La libéralisation des échanges et le marché du travail dans les pays en developpement

L’économie mondiale s’approche de l’image d’un seul et grand marché au sein duquel les tarifs douaniers n’existent plus théoriquement. Ainsi, les obstacles non tarifaires érigés aux frontières et à l’intérieur des pays ont été abaissés de manière considérable au fil des négociations commerciales successives, mais il reste encore à faire. Aucun pays ne peut échapper au processus de la mondialisation du commerce. L’échange international du commerce est de plus en plus présent sur les longues distances ceci ayant ainsi permis de rapprocher les pays les plus éloignés. Les économies du monde entier sont actuellement plus étroitement intégrées suite à une progression rapide du commerce international. Cette libéralisation commerciale se développe à un rythme important notamment suite à l’intégration des pays émergents et des pays en développement dans des accords régionaux ou de zones de libre-échange. En conséquence, des échanges de biens et de services, des flux d’investissement direct étranger (IDE) et des flux de technologie incorporés dans le capital physique sont générés suite aux processus de la libéralisation.

Cependant, l’accroissement des échanges commerciaux dans l’économie mondiale a des incidences sur le marché du travail, c’est-à-dire sur l’emploi et la distribution des salaires dans les différents pays. C’est dans ce cadre que plusieurs travaux théoriques et empiriques ont eu lieu pour chercher le rôle croissant des flux commerciaux dans l’économie et leurs répercussions sur l’emploi ainsi que sur les salaires dans les pays développés et dans les pays en développement.

La libéralisation des échanges extérieurs énonce que l’accroissement du commerce extérieur induit dans les pays développés la hausse des prix relatifs des produits intensifs en travail qualifié et la baisse des prix relatifs des produits intensifs en travail non qualifié. Et aussi que les changements technologiques induits par l’ouverture commerciale entrainent le changement de la productivité globale des facteurs selon la qualification (Lerner-Pearce 1994, Slaughter 2001), la baisse de la demande de main-d’œuvre non qualifiée (Wood, 1994) et l’augmentation de la demande relative du travail qualifié qui est associée à l’introduction de nouvelles technologies.

Dans les pays en développement, à long terme l’ouverture commerciale entraine la hausse du prix relatif d’un bien pour lequel le pays a un avantage comparatif et cela augmentera le revenu réel du facteur utilisé intensément dans la production de ce bien tandis qu’il fera baisser le revenu réel de l’autre facteur. Et par conséquent, les inégalités salariales diminuent dans les PED et augmentent dans les PD (Hecksher, Ohlin, Samuelson, 1947). Les effets de l’ouverture commerciale à court terme diffèrent de ceux à long terme et dépendent de la nature du secteur, exportateur, importateur ou non échangeable (S. Edwards, 1988).

L’ouverture commerciale déforme le prix relatif des biens, déplace les ressources d’un pays loin des activités qui ont un avantage comparatif et mène la production des biens à une qualité inférieure avec un prix élevé (Krueger, 1998). Les travailleurs peu qualifiés ne perdent pas nécessairement dans l’absolu à l’ouverture: la rémunération réelle des peu qualifiés peut augmenter sous l’effet positif des économies d’échelle. Malgré tout, les travailleurs qualifiés restent susceptibles d’être davantage gagnants que les travailleurs peu qualifiés (Paul Robin Krugman, 2008).

Il n’y a pas de théorie générale sur la façon dont la libéralisation commerciale influe sur la structure des salaires et le niveau de l’emploi dans les pays développés ainsi que dans les pays en développement. La libéralisation commerciale n’a pas un effet uniforme sur les salaires, le niveau d’emploi et sur le bien-être.

L’économie tunisienne, comme toutes les économies en développement, constitue un terrain propice pour l’analyse de l’impact de l’ouverture commerciale sur le niveau de l’emploi et de salaires. C’est dans ce contexte général que débute notre thèse du fait que depuis le milieu des années 1980 de nouveaux enjeux économiques et politiques sont apparus, liés à plusieurs facteurs fondamentaux qui caractérisent l’économie tunisienne. D’abord, suite à de graves difficultés économiques dans les années 1980, la Tunisie a adopté un programme d’ajustement structurel, sous la direction de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, qui lui a permis d’entrer dans une zone de libre-échange avec l’Europe au début du 21ème siècle. Ensuite, l’histoire de l’économie tunisienne est marquée par la libéralisation commerciale croissante et soutenue des échanges internationaux sous l’égide de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce « General Agreement on Tariffs and Trade» (GATT) puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En effet, la Tunisie a été considérée comme un modèle de développement économique dans le tiers monde. Elle a prouvé sa volonté d’ouverture par la signature de plusieurs accords de libre-échange avec l’Union européenne, les États-Unis et les pays arabes. La Tunisie a préparé la création d’une zone de libre-échange avec l’Union européenne qui est son principal partenaire commercial et une série de mesures ont alors été mises en place pour accompagner l’ouverture de l’économie tunisienne.

La Tunisie a prévu la disparition progressive des protections tarifaires à l’importation selon un calendrier étalé sur douze ans. En conséquence, le passage d’une économie protégée à une économie de marché implique que l’entreprise tunisienne en général devra s’adapter à l’ouverture commerciale pour pouvoir affronter la concurrence internationale et se développer pour être un moteur de la croissance économique. Dans ce contexte, l’on se demande si la Tunisie pourra conserver, voir même améliorer, ses parts de marché de biens dans le monde. Les exportations tunisiennes restent-elles compétitives ou sont-elles menacées par l’émergence de certains concurrents tels que la Chine et les pays de l’Europe centrale et orientale? C’est dans ce cadre que la création de la zone de libre-échange a mis la Tunisie sur un même plan en termes de concurrence face aux pays européens, mais cet accord favorise également ses relations avec les pays de la zone de libre-échange par rapport au reste du monde. Les importations et les exportations ne cessent d’augmenter, reflétant l’intégration croissante de la Tunisie dans le commerce international et lui attribuant un poids toujours un peu plus notable dans le cadre de la mondialisation de ses activités.

