La gouvernance territoriale et l’apport des organisations mandatées et financées par l’état

Notre recherche se situe aux frontières du domaine du développement territorial et de la gouvernance locale au Québec. Préoccupés au premier chef par le développement territorial, dans une perspective de gestion, nous nous sommes tournés vers le concept de la gouvernance pour en tirer des grilles de lecture.

Tout d’abord, les lectures sur le développement territorial laissent entrevoir les nombreuses implications des sciences de la gestion. En effet, l’histoire du développement territorial au Québec nous apprend que, peu à peu, l’intervention publique s’est mutée d’une perspective « top-down » en une perspective « bottom-up». Ainsi, Lévesque (2005, page 3) considère que toute la phase 1960-1985 est caractérisée par une approche «topdawn », centralisée ou hiérarchique. À cette époque, le gouvernement dispense ses interventions sans trop se préoccuper de la situation territoriale. Les programmes et les interventions sont planifiés à Québec ou à Ottawa pour être ensuite parachutés sur les territoires.

Toujours selon Lévesque (2005), il se développe, à partir du milieu des années 1980 et au cours des années 1990, un partenariat de plus en plus étroit entre l’État et la société civile. Ce partenariat s’est même étendu à l’entreprise privée qui, concurrencée de toutes parts à la suite de l’ouverture des marchés (le libre-échange est en vigueur depuis 1988), s’en remet de plus en plus à la collaboration de la société civile pour former des conditions de développement plus favorables. Des notions comme la coopération, le capital social, la confiance, les communautés d’apprentissage et les milieux innovateurs constituent des concepts qui ont l’écoute des milieux d’affaires. S’inscrivant dans cette tendance, survient alors un « mouvement » de développement local (BOUCHARD 2006). Celui-ci est « une pratique qui traduit une préoccupation, un objectif: « se prendre en main’~ Il fait référence à des initiatives locales où l’on travaille à la valorisation des ressources d’une communauté» (TREMBLAY and VAN SCHENDEL 1991).

Consécutives à cette évolution, apparaissent des organisations permettant la prise en charge du territoire. Sous cette impulsion sont apparus les sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) au début des années 90, les conseils régionaux de développement en 1992 (devenus en 2003 les conférences régionales des élus), les centres locaux de développement en 1998 (ROBITAILLE 2007) et bien d’autres tables et organisations de toutes sortes (comme les conseils régionaux de l’environnement et les comités de bassin versant). Ces organisations ont des  caractéristiques communes. Elles ont été mises en place pour s’occuper de problèmes ou de défis de nature « publique » que l’État ne veut ou ne peut assumer seul. L’État consent à partager le pouvoir, sans toutefois le déléguer en entier. Les problèmes à traiter sont souvent de nature complexe (développement régional, environnement, etc.). De plus, ces organisations sont toutes formées de conseils d’administration composés de membres issus de divers collèges électoraux et de la société civile. Le pouvoir y est mutualisé entre l’État et la société civile. Toutes ces organisations sont des « organisations à but non lucratif». Ces caractéristique sont conformes à ce que Gaudin (2002, p. 35) cite comme étant la << Multilevel governance » : la gouvernance institutionnelle multiniveaux. « Il sagit des relations entre divers acteurs, dabord en ce qui a trait aux grandes questions sociales, et qui ont été peu à peu élargies à une grande diversité d’acteurs qui concourent à présent à l’élaboration des politiques publiques : entreprises, syndicats professionnels, administrations, organisations sociales. »

Ces organisations rejoignent également la description de Hamel et Jouve (2006, p. 6) : « La notion de gouvernance désigne /ëmergence ou la mise en œuvre par les pouvoirs publics de nouvelles mesures de concertation ou de partenariat afin de mobiliser les ressources provenant dacteurs économiques ou d’acteurs sociaux rattachés à la société civile dans le but datteindre les finalités que les États modernes ne parviennent plus à réaliser dvne manière isolée. Cette notion désigne ainsi une transition entre, dvn coté, un ordre politique campé sur la centralité des élus politiques et l’État et, de !autre, un ordre politique pluraliste, ouvert aux acteurs de la société civile et dans lequel la centralité politique est en cours de redéfinition ».

Bref, au fil du temps et à l’instar d’autres démocraties occidentales, le Québec est entré dans l’ère de la gouvernance territoriale. Il s’est doté d’outils, de règles de fonctionnement et d’organisations qui s’inscrivent dans ce mouvement maintenant répandu.

