La Légende des siècles de Victor Hugo
. Le nom propre de La Légende des siècles : Un mot aux sémantismes pluriels
Un mot à sens « dénominatif instructionnel », désignant une réalité historique et légendaire
En nous appuyant sur le travail de Georges Kleiber, nous montrerons d’abord en quoi le nom propre dans La Légende des siècles possède un sens de dénomination instructionnelle27 dans la mesure où il signifie « trouvez celui qui s’appelle N ». Cette dimension proprement pragmatique du nom propre est en effet patente dans la mesure où le poète accumule les noms propres pour donner un soubassement référentiel à son œuvre et par là donner forme à son univers poétique. Comme nous avons pu le voir, le poète privilégie ce mode de désignation parce qu’il implique une « présomption identifiante » de la part de l’interlocuteur au sens où le lecteur sait déjà à quel référent le nom propre renvoie. Or cette présomption identifiante s’explique par le fait que n’importe quel référent porteur d’un nom propre fait l’objet d’un « acte de baptême ». Employer un nom propre plutôt qu’une autre désignation relève dès lors d’un choix pratique et met ainsi en avant la dimension pragmatique du nom propre, telle que la décrit George Kleiber : Bien que théoriquement tout particulier, primaire ou dérivé, spatio-temporel ou non spatiotemporel, puisse être, nommé par un nom propre, en règle générale, seule une partie des particuliers spatio-temporels en est effectivement pourvue. Ces particuliers « nommables » sont avant tout les personnes et les places. (…) Cette restriction, nullement impérative, qui affecte les candidats au nom propre, s’explique par les conditions d’utilité mises en relief ci-dessous. Les carcatéristiques référentielles du nom propre, désignation préalable de l’objet et désignation directe et opaque, impliquent les trois conditions suivantes favorables à l’apparition effective d’un nom propre ; 1) Il faut que le particulier soit le sujet de fréquentes prédications 2) Il faut qu’à l’occasion de ces différentes prédications ce particulier soit perçu comme étant toujours le même particulier 3) Les locuteurs ne disposent pas d’une description définie, courte et pratique, qui soit à même de satisfaire à la condition 2. (1981: 317-318) Mais l’apparition d’un nom propre ne dépend pas seulement de ces trois conditions, deux autres facteurs supplémentaires entrent également en compte. Il ne faut pas en effet oublier le facteur socio-culturel : Il existe des règles sociales de nomination, issues généralement des conditions décrites ci-dessus, qui déterminent conventionnellement quelles sont les catégories de référents particuliers « nommables ». Un nom propre pourra donc être attribué à un référent, même si celui-ci ne répond pas aux conditions d’utilité. Si la tradition ou la mode veulent que l’on « baptise » les maisons individuelles, je peux ressentir le « besoin social » de donner à ma maison un nom propre, alors 27Kleiber distingue ce mode de désignation qui est dénominatif de celui d’un nom commun qui est descriptif. 25 qu’une description définie comme « ma maison » ou « la maison » suffirait, sur le plan linguistique, à assurer l’identification référentielle ». (1981 : 319) A toutes ces conditions nécessaires à l’émergence d’un nom propre, il faut encore ajouter un autre critère : Il faut citer le facteur personnel, c’est-à-dire l’intervention du locuteur, dont l’influence est souvent décisive. L’affectivité peut être à la source de l’attribution d’un nom propre à un particulier. Ainsi s’explique que j’ai donné un nom propre à tel papillon et non à tel autre, à tel soldat de plomb et pas à tel autre, etc. (1981 : 319) Même si le facteur utilitaire joue un rôle primordial dans La Légende des siècles, le facteur personnel est également important puisque le poète, en renommant certains objets du monde, redonne à voir le moment de cet acte de baptême originel. C’est le cas, par exemple, lorsque l’écrivain crée le nom de « Jebel-Kronnega28 », dans « l’an neuf de l’Hégire », afin de désigner une réalité dépourvue de nom propre jusqu’alors: Peuple, n’en doutez pas ; celui qui prodigua Les lions aux ravins du Jebel-Kronnega, Les perles à la mer et les astres à l’ombre, Peu