La gestion naturelle des espaces ? l’avis des usagers sur la gestion differentielle
« Que pensez-vous d’une gestion « naturelle » des espaces verts de l’agglomération de Tours ? » Cette partie va principalement s’attacher à l’analyse des réponses à cette question, qui vise à évaluer la volonté des citadins concernant la gestion des espaces verts. Comment la gestion « naturelle » a été présentée aux interrogées ? : Lorsqu’on demandait aux usagers des parcs s’ils étaient favorables à une « gestion naturelle », il était précisé de quoi il en retournait : espacer les périodes de tonte, utiliser moins de produits phytosanitaires, laisser des espaces « libres » de toute intervention…bref, la « gestion naturelle » était en réalité le terme utilisé lors des entretiens pour désigner une gestion différenciée. Pourquoi utiliser le terme naturel plutôt que différenciée ? : Avant tout, le terme différencié était difficile à utiliser dans le cadre d’un questionnaire destiné au grand public. Le terme ne renvoie à rien de connu, et l’explication aurait certainement nécessité plus de temps. Il a été expliqué précédemment (Partie Matériel et Méthode, I. Sites d’étude) les objectifs de la gestion différenciée, inscrits dans la démarche du développement durable, qui consistaient à proposer des habitats complémentaires à la faune et à la flore, utiliser moins de pesticides, mieux respecter les cycles de vie des végétaux, etc. C’est en quelque sorte modérer la pression de l’Homme sur ces milieux, qui se matérialise par une tonte accrue, l’utilisation de produits créés par l’Homme, etc. Naturel est donc utilisé ici dans le sens de ce qui « est opposé à l’homme et à ses créations » (une des définitions de la nature présentée dans la partie Introduction, I.1. Définitions). Evidemment le principe de la gestion différenciée est d’utiliser le bon traitement au bon endroit, et il n’est certainement pas question de transformer toutes les étendues de pelouse en prairie de hautes herbes. Cette précision n’était pas apportée lors de la question sur la gestion naturelle, afin de recueillir plus de réaction vis-à-vis de ces pratiques : si l’on avait supposé que ces traitements ne se faisaient qu’aux endroits « adaptés », beaucoup ne se seraient certainement pas senti concernés et aurait approuvés ce type d’entretien, puisqu’il n’empièterait pas sur leurs plates-bandes (ce ne serait pas alors le « bon endroit »).
L’aire d’habitat influe sur la nature souhaitée
Les réactions soulevées lorsqu’on demandait aux usagers s’ils étaient favorables à une gestion naturelle des parcs et jardins de Tours n’étaient pas unanimes. Alors que les personnes habitant à la campagne sont contre ou ont un avis partagé (réponse – oui et non), la question divise chez les citadins et ceux habitant en périphérie. L’Analyse Factorielle des Correspondances (AFC) a montré une corrélation entre l’aire d’habitat et l’approbation d’un gestion naturelle ou non. En effet, il semblerait que les personnes habitant en ville soient plus favorables à une gestion naturelle que ceux habitant en périphérie ou en campagne, qui sont associés aux réponses « non » et « oui et non ». De plus, une autre AFC a montré une corrélation entre l’aire d’habitat des personnes interrogées et leurs réponses à la question « En dehors des espaces verts, la nature a-t-elle sa place en ville ? ». Il s’avère que les citadins partageraient plus leur milieu de vie avec la nature, contrairement aux habitants des périphéries et des milieux ruraux. Ces correspondances pourraient s’expliquer par le fait que les habitants des périphéries et des campagnes, sont beaucoup moins en « manque de nature » que les citadins. En s’éloignant des centres urbains, les paysages environnement se verdissent, les jardins s’agrandissent, et le fameux « mal-être » urbain (décrit dans la partie Introduction – I.3.2 Amélioration de la qualité de vie) s’estompe. Ces personnes côtoient plus la nature au jour le jour, et ne ressentent pas le besoin de modifier l’espace urbain qui n’est pas leur lieu de vie. De plus, les habitants des milieux ruraux auraient une vision de la nature plus fonctionnelle Figure 22 : Graphique de l’AFC, expliquant les corrélations entre la variable Aire d’Habitat et la variable « Favorable à une gestion naturelle » ? (Réalisation : E. BOYER ; Source : enquête réalisée lors du PFE) BOYER Eva – La Nature et le Citadin : Quelle nature souhaitée dans les parcs et jardins de Tours ? 53 Figure 23 : Une des deux cigognes présentes dans les enclos du Jardin Botanique (Réalisation : E. BOYER) dont le but est de servir l’être humain (Blanc, 2000). Cela expliquerait peut-être pourquoi ces personnes ne souhaitent pas voir la nature en dehors de l’espace qui lui est réservé – les parcs et jardins – et ne sont pas favorables à une gestion plus souple qui représente un contrôle moins total de la nature : à la campagne, les animaux d’élevage sont dans un enclos, les cultures dans un champ qui leur est propre, le chien est dehors à monter la garde, le chat est là pour chasser les souris et les rats. Ainsi, les citadins sont ceux qui souffrent de « l’effacement de la nature » (Blanc et Mathieu, 1996), ceux qui expriment le plus leur besoin de verdure dans leur environnement, mais aussi ceux qui souhaitent une végétation cultivée avec moins de rigueur, à travers une gestion différenciée.
