LA GESTION DES RISQUES CONTRACTUELS
EN DROIT PRIVÉ
LES ALÉAS OBJECTIFS
Les aléas objectifs sont ceux qui sont inhérents, soit à la rédaction de la clause de gestion de risque, soit à l’abus. Il s’agit d’aléas relatifs à la rédaction des clauses de gestion de risques (Paragraphe I) et de ceux relatifs au caractère abusif des clauses de gestion (Paragraphe II) Paragraphe I. Les aléas relatifs à la rédaction des clauses de gestion de risques Ces aléas sont à la fois relatifs à la rédaction des clauses de sécurité (A) et à la rédaction des clauses de révision du contrat (B). A. Les aléas relatifs à la rédaction des clauses pénales et de confidentialité Il existe certaines clauses qui permettent de protéger les informations échangées lors de la conclusion du contrat ou qui garantissent l’exécution du contrat. Il s’agit de la clause de confidentialité et de la clause pénale. La clause de confidentialité405 crée deux problèmes majeurs. Il s’agit de l’identification des obligations constitutives de confidentialité et le problème de preuve de la transmission de l’obligation dite confidentielle. S’agissant de l’identification des obligations de confidentialité, il convient de dire que la clause de confidentialité crée trois obligations de ne pas faire pour être efficace : Ne pas utiliser des informations communiquées par l’autre partie pour autre chose que les besoins de la négociation. Ne pas utiliser les informations après l’échec des négociations. Ne pas communiquer les informations à des tiers, et ceci à tout moment. Très souvent, ces trois obligations ne figurent pas dans les clauses. Ensuite, ces obligations peuvent engendrer des obligations secondaires de confidentialité. Ainsi, la liste des informations considérées comme confidentielles est un énorme travail, coûteux, avec des risques d’oubli. Aussi, les parties peuvent stipuler que ne sont pas confidentielles, les informations soumises à des obligations légales de publicité et les informations déjà connues par le débiteur de l’obligation de confidentialité. Quant au problème probatoire de la transmission de l’information confidentielle, un partenaire de mauvaise foi dira toujours qu’il n’a jamais été informé de l’information qu’on prétend lui avoir transmise. Si le créancier de l’obligation se plaint qu’il a utilisé, révélé une information, il doit prouver qu’il lui a été communiquée. Pour éviter ce problème de preuve, les parties devront faire la liste des informations transmises et faire signer par le partenaire le bordereau établissant la liste. Cela prouve que le débiteur de l’obligation a bien transmis les informations. 134. En dehors de la clause de confidentialité, nous avons aussi les risques liés à la rédaction des clauses pénales. La clause pénale est une clause par laquelle le débiteur devra verser au créancier une somme d’argent dont le montant est fixé d’avance en cas d’inexécution totale, partielle, défectueuse ou tardive. Le créancier utilise la clause pénale comme un moyen de pression sur son débiteur en vue d’obtenir la pleine exécution des obligations de ce dernier. Ainsi, nous pouvons dire sous la plume de D. Mazeaud que « la clause pénale se présente comme une arme de dissuasion destinée à conjurer l’infidélité contractuelle »406. Dans l’époque romaine, la fonction première de la clause pénale était de valider certaines conventions inefficaces407. En droit romain, « les conventions ayant pour objet autre chose que de l’argent (obligation de faire, de ne pas faire ou de donner) n’avait aucun effet sur le terrain juridique. Seuls les accords portant sur des sommes d’argent se trouvaient sanctionner par la loi. Ainsi, des contractants ingénieux apposèrent une « stipdatio poenae » sur ces conventions ; ce qui a permis de leurs donner une pleine efficacité juridique » 408 . Aujourd’hui, certains auteurs perçoivent la clause pénale non comme un élément contractuel, comme les autres mais plutôt comme un accord exorbitant de justice privée qui dépouille l’autorité judiciaire d’une parcelle de son pouvoir409. C’est pourquoi, les parties devront prévoir un certain équilibre entre le montant de la pénalité et le préjudice subi. Dans le cas contraire, le juge est en droit de faire une application proportionnelle de la clause. Toutefois, la révision judiciaire de la clause pénale en droit sénégalais doit être relativisée contrairement en droit français. Au Sénégal, le pouvoir de révision judiciaire peut être limité par la volonté des parties. Selon l’article 154 al. 3 C.O.C.C. « En cas d’exécution partielle, le juge fait application proportionnelle de la peine sauf stipulation contraire des parties ». 