L’investissement direct étranger (IDE) est souvent considéré comme l’un des moteurs du développement économique dans la mesure où il permet l’apport de technologies, de capitaux, de création d’emplois, l’accès à de nouveaux marchés et l’amélioration du niveau de salaire des travailleurs. Par conséquent, de nombreux gouvernements ont mis en place des politiques destinées à attirer les investissements directs étrangers et notamment le gouvernement tunisien. Mais la volonté politique pour accaparer les investissements directs étrangers ne peut être influente à long terme que si elle est accompagnée d’une transparence qui peut faire défaut aujourd’hui. Depuis le début des années 1980, avec l’accélération du processus de la mondialisation, l’IDE progresse à un rythme phénoménal dans tous les grands secteurs de l’économie.

La Tunisie pourra alors entrer de plein-pied et avec réussite dans le circuit du commerce international sans protections tarifaires d’aucune sorte, bénéficier d’un marché international beaucoup plus vaste pour l’écoulement de ses produits, avoir la possibilité d’accroitre la création d’emplois et améliorer le niveau de salaire réel des travailleurs qualifiés et non qualifiés.

La Tunisie a connu durant les deux dernières décennies des mutations intenses et rapides de son environnement économique qui ont été suivies par des réformes touchant tous les secteurs de l’économie, en particulier les industries manufacturières. En effet, la libéralisation des échanges extérieurs a été un élément crucial de ces mutations et de la politique de développement de la Tunisie.

Le débat sur le rôle de l’ouverture internationale sur le marché du travail a été conduit en utilisant des données agrégées au niveau du pays ou des industries. Un certain nombre d’études empiriques telles que celles de Heckscher-Ohlin-Samuelson (1947), S.Edwards (1988), Milner et Wright (1998) et d’autres chercheurs ont identifié les effets de l’ouverture commerciale (exprimée par le niveau des importations, des exportations, etc.) sur le marché du travail (représenté par le niveau de l’emploi ou le niveau de salaire des travailleurs). Plusieurs recherches faites sur le sujet concluent que l’augmentation des échanges extérieurs permet aux pays concernés d’obtenir une croissance de la demande de travail et du niveau de salaire. Dans tous ces travaux, le mécanisme par lequel l’ouverture commerciale affecte le marché du travail est encore sujet de débats. Certaines études ont affirmé que la libéralisation commerciale permet une croissance plus rapide de la création d’emplois, alors que d’autres prônent les avantages d’une ouverture modérée. Mais il est difficile de penser que seules ces variables de politique commerciale puissent expliquer de façon pertinente les changements du marché du travail et l’évolution du niveau de revenu des travailleurs. En effet, il existe d’autres variables qui expliquent d’avantage les différences de croissance du marché du travail en termes d’emploi et de salaire, comme les politiques et les mesures d’encouragement du commerce extérieur, les institutions du marché du travail, les mesures et les programmes spéciaux de promotion de l’emploi, les infrastructures, la technologie, etc.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES EXTÉRIEURS ET LE MARCHÉ DU TRAVAIL: FONDEMENTS THÉORIQUES
INTRODUCTION
SECTION 1 : Le modèle de Heckscher-Ohlin-Samuelson (HOS)
1.1 Heckscher-Ohlin-Samuelson
1.1.1 Présentation du modèle et hypothèses
1.1.1.1 Présenattion du modèle
1.1.1.2 Les hypothèses standards du modèle
1.1.2 Analyse du modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson dans le cadre des pays en développement
1.1.3 Les insuffisnces du modèle HOS
1.2 Le théorème de Stolper-Samuelson (1947)
1.2.1 Les conditions pour l’applicabilité du thèorème de Stolper-Samuelson
1.2.2 Les conséquences du théorème de Stolper-Samuelson
1.2.3 L’égalisation des prix des facteurs
1.3 Conclusion
SECTION 2 : Le modèle de Sébastien Edwards (1988)
2.1 Présentation du modèle
2.2 Libéralisation des échanges extérieurs et ses effets sur l’emploi sectoriel et les salaires
2.2.1 Les effets de long terme (LT)
2.2.2 Les effets de court terme (CT)
2.2.3 Représentation graphique
2.3 Libéralisation des échanges en présence de rigidité sur le marché du travail
2.3.1 Rigidité des salaires dans l’ensemble de l’économie
2.3.2 Rigidité des salaires dans un secteur particulier: le secteur importateur
CONCLUSION
CHAPITRE II : LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES ÉXTÉRIEURS ET MARCHÉ DU TRAVAIL DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT : VALIDATIONS EMPIRIQUES
INTRODUCTION
SECTION 1 : Revue de la littérature empirique pour les pays développés et les pays en développement
1.1 Cas des pays développés
1.2 Cas des pays en développement
SECTION 2 : La libéralisation du commerce et l’inégalité de salaire dans les pays en développement : nouvelles explications
2.1 Le rôle du capital, de la technologie et du travail qualifié
2.2 Autres explications théoriques
2.3 Conclusion
SECTION 3 : Effets des politiques d’ouverture commerciale dans les pays en développement
3.1 Introduction
3.2 L’ouverture commerciale et les entreprises
3.3 L’ouverture commerciale et les salaires
3.4 L’ouverture commerciale et le bien être
3.5 Conclusion
CONCLUSION GENERALE

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