bien donner un peu de joie à l’homme sombre. (v.103-106, p.107) Ce nom propre ne possède pas de fonction utilitaire puisque le toponyme ainsi désigné ne répond pas aux trois critères pragmatiques évoqués plus haut. Il ne relève pas non plus d’une nécessité socio-culturelle. En revanche, ce nom propre qui est placé au niveau sémantique, sur le même plan que « mer », « ombre » et « homme sombre » et qui reçoit une grâce divine se manifestant sous l’image des « lions » est nécessaire aux yeux du locuteur parce qu’il permet de spatialiser la clarté, de lui donner une matérialité sensible, de cartographier la présence du divin. La création de néologismes dans La Légende des siècles se comprend ainsi à l’aune d’un acte de baptême initial qui s’explique ici par le regard du locuteur. Cependant pour saisir pleinement le fonctionnement du sens du nom propre, il faut également nous pencher du côté de son référent, et plus précisément voir en quoi il s’agit d’un référent singulier. Même si dans sa thèse Georges Kleiber défend l’idée d’un sens de dénomination prédicative qu’il rejettera par la suite, il met en avant une caractéristique essentielle du nom propre qu’il maintient dans sa théorie postérieure, à savoir la singularité référentielle qu’il présente comme « l’opérateur iota d’unicité » (1981 : 345-349): Il n’est pas inutile de souligner que notre analyse du nom propre non modifié répond mieux que celle de Burge à l’intuition linguistique29. Bien qu’il puisse connaître plusieurs individus appelés 28Il s’agit en réalité d’un nom à moitié néologique puisque « Jebel » existe. 29George Kleiber considère en effet que l’hypothèse de Burge selon laquelle le nom propre est l’abréviation d’un démonstratif et d’un prédicat de démonstratif pose problème. Le rapprochement du nom propre avec une description démonstrative (qui permet de désigner des individus effectivement présents dans la situation 26 Paul, un locuteur en disant Paul danse ne pense en fait qu’à un et un seul individu appelé Paul. Les autres n’existent pas. L’utilisation d’une description démonstrative suggère au contraire l’existence d’autres ‘tel-et-tel’ (cf. la différence entre Paul et Ce Paul). Cette constatation nous conduit directement au statut sémantique de ( i x) (x être appelé /N/). (1981 : 347) Même si cette singularité référentielle est déjouée lorsque Victor Hugo emploie des noms propres modifiés —c’est ce que nous verrons dans la seconde partie—, la singularité référentielle du nom propre non modifié est toujours patente. Lorsqu’Hugo réfère à Adam dans « Le Sacre de la femme », par exemple, il désigne ainsi le personnage biblique, l’homme originel. Néanmoins, cette unicité référentielle du nom propre en discours « Adam » ne découle pas d’une unicité qui serait inhérente au nom propre en langue « Adam » puisque le personnage biblique n’est pas l’unique porteur de ce nom propre. Il faut en effet préciser que dans le cadre de l’identification référentielle, le contexte joue un rôle important. Georges Kleiber explique en quoi cette absence d’ambiguïté référentielle relève plus précisément du contexte extra-linguistique et non du contexte linguistique :
La dimension « praxématique » du nom propre : un premier pas vers l’autoréférence
Mais ces caractéristiques sémantiques constitutives d’un sens dénominatif instructionnel ne suffisent pas à comprendre le fonctionnement de tous les noms propres de La Légende des siècles dont il est parfois difficile de dégager le sens instructionnel. Quand Victor Hugo crée un néologisme (« Jérimadeth », par exemple), il est impossible en effet d’y voir un sens 30 instructionnel puisque ce nom propre ne désigne pas un référent appartenant à un monde extralinguistique. L’utilisation de noms propres méconnus, dans La Légende des siècles, met à mal également ce processus d’identification référentielle. Nous pouvons prendre pour exemple les noms propres « Ascalon » et « Aser » dans « Les Lions » : Gur, cité forte, était alors sur le rivage ; Ses toits fumaient ; son port abritait un amas De navires mêlant confusément leurs mâts ; Le paysan portant son gomor plein de manne S’y rendait ; le prophète y venait sur son âne ; Ce peuple était joyeux comme un oiseau lâché ; Gur avait