La gestation pour autrui, une pratique qui bouscule les repères
Définition de la gestation pour autrui
Les différentes techniques existantes
La gestation pour autrui est une technique de procréation médicalement assistée dont la fin ultime est la création d’un nouvel être humain. Elle est caractérisée par la présence d’une mère de substitution, définie en droit suisse comme « une femme qui accepte de porter un enfant conçu au moyen d’une méthode de procréation médicalement assistée et de le remettre définitivement à des tiers après l’accouchement » (Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée du 18 décembre 1998).
Cette technique de procréation nécessite la présence d’une mère porteuse mais se subdivise toutefois en une multitude de situations faisant appel à différents acteurs. On distingue deux grandes catégories de gestation pour autrui (Delaisi de Parseval & Collard, 2007). La première est dite maternité de substitution traditionnelle (ou procréation pour autrui, full surrogacy) et implique un lien génétique entre la mère porteuse et l’enfant. La deuxième, appelée maternité de substitution gestationnelle (ou gestation pour autrui) est caractérisée par l’absence de ce lien génétique. L’évolution technologique permet donc, avec la Fécondation In Vitro (FIV), la séparation de la génétique et du processus de gestation, qui étaient auparavant indivisibles (Delaisi de Parseval, 2006).
Les différentes situations de maternité de substitution possibles sont les suivantes (Académie Nationale de Médecine, 2009) :
– L’enfant est issu d’une FIV ou d’une procédure d’insémination artificielle utilisant les spermatozoïdes du père d’intention et les ovules de la mère porteuse. Il a donc un lien génétique avec la mère de substitution et un lien génétique partiel avec le couple d’intention.
– L’enfant est issu d’une FIV utilisant les gamètes des parents d’intention. En effet, dans certaines situations, les femmes sont dans l’impossibilité de porter un enfant mais disposent d’ovules fonctionnels. L’enfant est donc génétiquement lié à ses deux parents d’intention et ne possède aucun lien avec la mère de substitution.
– L’enfant est issu d’une FIV faisant appel à un don de gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes) et du matériel génétique d’un de ses parents d’intention. Sa conception peut donc être le fait d’un don d’ovocytes et des spermatozoïdes de son père d’intention, ou d’un don de spermatozoïdes et des ovocytes de sa mère d’intention. Dans les deux cas, l’enfant a un lien génétique partiel avec le couple d’intention.
– L’enfant est issu d’une FIV utilisant un double don de gamètes ; les spermatozoïdes d’un donneur et les ovocytes d’une donneuse. L’enfant n’a de lien génétique ni avec le couple d’intention, ni avec la mère porteuse.
Différents individus interviennent donc dans le processus de venue au monde de l’enfant selon les différentes situations, ce qui peut entraîner une certaine confusion au niveau de la filiation.
Les différents acteurs de la gestation pour autrui
En se plaçant du point de vue de l’enfant, ce dernier peut être relié à trois voire à cinq personnes intervenant dans sa conception, naissance et éducation. Outre les questionnements juridiques et psychologiques découlant de cette configuration, se pose la question de la connaissance que l’enfant aura des différents hommes et femmes ayant participé à sa venue au monde.
Du coté maternel, deux ou trois personnes réelles peuvent être impliquées : la mère génétique et la mère sociale peuvent se superposer lorsque la mère d’intention possède des ovocytes fonctionnels et les utilise. De même, la mère gestatrice peut aussi être la mère génétique en faisant don de ses gamètes. Dans l’hypothèse de l’absence de lien génétique entre la mère sociale et l’enfant ainsi qu’entre la mère porteuse et l’enfant, ce dernier sera relié à trois femmes ayant participé à sa venue au monde : la mère génétique, la mère gestatrice et la mère sociale.
Alors que le mode de procréation naturel implique seulement deux individus, la procréation médicalement assistée fait appel à une multitude d’acteurs engagés de manière plus ou moins éloignée dans ce processus. La gestation pour autrui pousse encore plus loin cette démultiplication du fait qu’elle contribue de manière tout à fait visible « à opérer une césure au sein de la maternité, entre trois composantes auparavant indivisibles : la mère génitrice (ou ovarienne), la mère gestatrice (ou utérine) et la mère sociale » (Ruffieux, 2014, §2). C’est la définition de la maternité elle-même qui est bousculée et remise en cause dans ses dimensions juridiques et sociales (Delaisi de Parseval, 2008 et Gallus, 2009 in Cailleau, 2013, p. 18) mais aussi dans sa dimension anthropologique. En effet, alors que beaucoup de sociétés ont basé leurs conceptions sociale et juridique de la mère sur l’adage ‘Mater semper certa est’ – la mère est toujours certaine – la pratique de la gestation pour autrui vient questionner ce fondement et par là même, bousculer l’institution de la filiation maternelle. C’est le modèle de parentalité qui est aussi mis à l’épreuve : « la parenté n’est plus une entité entière, une et indivisible, mais constituée d’acteurs intervenants à des moments successifs et indépendants » (Prieur, 2007, p. 182) .
