la SOLIMA
A Un préalable au libéralisme
B La privatisation, un long processus
Paragraphe 2 Ouverture vers les marchés internationaux
A Une capacité régionale
B Le retour des anciennes compagnies
PARTIE 2 LES ENJEUX DE LA LIBERALISATION
CHAPITRE 1 LA SECURITE ET LES RETOMBEES FINANCIERES
SECTION 1 : LA SECURITE DE L’APPROVISIONNEMENT ET LES GARANTIES D’EXPLOITATION DES INFRASTRUCTURES
Paragraphe 1 La sécurité de l’approvisionnement
A Un impératif d’intérêt général
B La nécessaire adaptabilité et continuité
Paragraphe 2 La sécurité des infrastructures
A La sauvegarde de la sécurité publique
B La préservation de l’environnement
SECTION 2 LES RETOMBEES FINANCIERES ET SOCIALES
Paragraphe1 Les investissements et la fiscalité
A Les investissements : une contrepartie de la privatisation
B La fiscalité : une importante ressource de l’Etat
Paragraphe2 La cession de la SOLIMA
A Les revenus issus de la vente
B Les retombées sociales
CHAPITRE II : L’AMELIORATION DU SERVICE ET DE LA COMPETITIVITE
SECTION 1 : UN MARCHE DE CONCURRENCE
Paragraphe 1 La baisse des prix à la pompe
A Un objectif de la libéralisation
B La « vérité des prix »
Paragraphe2 Des produits diversifiés
A La standardisation internationale
B Un concept du libéralisme
SECTION 2 L’EGALITE D’ACCES AU SECTEUR
Paragraphe 1 Une égalité théorique
A La main mise des multinationales
B La nécessaire adaptation des opérateurs nationaux
Paragraphe 2 Du monopole public au monopole privé ?
A Une situation provisoire
B Une crainte injustifiée ?
CONCLUSION
ANNEXE

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