une place avec un grand marché, Et l’Abyssin venait y vendre des ivoires ; L’Amorrhéen, de l’ambre et des chemises noires ; Ceux d’Ascalon, du beurre, et ceux d’Aser, du blé. (v.50-59, p.75-76) Même si «l’Abyssin » désigne un référent identifiable par le locuteur, «l’Amorrhéen » ainsi que les noms propres « Ascalon » et « Aser » ne renvoient pas un référent connu du locuteur. Comme le remarque Claude Millet, dans ses annotations à La Légende des siècles, « les noms qui désignent la provenance des clients de Gur, mis à part « l’Abyssin », sont très étrangers au lecteur de 1859, et c’est sans doute pourquoi Hugo les a choisi » (2002 : 76). A travers ces noms aux sonorités exotiques, la ville de Gur, apparaissant comme un creuset culturel où se rencontrent des peuples appartenant à des espaces divers, se transforme en une terre légendaire. En cela, ces noms propres perdent leur sens instructionnel ou, du moins, revêtent un sens instructionnel nouveau. Le référent qu’ils désignent n’est en effet plus à chercher dans le monde réel mais dans le monde irréel, dans l’univers poétique crée ou, plus exactement, dans « l’univers de croyance » 30 du locuteur (Robert Martin, 2009 : 38-39). Prenons pour exemple les noms propres de « Tibulle » et de « Catulle » dans « Au lion d’Androclès » : Lesbie, en se faisant coiffer, heureuse, ayant Son Tibulle à ses pieds qui chantait leurs tendresses Si l’esclave persane arrangeait mal ses tresses, Lui piquait les seins nus de son épingle d’or. Le mal à travers l’homme avait pris son essor ; Toutes les passions sortaient de leurs orbites. Les fils aux vieux parents faisaient des morts subites. Les rhêteurs disputaient les tyrans aux bouffons. La boue et l’or régnaient. Dans les cachots profonds, Les bourreaux s’accouplaient à des martyres mortes. Rome horrible chantait. Parfois, devant ses portes, Quelque Crassus, vainqueur d’esclaves et de rois, Plantait le grand chemin de vaincus mis en croix, Et, quand Catulle, amant que notre extase écoute, 30Nous faisons référence à la notion d’ « univers de croyance » définie par Robert Martin, dans Pour une logique du sens, comme « l’ensemble indéfini des propositions que le locuteur, au moment où il s’exprime, tient pour vraies ou qu’il veut accréditer comme telles » (2009 : ?) 31 Errait avec Délie, aux deux bords de la route, Six mille arbres humains saignaient sur leurs amours. La gloire avait hanté Rome dans les grands jours ; Toute honte à présent était la bienvenue. (v.10-27, p.96) Dans ce poème qui déploie une isotopie de la décadence donnant à voir l’effondrement de la grandeur de Rome, Victor Hugo évoque les poètes latins Tibulle et Catulle, qui n’incarnent plus l’image romantique des poètes prophètes mais deviennent les esclaves de leur passion amoureuse et prennent part, de fait, au processus de dégénérescence historique. Mais le poète ne distingue pas clairement Tibulle, qui devint l’amant de Lesbie et Catulle, celui de Délie. Cette confusion référentielle montre donc clairement en quoi le sens du nom propre doit nécessairement s’interpréter en regard de l’univers de croyance du locuteur. Mais afin de saisir pleinement le fonctionnement sémantique de ce type de nom propre, il nous faut affiner davantage la notion d’univers de croyance. Il faut en effet prendre en compte la singularité de l’univers de croyance fictif qui, contrairement aux autres univers de croyance31, repose sur un paradoxe puisque l’interlocuteur le tient pour une fiction et y adhère en même temps. Pour expliquer cette situation paradoxale, Robert Martin présente la fiction narrative comme l’image d’un univers de croyance: L’auteur ne cherche pas à imposer comme réel ce qu’il imagine. Il cède la parole à un narrateur, lieu d’une image d’univers où se trouve prise en charge la vérité de ce qui est dit : du même coup disparaît le paradoxe de la fiction. (1983 : 284) Or considérer une œuvre poétique comme l’image d’un univers de croyance a trois conséquences majeures : celle de rendre sensible la présence du narrateur, de conserver la structure de n’importe quel univers de croyance mais surtout de mettre en place une vision subjective de la réalité. La référence opérée par le nom propre ne varie alors plus seulement