135. Cela dit, les parties peuvent s’opposer à une révision judiciaire de la clause en prévoyant une stipulation dans ce sens. Or, en droit français le juge peut réviser la clause pénale et toute clause contraire est réputée non écrite410. En outre, toujours en droit français, l’intervention du juge est discrétionnaire, c’est une simple faculté pour lui. Mais, l’intervention du juge n’est possible que si la clause est manifestement excessive ou dérisoire. Cette expression marque bien la volonté du législateur de ne permettre aux juges d’intervenir que dans des cas où l’utilisation abusive de la clause est flagrante. De plus, plusieurs raisons peuvent justifier la réductibilité des clauses pénales exorbitantes. D’une part, comme pour Dumoulin, la peine était stipulée dans l’intention de 406 V°. D. MAZEAUD, « La notion de clause pénale », RDC n° 45. Vol 3, p 721 et s. 407 V°. A. DEMEYERE, « Étude comparative de la clause pénale en droit civil français et en Common Law », in institut de droit comparé Mc Gill university, Montréal 1999, p. 6. 408 V°. ibid., p. 6. 409 V°. J. THILMANY, « Fonctions et prévisibilité des clauses pénales en droit comparé », op. cit., p. 1. 410 V°. Y. WEHRLI et alii, « Le juge et le contrat : regards croisés », RDC 01/12/2015, n° 4, p. 817. 90 dédommager le créancier de l’inexécution de l’obligation principale : elle était par conséquent compensatoire des dommages et intérêts qu’il souffre de l’inexécution de l’obligation principale. Pour Pothier, la logique indemnitaire permettait au juge de corriger la clause si le dommage était inférieur à l’estimation. D’autre part, le consentement donné par le débiteur à une peine excessive était nécessairement, selon Pothier, fondé sur une erreur et n’était donc pas un consentement valable411. Enfin, la notion d’équité, d’équilibre des prestations d’une adéquation entre le montant de la clause et celui du préjudice effectif traduit l’utilité essentielle de la clause pénale dans le système Pothier, qui est celle d’un moyen de renverser le fardeau de la preuve : c’est au débiteur qu’il incombera de prouver que le montant de la clause dépasse considérablement celui du dommage qu’il a occasionné au créancier.412 Pour éviter cette intervention judiciaire, les parties peuvent stipuler des clauses similaires à la clause pénale. Il s’agit notamment de la clause d’obligation alternative. « L’obligation est alternative lorsqu’elle a pour objet plusieurs prestations entre lesquelles le débiteur peut choisir pour se libérer » 413. Cette clause permet aux parties de contourner les règles de la clause pénale et donc de l’intervention judiciaire. Ainsi, au lieu de prévoir une pénalité en cas d’inexécution, Y va demander à X qu’il engage M, soit à lui construire une maison avant le 1 er janvier 2017, soit à lui payer une somme de dix millions (10. 000 000) FCFA. Le résultat des deux contrats est le même : si X ne construit pas la maison de Y avant le 1er janvier 2017, il devra payer une somme de dix millions (10. 000 000) FCFA. Cette clause constitue une obligation alternative. Ainsi, le débiteur ne pourrait théoriquement pas bénéficier de l’intervention du juge limitée aux seules clauses pénales. 136. L’aléa majeur vient du fait que la clause pénale n’est pas indépendante du contrat principal. En effet, l’aléa qui affecte le contrat principal peut paralyser, dans certains cas, la mise en œuvre de la clause. Ainsi, la Cour suprême du Sénégal avait admis cette possibilité en décidant que le contractant « Ndiouck était fondé à soulever l’exception d’inexécution ; […] que les manquements sus caractérisés légitiment la prétention de Ndiouck, à l’application de la clause pénale prévue à l’article 8 du contrat du 17 juin 1996 et à l’acte de nantissement du 3 octobre 1997 »414 . En d’autres termes, selon le juge de la Cour de Cassation sénégalaise la paralysie du contrat principal par l’exception d’inexécution est un obstacle pour la mise en œuvre de la clause pénale. Par ailleurs, dans l’ancien droit romain, la clause pénale était un contrat principal conditionnel415. En fait, la fonction première de la clause pénale à l’époque romaine ne résidait pas dans sa fonction punitive, mais dans sa capacité à valider certaines conventions inefficaces en ellesmêmes. Ainsi, si la convention principale était nulle, en revanche la clause pénale était valable et elle incitait le débiteur à exécuter la convention principale par crainte de devoir s’acquitter de la somme stipulée. Aujourd’hui, force est de constater que la clause pénale n’est plus autonome par rapport au contrat principal. La nullité de celui-ci emporte de facto celle de la clause pénale. 