Sans chercher à instaurer une hiérarchie dans l’importance des rôles de ces différentes mères, nous souhaitons tout de même relever le caractère particulier du rôle de la gestation et ainsi de la mère porteuse. Nous argumentons que la gestation pour autrui se différencie des autres formes de procréation médicalement assistée, de par sa nature et du caractère visible de son intervention. En effet, elle « implique l’investissement charnel d’une autre femme dans le projet parental d’autrui » (Mathieu, 2014, p. 357), alors que la contribution des donneurs de gamètes n’est pas tangible de manière aussi explicite par la société et par le couple d’intention. Du point de vue des trois acteurs principaux de la gestation pour autrui, à savoir la mère porteuse, les parents d’intention et l’enfant, l’impact de cette technique de procréation médicalement assistée est beaucoup plus important (Mathieu, 2014, p.357). L’investissement corporel, psychique, temporel et social de la mère porteuse est considérable, notamment au niveau médical, et dépasse une simple technique d’aide à la procréation. L’enfant, quant à lui, devra « intégrer dans l’histoire de sa conception et de son désir l’intervention de cette femme avec laquelle il aura nécessairement construit des liens prénataux durant neuf mois et dont il aura été séparé d’emblée à la naissance. » (Mathieu, 2014, p. 358). En effet, il est connu que la période de gestation « est bien plus qu’abriter [le] développement (autarcique) [de l’enfant] en soi » (Dupuis, 2013, p. 39). De nombreux travaux sur la grossesse et le développement du fœtus démontrent l’existence d’un lien fort entre la mère et le fœtus pendant la période de gestation ainsi que l’influence de l’environnement intra utérin sur l’enfant à naître. En effet, « le psychisme de l’enfant se construit bien avant sa naissance » (Roegiers, 2013, p.42). Le neurologiste Ben Ari affirme qu’ « il y a des discussions tout le temps entre ce bébé en devenir et sa mère ; et son environnement. Et cette discussion passe par des molécules, par la chimie, par du stress, par ce que la mère fait ou ne fait pas, par l’environnement acoustique, par l’environnement visuel, par l’environnement en général » (Ben-Ari in Mandy, 2010, [film documentaire], 33 :00 – 33 :15). Le fœtus développe in utéro le sens de l’ouïe, du toucher, les perceptions olfactives et gustatives, et s’orientera après sa naissance selon les expériences déjà vécues in utéro (Busnel & Héron, 2011 ; Roegiers, 2013 ; Szejer, 2003). Certaines études empiriques démontrent en effet que le nourrisson reconnaît et différencie la voix féminine qu’il a entendue pendant sa vie in utéro (Smith et al, 2007 in Busnel & Héron, 2011) ; que les goûts expérimentés pendant la grossesse ont une signification bien spécifique pour lui après la naissance ; et qu’il intériorise les rythmes perçus dans le ventre de sa mère (Smotherman, 1982 et Di Pietro et al, 2006 in Busnel & Héron, 2011). Le fœtus est aussi capable de ressentir les émotions de sa mère à travers l’échange hormonal. De ce fait, des cas de grand stress ou anxiété perçus par l’enfant in utero peuvent laisser des traces durables dans la mémoire de l’enfant à naître (Busnel & Héron, 2011).
Ce dialogue permanent entre la mère et le fœtus est donc présent sur bien des niveaux. Il crée un lien psychique (Bydlowki, 2001) mais influence aussi le développement même du fœtus. En effet « la vitesse avec laquelle les neurones se connectent, le type de connexion qui s’établit, est contrôlé à la fois par un programme génétique, mais aussi par l’environnement, par les conditions dans lesquelles ça se fait. Cette capacité à se réorganiser, à s’adapter à l’environnement, elle existe déjà in utéro » (Ben-Ari in Mandy, 2010, 32:00 – 33 :00). La variation de l’environnement du fœtus vient notamment des hormones libérées par la mère qui, du fait de leur influence sur la vitesse des neurones et l’établissement des connexions va affecter la formation du cerveau du fœtus. Or « le cocktail, le mélange et les conditions dans lesquelles elles sont libérées évidemment sont différentes » (Ben-Ari, in Mandy, 2010, 34:24 – 35:06) En effet, les quotidiens différents vécus par les femmes enceintes, leur manière très personnelle d’interpréter et de vivre ces différents évènements, ont une influence spécifique sur l’enfant: « L’impact que ceci va avoir sur le rapport qu’elle a avec son embryon évidemment ne sera pas le même. Il ne peut pas être le même. On ne peut pas sortir l’idée que tous ces facteurs là s’annihilent pour fabriquer la même chose. » (Ben-Ari in Mandy, 2010, 35:06 – 35:27).
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