en fonction de la croyance du locuteur mais en fonction de la subjectivité du narrateur. Dans La Légende des siècles, ce regard subjectif porté sur le monde historique transparaît dans la dimension légendaire du nom propre. Pour mieux saisir ce fonctionnement légendaire, nous nous appuierons sur le travail de Claude Millet, Le légendaire au XIXème siècle, et plus particulièrement sur son analyse des rapports entre la légende et l’Histoire (1997 : 117-142). La vérité légendaire de La Légende des siècles reflète ainsi une conception idéaliste des relations qu’entretiennent ces deux notions puisque la Légende contient une vérité qui lui est propre et que ne contient pas l’Histoire. Cette vérité inhérente à la Légende s’explique par le fait qu’elle fonctionne comme un « miroir déformant, qui ne renvoie qu’un reflet trouble de l’Histoire », comme « une mauvaise mémoire, une mémoire oublieuse, qui ne conserve les faits du passé qu’au prix de leur altération. » (1997 : 119 ) La présence de la légende participe enfin à une mythification de l’Histoire, lui confère une dimension sacrée. Afin de montrer que cette dimension légendaire de l’Histoire transparaît dans l’usage qui est fait du nom propre, nous étudierons les noms propres dans leur rapport au temps, à l’espace et aux personnes
Un « désignateur diaphane »
le nom propre se charge en littérature d’une mémoire sémantique Il paraît ainsi impossible de dégager des traits invariants qui permettraient de conceptualiser le référent dénommé. C’est pour cette raison qu’il paraît peu probable 36 d’identifier le référent désigné à partir de la seule connaissance du nom propre si nous ne savons par avance à quel référent il est rattaché. Dès lors, le nom propre, comme l’analyse Georges Kleiber (1981 : 405-410), occupe une place un peu particulière dans la structure sémantique d’une langue. Contrairement aux autres unités linguistiques, il ne présente pas de structuration sémantique interne. Cette singularité sémantique a trois conséquences. Le nom propre ne peut pas en effet apparaître dans une interrogation lexicale, être distribué avec des expressions comme « signifier, être le sens de… » ou être accompagné d’enclosures33 . Pourtant, même si le nom propre est normalement dépourvu de toute structuration sémantique interne, il en va tout autrement au sein de La Légende des siècles. Cela est particulièrement visible lorsque nous prenons en considération les noms propres à base descriptive34. Ce type de noms propres fonctionne normalement comme des locutions figées au sens où même s’ils présentent l’apparence d’une description définie, ils sont complètement désémantisés. Kerstin Jonasson explique la désémantisation de ces noms propres ainsi : L’hypothèse d’une désémantisation n’est pas aussi facilement applicable à ces Np, qui contiennent un Nc indiquant la catégorie dans laquelle s’inscrit le particulier visé (rue, jardin, avenue, côte, collège, institut, gazette) et parfois le complément renseigne aussi sur la nature du particulier (des plantes, central, grand, national, père). A vrai dire, un grand nombre de Np à base lexicale descriptive constituent une véritable description du particulier qu’ils désignent. Pensez à des Np comme le Jardin des Plantes ou le Massif central. Comment se distinguent-ils de descriptions définies non dénominatives ? Comment sait-on que ce sont des Np ? Si on fait abstraction de la majuscule qui ne s’entend pas à l’oral, on pourra invoquer deux facteurs. Premièrement, le statut proprial est assuré par la convention de dénomination qui associe une forme précise à un seul et même particulier et qu’on suppose connu des interlocuteurs. Deuxièmement, on observe le caractère figé de l’expression. Au lieu de Jardin des Plantes, on ne pourra pas dire Jardin botanique, si on veut référer au même endroit particulier à Paris, on ne peut pas non plus employer une expression comme le Collège français pour le Collège de France, bien que les formules en question soient à peu près synonymes. De même, si on dit les Nations unies ou les Etats associés au lieu de les Etats-Unis, en dépit de la similarité sémantique on ne réussira certainement pas à évoquer le particulier qu’on a visé. (1991 : 36-37) Le caractère