L’histoire de Rouyn-Noranda n’est guère encourageante pour ce qui est de développer une région entrepreneuriale, car la population s’attend toujours à ce que le monde extérieur, les gouvernements et les grandes entreprises créent des emplois. Les citoyens et les entrepreneurs locaux ne veulent plus vivre dans de telles attentes. Cette vision de vouloir changer et améliorer son territoire via le développement endogène est venue de Monsieur Pierre Grandmaître, maire de 1996 à 2000. C’ est lors d’un séminaire sur « Les grands enjeux des secteurs publics», à l’extérieur de la région, concernant le développement régional qu’il a pensé à une stratégie de développement local. Il en est revenu avec la certitude que l’Abitibi-Témiscamingue, plus spécifiquement Rouyn-Noranda, peut à elle seule se prendre en main et initier un développement endogène. D’où l’idée de créer un CHANTIER DÉFI-EMPLOI dans la Municipalité régionale de comté de Rouyn Noranda (MRC-RN).
Durant cette même période, en 1998, le Centre local de développement de Rouyn-Noranda (CLD-RN) a été créé et remplace depuis la Société de développement économique de Rouyn-Noranda (SDE-RN). L’implantation de ce nouvel organisme de développement semble s’être réalisée de façon plutôt harmonieuse compte tenu que la SDE-RN agissait déjà sur tout le territoire de la MRC de Rouyn-Noranda. Mentionnons également qu’en 2001,1a fusion de toutes les municipalités de la MRC en une Ville MRC a possiblement renforcé l’implantation du CLD-RN.
Le Chantier Défi-Emploi gravite autour des leaders économiques de Rouyn-Noranda. Ces derniers sont regroupés dans une structure mobilisatrice comprenant différentes tables thématiques, dont les principaux objectifs sont de trouver des idées de projets. Lors d’une rencontre, en 1999, M. Pierre-André Julien, spécialiste du développement local au Québec, a expliqué, aux membres du Chantier Défi-Emploi, le principe des 1000 idées. Il s’agit d’ amasser 1000 idées faisant ainsi 100 projets potentiels afin de faire émerger 10 entreprises.
De la mobilisation générée par le Chantier Défi-Emploi, en février 2000, est né un autre organisme : le Club Défi. Cet organisme est un club privé de gens d’affaires soucieux de contribuer au développement de Rouyn-Noranda. Finalement, en 2001, est née une Table de concertation économique à Rouyn-Noranda, laquelle regroupe l’ensemble des organismes de développement économique de la ville. Comment expliquer de telles mobilisations et concertations ? Juan-Luis Klein (1995 : 8) voit certaines de ces actions évoluer, présenter des alternatives et prendre des formes de plus en plus structurantes, et de ce fait, s’insérer dans un mouvement social en gestation. D’autre part, l’ approche des mouvements sociaux soulève également les questions d’appartenance qui sont sous-jacentes à ces mobilisations et concertations. Gerry Stoker (1999: 24) mentionne que la gouvernance, sous sa forme la plus abstraite, implique une modification de l’équilibre traditionnel entre l’État et la société civile. Les champs d’études s’ouvrant sur ces questions sont vastes et prometteurs, notamment en ce qui concerne 1′ adéquation entre mobilisation, concertation et implication dans le développement. En ce sens, analyser le projet de mobilisation et de concertation à Rouyn-Noranda est intéressant à plus d’un titre. D’abord, par l’ampleur de la conce1tation et de la mobilisation depuis 1999, puis à cause de la création d’une Table de concertation économique de Rouyn-Noranda regroupant l’ensemble des acteurs locaux impliqués dans le développement économique. En effet, la très grande mobilisation que le Chantier Défi-Emploi a réussi à maintenir depuis 1999 apparaît comme étant porteuse d’un mouvement de solidarité, de concertation et de création d’un sentiment d’ appartenance. Cela démontre également l’efficacité d’un leadership au sein de la communauté de Rouyn-Noranda. Il y a là plusieurs pistes de recherche, entre autres, sur le sentiment d’appartenance, le capital social, la gouvernance politique, économique et sociale de même que sur l’influence d’une communauté sur l ‘appareil étatique.
Le développement local
On entend par «développement la capacité d’un pays ou d’une région non seulement à répondre aux différents besoins du plus grand nombre de ses habitants, mais aussi à respecter et à valoriser ses possibilités présentes et futures» (Julien, 1997: 9). Un des éléments du développement est «la création d’un surplus et son accumulation [ … ] permettant non seulement de répondre aux besoins essentiels[ .. . ] mais d’investir afin d’améliorer la production de ces biens et ainsi de dégager du temps pour la communauté afin de satisfaire ses autres besoins » (Julien, 1997 : 9).
Au cours des vingt dernières années, le gouvernement du Québec a mis à la disposition des régions de nombreux mécanismes et fonds de développement afin de soutenir le développement économique et l’entrepreneuriat. Lévesque et Mendell (1997) ont répertorié, en 1995, une liste de 254 fonds de développement local et régional en vigueur au Québec. Ces multitudes de mesures et de programmes ont pour effet de créer de la confusion tant chez ceux qui ont à les gérer que chez les promoteurs qui souhaitent s’en prévaloir. Devant la pléthore des mesures et programmes ainsi que le grand nombre de structures qui en découlent, le gouvernement doit rationaliser et resserrer ses interventions, et les milieux doivent partager ce souci de simplification des services à l’entrepreneuriat tout en étant partie prenante de l’effort gouvernemental en ce domaine.