137. Quid de l’inexécution du contrat par un cas de force majeure ? Certes la clause pénale sanctionne l’inexécution des obligations contractuelles qu’elle soit totale, partielle, tardive ou défectueuse416. Le législateur sénégalais ne fait pas référence à l’origine de l’inexécution contractuelle. Cependant, certains indices utilisés par le législateur indiquent que l’inexécution doit être fautive et non fortuite. L’al. 2 de l’article 154 dispose que, « Le paiement de la clause pénale stipulée pour le retard dans l’exécution ou l’exécution défectueuse ne dispense pas d’exécuter l’obligation ». L’absence de dispense d’exécution de l’obligation suppose que son exécution ne soit pas rendue impossible par un cas de force majeure. En outre, l’article 154 alinéa 2 C.O.C.C. énonce également que : « La victime ayant mis le débiteur en demeure n’a pas d’autre preuve à faire que celle de l’inexécution de l’obligation ». La mise en demeure du débiteur indique donc qu’il est tenu d’exécuter l’obligation. Or, la force majeure libère le débiteur de son obligation contractuelle. De même, selon l’article 155 du même Code, la clause pénale peut être assimilée à la clause limitative de responsabilité alors que la force majeure est une cause d’exonération de la responsabilité contractuelle. Par conséquent, si l’inexécution constatée est la conséquence d’une force majeure, la clause pénale ne s’applique pas. La résiliation du contrat principal pour cause de force majeure entraîne de facto la disparition de la clause pénale. Par ailleurs, l’utilisation des clauses d’obligations alternatives permet de remédier à cette situation. Ces clauses donnent une option au débiteur pour l’exécution de son obligation. L’option appartient donc au débiteur. Il peut l’exercer de façon discrétionnaire. Toutefois, à travers les clauses, les parties peuvent aménager le droit d’option. Celui-ci peut être donné au créancier ou aux deux parties en fonction de l’agissement du risque. Cette option porte sur l’objet de l’obligation et non sur son existence c’est-à-dire sur la prestation. Mais, bien que son exercice soit discrétionnaire, le débiteur ne peut contraindre le créancier à recevoir partie de l’une ou de l’autre prestation417. C’est une règle qui protège le créancier ; elle trouve son fondement théorique dans l’indivisibilité du paiement418. Néanmoins, les parties peuvent, par une convention contraire, écarter la règle. De plus, l’option est irrévocable, lorsqu’elle est exercée, le débiteur ne peut plus se dédire. Ensuite, l’obligation alternative devient pure et simple si l’une des choses promises périt et ne peut plus être livrée. L’intérêt des clauses d’obligations alternatives est de permettre l’exécution du contrat quid d’une prestation de remplacement. Il existe aussi des risques liés à la rédaction des clauses d’adaptation du contrat. B. Les aléas relatifs à la rédaction des clauses de révision 138. Au chapitre des clauses d’adaptation, nous avons les clauses d’adaptation qui permettent de gérer l’imprévision419. L’imprévision est un événement qui rend le contrat déséquilibré. Nonobstant cela, l’imprévision est différente de la lésion. Celle-ci est un déséquilibre originel. Elle est définie par l’article 75 C.O.C.C. comme un déséquilibre résultant des prestations promises au moment de la formation du contrat. Or, dans l’imprévision le déséquilibre est postérieur à la formation du contrat. En outre, l’imprévision est différente de la force majeure420. Celle-ci est plus qu’un événement imprévisible. Pour qu’il ait force majeure, l’événement doit être, non seulement imprévisible mais aussi irrésistible et extérieur421. Mieux, la force majeure entraîne la rupture du contrat ce qui n’est pas le cas de l’imprévision. Le cocontractant qui romprait le contrat pour cause d’imprévision engagerait sa responsabilité contractuelle. L’imprévision peut donc être définie comme un événement imprévisible et postérieur à la conclusion du contrat et qui rend son exécution ruineuse pour l’une des parties. En d’autres termes, l’imprévision suppose que le rapport qui existait entre les prestations des parties à la conclusion du contrat soit désormais altéré par des événements