conventionnel et figé de ces noms propres descriptifs permet donc de comprendre pour quelle raison le sémantisme premier a disparu. Pourtant, cette interprétation linguistique ne saurait rendre compte du fonctionnement sémantique des noms propres descriptifs de La Légende des siècles puisque le poète leur restitue leur signification originelle. Nous pouvons prendre pour exemple le nom propre « Mer Rouge » dans « Le Cèdre » : 33Les enclosures que Kleiber définit comme des mots qui « ne constituent pas eux-mêmes des prédicats » et qui « mettent en relief les composantes sémantiques des prédicats qu’ils modifient » ne peuvent pas s’appliquer aux noms propres non modifiés. En revanche, certaines enclosures, telles que « une sorte de » et «vrai » peuvent accompagner des noms propres modifiés (1981 : 406-410). Omer, scheik de l’Islam et de la loi nouvelle Que Mahomet ajoute à ce qu’Issa révèle, Marchant, puis s’arrêtant, et sur son long bâton, Par moments, comme un pâtre, appuyant son menton, Errait près de Djeddah la sainte, sur la grève De la mer Rouge, où Dieu luit comme au fond d’un rêve, Dans le désert jadis noir de l’ombre des cieux, Où Moïse voilé passait mystérieux. (v.1-8, p.111) Ici « la Mer Rouge » n’apparaît plus comme une simple description définie figée mais comme une description dont le sens initial est réactivé puisque la couleur rouge de cette mer nous est donnée à voir à travers la lumière divine qui s’y répand. Mais cette lecture sémantique qui nous amènerait à déceler dans le sens du nom propre, une description définie du référent n’est pas seulement valable dans le cas des noms propres à base descriptive. Même si les noms propres purs semblent se prêter, à première vue, moins bien que les autres à une sémantisation, cette interprétation descriptiviste du sens des noms propres fonctionne aussi puisque les noms propres purs possèdent, comme l’explique Kerstin Jonasson, un sens à l’origine : Les Np purs sont perçus comme non-descriptifs ou opaques, ne renseignant pas sur les propriétés du particulier auquel ils sont associés. Dans la mesure où on peut leur assigner un sens étymologique et conceptuel, en faveur de la convention de dénomination qui garantira désormais un lien direct et durable avec un particulier. (1994 : 35) La sémantisation originelle de ces noms propres est donc moins apparente car elle est à rechercher du côté de l’étymon. C’est ce qui explique que les noms propres purs soient considérés comme de simples étiquettes accolés à un référent et se prêtent moins bien à une analyse descriptiviste. Néanmoins, cette interprétation sémantique rend bien compte des exemples de notre corpus puisque le poète met en valeur leur étymon. Mais pour comprendre le fonctionnement sémantique de ces noms propres purs, il ne suffit pas de regarder du côté de leur étymon, il faut également voir en quoi ces noms propres fonctionnent comme l’abréviation de descriptions définies. Lorsque Victor Hugo emploie le nom propre Mahomet, il réactive le sens étymologique du nom qui signifie littéralement « celui qui … », mais il l’utilise également à la manière de l’abréviation d’un ensemble de descriptions définies puisque ce nom signifie « le disciple d’Allah », « l’homme exemplaire »… Autrement dit, ce nom renvoie à une série de descriptions définies qui lui sont rattachées et qui viennent à l’esprit du locuteur et de l’interlocuteur sans qu’elles aient besoin d’être explicitées. Frege explique plus précisément en quoi un nom propre nous met en présence d’un ensemble de descriptions définies spécifiques communes au locuteur et à l’interlocuteur : 38 Supposez qu’Herbert Garner sache que le Dr Gustav Lamben est né le 13 septembre 1875 à N.H. et que ceci ne soit vrai de personne d’autre ; face à cela, supposez qu’il ne sache même rien de plus sur lui. Supposez d’autre part que Leo Peter ne sache pas pas que le Dr Lauben est né le 13 septembre 1875 à N.H. Il s’ensuit que, pour ce qui est du Np « Dr Gustav Lauben », Herbert Garner et Leo Peter ne parlent pas le même langage, étant donné que, bien qu’ils réfèrent affectivement au même homme à l’aide de ce nom, ils n’ont pas conscience de ce fait. (1956 : 297)
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