Le gouvernement doit soutenir cette transformation du développement en adaptant en conséquence l’organisation de ses services aux régions. Quant aux intervenants locaux et régionaux, ils sont les mieux placés pour travailler à 1′ essor économique de leur milieu. Bernard Kayser (1990) utilise le terme« localisme »pour parler de régionalisme et de développement local. L’auteur soutien que le localisme s’exprime dans la mise en relation de ses propres stratégies avec celles de l’État. Nous retrouvons donc une articulation du local et de l’appareil étatique.
Le développement local ne s’applique pas partout de la même manière. Il s’ agit plutôt d’une façon de penser le développement qui, en se centrant sur les individus, vise à recréer « la volonté et la capacité d’un milieu à produire son développement» (Vachon, 1995). En fait, il s’agit de «tout développement planifié issu du milieu local qui utilise des ressources et des initiatives locales dans le but d’améliorer les conditions de vie des résidents et d’atteindre des buts collectifs de la communauté » (Bryant, 1992 : 5).
Joyal (2002 : 29) quant à lui, définit le développement local « en un lieu de la mise en action des initiatives individuelles ou collectives en fonction des ressources sur un territoire précis ». Ses actions qui sont réalisées au niveau local peuvent être modifiés selon l’intervention des différents acteurs qui cherchent à répondre à des exigences spécifiques. Le développement local « se présente sous forme territorialisée ». L’auteur parle « davantage de complémentarité locale/globale, comme de deux logiques appelées à s’interrelier » (loyal 2002 : 39). De ce fait, « la quasi-totalité des actions de développement local concertées dans une perspective territoriale globale s’inscrivent dans un schéma de rencontre de 1′ exogène avec l’endogène » (Ka yser, 1990 : 217).
L’exogène représente les procédures et les incitations mises en place par les structures supérieures de l’État, des organisations socioprofessionnelles et des organismes privés ou publics, qu’ils soient économiques, sociaux ou syndicaux. L’endogène caractérise le mouvement ascendant d’initiatives locales élaborées par les élus et les divers groupes concertés dans la dynamique sociale de développement.
« Cette dynamique endogène doit nécessairement chercher la rencontre avec les forces exogènes : pour se faire reconnaître, pour faire admettre ses capacités, pour que sa crédibilité soit assise, et pour enfin obtenir les moyens indispensables, l’acteur collectif du développement local non seulement recourt aux pouvoirs publics ou à l’investissement privé, mais encore se glisse dans des structures institutionnelles». (Kayser, 1990 : 217) .
La collaboration avec les forces exogènes n’est pas le seul élément de cohésion nécessaire pour assurer la bonne marche du développement local. Il doit également y avoir concertation et consensus à l’intérieur des forces endogènes. La théorie du développement global de Vachon (1995) vise le développement local. Cette théorie, basée sur la concertation, peut être appliquée à une micro-région. Lorsque Vachon (1995) parle du développement local, il exprime la nécessité d’égalité entre les interlocuteurs. «La pratique du développement local [ … ] tend à associer le plus de partenaires possibles autour d’un projet de développement, dans une intervention simultanée et cohérente ». Vachon (1995) articule son discours autour d’un partenariat entre différents acteurs d’une communauté afin d’ avoir une cohésion et une concertation mobilisatrice. La concertation n’ est pas un simple exercice d’échange d’informations ou de débat. Elle implique l’alliance et l’échange de compétences et d’énergie en vue de l’ avènement d’ un but commun : le développement local. Elle crée une synergie parmi les collectivités et les acteurs qui ont décidé de collaborer au développement. Schneider (1989: 25) définit la concertation comme étant « une démarche qui comprend l’ensemble des pratiques articulées d’un groupe d’acteurs décisionnels et autonomes qui ont convenu d’harmoniser non seulement leurs orientations mais également leurs stratégies d’intervention et leurs actions concrètes au sein d’un secteur d’activité donné ».
Depuis quelques années déjà, un consentement se dégage au sein de l’appareil étatique voulant qu’une part essentielle du développement local économique d’une région repose sur la concertation du milieu. Le développement économique d’une région passe par une plus grande responsabilisation des milieux locaux et régionaux. La situation exige, en outre, une plus grande participation de l’État avec les partenaires du marché du travail, à savoir les représentants patronaux et syndicaux auxquels se joignent maintenant ceux d’organismes de développement économique et communautaire. Proulx (2002: 103) souligne qu’il «semble que l’État post keynésien désire désormais se rapprocher des agents économiques tels que les entrepreneurs, les travailleurs, les investisseurs et les consommateurs». Ce partenariat devrait s’étendre à tous les niveaux, notamment à l’échelle locale, là où l’intervention peut le mieux concourir à l’adéquation d’ un développement économique.
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