LE DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL ET LES ORGANISATIONS 

Le développement territorial 

Développement régional : l’approche territoriale
Pour Jean (1999), la région peut s’observer, s’étudier et se comprendre autant sous l’angle de la géographie, de l’économie, de la sociologie, de la culture, de la politique, de l’approche administrative ou du regard social. Cette mise en scène illustre la complexité potentielle de la définition de la réalité régionale. Sans compter que nous n’avons pas abordé l’aspect du développement lui-même, qui porte lui aussi ses particularités. Pour Dugas (1994), le mot «développement réfère à une situation dynamique exprimant un changement positif » (page 103).

Bref, lorsqu’il est fait allusion au développement régional, il s’agit de faire référence à une approche territorialisée. C’est pourquoi l’appellation s’est modifiée au cours des dernières années pour« développement territorial ».

Développement local : la prise en charge locale
Le développement local est « une pratique qui traduit une préoccupation, un objectif:  »se prendre en main’~ Il fait référence à des initiatives locales où l’on travaille à la valorisation des ressources dune communauté» (TREMBLAY and VAN SCHENDEL 1991). C’est la partie opérationnelle du développement territorial. C’est aussi la notion d’action endogène. Présentée par Bouchard (2006) comme un « mouvement», cette façon de faire s’insère, au Québec, dans les usages en réaction à ce que plusieurs personnes habitant les régions périphériques perçoivent comme étant une centralisation trop grande des pouvoirs gouvernementaux.

Le développement local, tout comme le développement régional, se présente sous la forme territorialisée (JOYAL 2002). Le territoire pouvant être variable, en fonction notamment du projet en cours. Parfois, il s’agit d’un village, parfois d’une municipalité, parfois d’un territoire de MRC et parfois même d’une région administrative et aussi d’un bassin versant. Le développement local étant une pratique, il peut donc avoir des objectifs ou des finalités diverses. Ici, il vise le développement de l’entrepreneurship (JOYAL 2002), là, la planification du développement économique par l’aménagement du territoire (PROULX 2002) ou une approche plus globale (GREFFE 2002; BOUCHARD 2006). Il est d’inspiration communautaire (JOYAL 2002) et requiert donc la participation, la concertation, la mise en commun des parties prenantes. En fait, le partenariat constitue une composante essentielle du développement local (GREFFE 2002). C’est par ces partenariats que se génère l’apprentissage collectif (GREFFE 2002) qui permet à un territoire de gagner en capacité de développement. Ces façons de faire répondent à des règles et ne sont pas le fruit de l’improvisation

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Le développement local doit permettre d’atteindre des finalités, des buts, des objectifs pour le territoire, c’est pourquoi il est associé à un projet de territoire (GREFFE 2002) ou de planification stratégique (JOYAL 2002; PROULX 2002). C’est donc aussi dans ce contexte que s’inscrit la mise en place des organismes de bassin versant au Québec. Il est vrai qu’ils proviennent du domaine de l’environnement, mais ils s’inscrivent tout à fait également dans la culture du développement local, par leurs natures et leurs gestions. C’est pourquoi, comme nous le verront plus loin, des grilles d’analyse emprunté au domaine du développement territorial et à la gestion vont s’avérer appropriées pour les observer.

Développement territorial : survol historique de l’intervention de l’État
Différents éléments historiques ont modelé les façons de faire le développement pour en arriver à la situation actuelle. Les pages suivantes en feront état brièvement.

Du 17e siècle aux années 1960 : occuper le territoire
Selon Proulx (2002), l’intervention gouvernementale en territoire régional date pratiquement des débuts de la colonisation. Pour lui, l’octroi par le gouverneur de la Nouvelle-France de seigneuries à Baie St-Paul et dans le Bas St-Laurent à la fin du XVIIe siècle constitue des actes de nature gouvernementale destinés à favoriser l’occupation et l’aménagement du territoire. Graduellement, le territoire sera occupé par des Québécois au fur et à mesure de « l’ouverture » de régions. Ainsi, après la Beauce, la Mauricie et les Bois-Francs, les Cantons-de-l’Est furent « ouverts » à la fin du XVIIIe, les Laurentides au début du Xlxe, le Saguenay-Lac-Saint-Jean vers 1840, le Témiscamingue vers 1890 et enfin, au début du xxe siècle, l’Abitibi et la Côte-Nord. L’objectif de la stratégie gouvernementale durant cette période étant d’occuper le territoire en octroyant des ressources naturelles aux citoyens (forêt, terres).

Une fois les territoires occupés, il a bien fallu les aménager. Selon Proulx (2002), la période 1930-1960 a surtout consisté à électrifier les campagnes, construire des routes, des ponts, des ports, des aéroports et à édifier des écoles, des hôpitaux.