postérieurs à la formation du contrat et extérieurs à la volonté des parties. L’imprévision422 est un risque économique, c’est-à-dire une crise économique ou une dévaluation monétaire et entraîne un déséquilibre contractuel. Elle trouve son champ de prédilection dans les contrats à exécution successive. Le contrat à exécution successive est celui dont l’exécution s’étale dans le temps. Son effet principal est de rendre le contrat déséquilibré. Ce déséquilibre profite nécessairement à l’une des parties, mais nuisible pour le cocontractant. Toutefois, ce déséquilibre ne doit pas être imputable aux parties. Par conséquent, l’imprévision est un risque objectif et externe du contrat. 139. Bref, pour qu’il y ait imprévision, il faut la réunion des conditions suivantes. D’abord, la première condition est relative au moment où l’événement s’est produit. En effet, l’événement qualifié d’imprévision doit survenir postérieurement à la formation du contrat, c’est-à-dire survenir pendant l’exécution du contrat. Cette condition implique deux conséquences. Primo, si l’événement existe au moment de la formation du contrat, il s’agit de la lésion. Secundo, cela suppose que le contrat soit un contrat à exécution successive. Un contrat à exécution successive est celui qui est exécuté par des prestations répétées423. Il n’y a pas de place à l’imprévision dans les contrats à exécution instantanée, c’est-à-dire exécuté par une seule prestation pour chacune des parties424 . Ensuite, l’événement constitutif d’imprévision doit procéder de circonstances extérieures à la volonté des parties. C’est d’ailleurs ce que signifie le terme imprévu. En fait, lorsque l’événement résulte du comportement de l’une des parties, il ne pourrait être qualifié d’imprévision. Enfin, l’événement doit créer un déséquilibre contractuel. Il s’agit d’un déséquilibre entre les prestations réciproques. Cela implique un déséquilibre unilatéral, c’est-à-dire profitant à une seule partie. Il faut également qu’il s’agisse d’un contrat synallagmatique commutatif. On ne peut parler de déséquilibre des prestations dans un contrat unilatéral ou dans les contrats à titre gratuit. Quid des contrats aléatoires ? En principe, l’aléa chasse la lésion. Mais, peut-il chasser l’imprévision ? Il n’est pas facile de répondre à la question. En fait l’archétype du contrat aléatoire est le contrat d’assurance. Or, dans celui-ci l’assuré dispose d’un droit de rupture unilatérale. Par conséquent, si l’assuré souffre de la survenance d’un événement imprévisible, il peut rompre le contrat. Aussi, en cas d’aggravation de risque, l’assureur a deux possibilités : soit résilier le contrat, soit proposé un nouveau taux de prime425. En matière de contrat aléatoire, l’imprévision donne aux parties la possibilité de réviser ou de rompre le contrat. 140. Ces précisions étant faites, il sied de noter qu’il existe plusieurs modalités de clauses d’adaptation. Entre autres, nous avons les clauses d’adaptation automatique. Celles-ci instituent au sein de la relation contractuelle un mécanisme qui adaptera le contrat sans en affecter la solidité puisqu’aucun nouvel accord de volontés n’est nécessaire426. La régulation automatique du contrat427 présente des avantages. En premier lieu, c’est un mécanisme souple. Aucune exigence de forme n’est exigée pour leur conclusion dans le contrat. La conclusion de telles clauses obéit aux règles gouvernant la formation du contrat428. En second lieu, la régularisation automatique peut être conclue en même temps ou postérieurement à la conclusion du contrat principal. Toutefois, étant donné qu’il s’agit de mécanismes de prévention, leur conclusion doit être antérieure à la survenance de l’imprévision. Cependant, l’élaboration de ces clauses est souvent délicate. En effet, les parties doivent non seulement prévoir les risques qu’encourt le contrat, mais aussi les mécanismes qui préviennent automatiquement le déséquilibre. Néanmoins, elles ne peuvent pas prévoir tous les risques susceptibles d’influencer leur accord. Aussi, les états de nature sont très nombreux et la rédaction d’un contrat parfaitement contingent serait très coûteuse. Seulement, les parties insèrent des clauses qui prévoient que l’arrivée d’un événement donné aura pour effet une modification du contrat lui-même. C’est ce qu’on appelle des clauses de prévention des risques . Il s’agit des clauses de gestion des risques contractuels. Cette gestion peut être d’une automaticité totale ou semi – automatique.
INTRODUCTION |