Des avis mitiges la peur d’une menace de l’ordre urbain
Dans les faits, tous quasiment sont pour une utilisation réduite des pesticides, ils sont considérés comme « dangereux », mais ce qui les a le plus interpellé dans la définition d’une gestion naturelle, ce sont les fréquences de tonte réduites, ainsi que la possibilité de laisser des espaces non entretenus régulièrement. Ainsi, ces évocations ont poussé certains à se prononcer « contre » une gestion différenciée : « à part le fait d’utiliser moins de pesticides non, c’est bien comme ça ». Pour ceux qui y sont totalement favorables (approuvent les trois actions énoncées), plusieurs personnes ont parlé des abeilles et de leur conservation, et ont approuvé cette gestion naturelle qui leur serait favorable. Une autre parle plus généralement des insectes, et trouve que c’est une bonne chose de laisser des endroits libres pour les animaux : « Avec la ville, on les repousse toujours plus, alors si on leur laisse des coins à eux c’est bien, il faut bien que tout le monde cohabite ! ». Une personne propose de capturer les rats pour les relâcher ailleurs plutôt que d’utiliser du raticide, d’autres évoquent le bien-être des animaux en général… Au Botanique, une personne a donc déploré le traitement réservé aux cigognes qui sont « des animaux sauvages, pas faits pour être enfermé dans 10m²…en plus on leur a coupé le bout des ailes pour qu’elles restent là, BOYER Eva – La Nature et le Citadin : Quelle nature souhaitée dans les parcs et jardins de Tours ? 54 Figure 24 : Répartition de l’échantillon en fonction de leur aire d’habitat et de leur réponse à la question « Etes-vous favorable à une gestion plus « naturelle » des parcs et jardins » (Réalisation : E. BOYER) c’est pas fait pour patauger dans la boue les oiseaux…il faut la liberté aux animaux ». Un autre évoque également le souhait de voir des animaux en liberté « ils ne sont pas fait pour être en cage ». Ces commentaires sont évidemment liés au Jardin Botanique, qui en plus de présenter des collections de plantes, présente plusieurs animaux exotiques dans des parcs. Dans les trois autres parcs étudiés, aucun commentaire sur la liberté des animaux n’a été émis. Enfin, il y a les plus frileux, qui sont favorable à ce type de gestion, mais qui s’inquiètent du devenir des pelouses rases. Ainsi, une personne s’est prononcée favorable à une gestion naturelle mais dans des zones « prévues à cet effet », une sorte de vitrine dans laquelle on pourrait « observer la nature et les plantes comme aux Prébendes où il y a un endroit pour ça », et insiste bien sur le fait que si on le fait partout, ça serait « l’abandon de la nature ». Beaucoup défendent les pelouses et leur caractère agréable, et ne souhaitent pas les voir disparaitre : « il faut conserver des pelouses pour que les gens puissent s’y installer […] Il faut donc les deux, et surtout plus de diversité pour qu’on puisse bien observer la nature ». En plus, les pelouses sont « jolies, et on peut s’y assoir dessus ». Certains semblent comprendre implicitement le principe de la gestion différenciée, et identifient leur parc comme celui où elle n’a pas lieu d’être : « je suis d’accord pour la non utilisation de pesticides, mais c’est plus joli quand c’est tondu, et quand les plantes sont sélectionnées. La Gloriette fait déjà de la gestion durable, et je pense que chaque parc doit rester dans son thème et qu’il faut de tout. Les Prébendes, c’est la proximité et c’est bien comme ça». Un autre approuve également l’idée d’une gestion naturelle, mais s’empresse de rajouter « mais pas trop, il faut rester comme ici où c’est naturel parce qu’on peut aller sur les pelouses et c’est quand même ordonné ». Le mot naturel est ici employé pour désigner la proximité, l’accessibilité des éléments verts avec la personne interrogée. Elle a ensuite développé ses propos et a expliqué que les pelouses interdites sont moins naturelles car inaccessibles, trop « fragiles », et faites uniquement pour « être vues » ; donc faites par et pour l’Homme, ce qui renvoie à la définition de la nature opposée à l’être humain pour cet usager (la pelouse st naturelle si on peut aller dessus). C’est une nature domestique (définition dans la partie Introduction – I.1 Définitions) qui n’a ici qu’une fonction d’agrément.