Les années 1960-1970: réduire les disparités interégionales
Selon Dugas (2005), c’est en 1961 que l’on voit la première intervention gouvernementale en développement régional en vue d’atténuer les disparités régionales. Par la Loi sur l’aménagement rural et le développement agricole (ARDA), le gouvernement fédéral s’implique à la grandeur du territoire canadien. Cette loi visait, à l’origine, le déploiement de mesures visant la mise en valeur des ressources naturelles des milieux ruraux, particulièrement celles du secteur agricole. Elle visait aussi la conservation de l’eau et du sol. Pour Dugas (2005), cette loi n’a pas donné lieu à un processus de planification du développement du territoire. Au contraire, il est généralement reconnu que l’application de cette loi a donné lieu à l’improvisation, les besoins étant tellement importants et tellement urgents. Il y eut 23 millions de dollars investis au Québec durant les trois premières années d’application de la loi. De ces 23 millions, au-delà de 8 millions ont été investis dans la région de « l’Est du Québec ». Des projets d’assainissement de cours d’eau, d’aménagement forestier, d’amélioration de terres agricoles, de travaux pour faciliter l’hivernement des navires, des projets de bleuetières, de pâturages communautaires, d’élevage de bœufs et de développement touristique ont été soutenus via ce programme. Chacune des ententes fédérales-provinciales avait une durée de trois ans. Le Québec, le Manitoba et la Saskatchewan ont été les premières provinces à en bénéficier, alors que l’Ontario fut la dernière en 1975.

Table des matières

Introduction
Chapitre 1 Le développement territorial et les organisations
1 .1 – Le développement territorial
1 .1 .1 – Développement régional : 1 ‘approche territoriale
1.1.2- Développement local: la prise en charge locale
1.1.3- Développement territorial :survol historique de l’intervention de l’État
1.1.4- Des organisations pour opérationnaliser le développement territorial
1 .1 .5 – L’instance de gouvernance dans le système de développement territorial
1.2- Les organismes de bassin versant
1.2.1 -Gestion intégrée par bassin versant: origine et contexte
1.2.2- Gestion intégrée par bassin versant: état des lieux au Québec
Chapitre 2 Cadre théorique
2.1 – La gouvernance
2.1.1 -La gouvernance et sa portée
2.1.2- La gouvernance et ses définitions
2.1.3- La gouvernance et son origine
2.1.4- Quelques bases de la gouvernance
2.1.5 – La gouvernance et ses limites
2.2 – L’angle de la gestion
2.2.1 – L’analyse politique
2.2.2- Équilibre entre le management et la gouvernance démocratique
2.2.3- La reddition de compte des OBNL
2.2.4 – Les capacités organisationnelles
2.3- Le rôle de I’État
2.4- Synthèse du cadre théorique
Chapitre 3 Cadre méthodologique
3.1 -Objectifs de recherche
3.2- Méthodologie
3.2.1 -Plan de recherche/stratégie de recherche
3.2.2- Présentation du cas
3.2.4 – Limites du questionnaire
3.2.5- Identification du lien causal sur le développement territorial
Chapitre 4 Les zones de pression
4.1 -Tester l’équilibre entre le management et la gouvernance démocratique99
4.1 .1 – Observations des éléments liés à la planification
4.1.2- Observations liées au respect des champs de compétence
4.1 .3 – Observations liées à la communication et à la transparence
4.1 .4 – Observations liées à 1 ‘enracinement dans le milieu
4.1.5 – ObseNations liées à l’implication des membres, employés, bénévoles, clients
4.1.6- Observations liées au leadership
4.1.7 – Conclusion sur l’équilibre entre le management et la gouvernance démocratique
4.2 – Nomination des administrateurs par cooptation
4.3 – L’organisme de bassin versant traitant de problèmes complexes
4.4- L’État comme suNeillant du terrain de jeu
4.5- L’État intervenant dans le même domaine d’activité
4.6- L’État comme pouNoyeur de fonds
4.7- Biais dans les processus de décision
4.8 – Manque de connaissances techniques
4.9- Manque de moyens financiers
4. 1 0 – Les quatre dilemmes de la gouvernance
4.1 0.1 – Le dilemme de 1 ‘imputabilité et de 1 ‘efficience
4.1 0.2 – Le dilemme de coopération et de concurrence
4.10.3- Le dilemme de l’ouverture et de la fermeture
4.1 0.4 – Le dilemme de la gouvernabilité et de la flexibilité
4. 11 – Analyse politique
4. 12 – Reddition de compte et performance de 1 ‘organisation
4. 13 – Synthèse des obseNations
4.13.1 -Autre obseNation
4.14 – Conclusion sur les observations
4.15- Impacts des zones de pression sur la performance de I’OBV
4.15.1 -Mesures de pertinence de I’OBV
4.15.2- Mesures de cohérence de I’OBV
4.15.3- Mesures d’adéquation de I’OBV
4.15.4- Mesures d’efficience de I’OBV
Chapitre 5 Recherche du lien causal sur le développement territorial
Chapitre 6 Conclusion

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