La géogouvernance pour un aménagement durable des territoires
La globalisation des échanges économiques et financiers, loin d’uniformiser l’espace, pourrait le fracturer davantage par l’exacerbation de la mise en concurrence des territoires. « Des chercheurs n’hésitent plus à employer le terme de glocalisation pour souligner combien les flux globaux ou encore transnationaux sont en train de recomposer entièrement la sphère du local. » L’impact social des conséquences de la globalisation sur les sociétés, conduit à une prise de conscience au niveau planétaire des dommages irréversibles causés aux géosystèmes. « La mondialisation se traduit par l’augmentation brutale de l’exclusion sociale, la déstructuration des classes traditionnelles, mais aussi la désarticulation de tous les processus démocratiques, à commencer par la démocratie représentative et l’Etat de droit. » 272 Les institutions internationales saisissent l’urgence de modifier l’approche du développement économique, par une meilleure prise en compte des ressources disponibles. Le Sommet de la terre de Rio de Janeiro en 1992, constitue une étape majeure dans une redéfinition de la présence de l’homme et de la prise en compte de l’habitant sur les territoires du globe. Les thématiques développées lient explicitement les actions locales et les actions globales. La résolution finale dite déclaration de Rio engage les participants à une mise en œuvre concrète des avancées du Sommet. Le Sommet mondial pour le développement durable, présente un élargissement des perspectives de Rio (Rio + 10), avec le Sommet de Johannesburg 273 (2002). Il promeut la mise en réseau des acteurs du développement durable, l’échange d’expériences et de bonnes pratiques274 . Le concept de développement durable, se définit comme : « Un mode de développement qui répond aux besoins du présent tout en préservant les besoins des générations futures et plus particulièrement les besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d’accorder la plus grande priorité. » 275 Il repose sur quatre principes: la solidarité, la transversalité, la responsabilité, la gouvernance. • La solidarité prend en compte le temps (intergénérationnel) et l’espace (entre les hommes des différents territoires, à tous les niveaux). • La transversalité implique de conjuguer la sphère de l’écologie et celle du social, pour un monde vivable ; la sphère de l’économie et celle de l’écologie, pour un monde viable ; la sphère sociale et celle de l’économie, pour une société équitable. • La responsabilité qui privilégie l’action préventive à l’action curative selon le principe de précaution. Ce dernier prend en compte la notion d’incertitude en matière environnementale ainsi que celle de l’irréversibilité des processus. • La gouvernance, 276 découle du concept de développement durable. Elle incite les gouvernements nationaux et élus locaux à favoriser la participation des habitants à la prise de décision : elle reconnaît à ces derniers une légitimité, qui ne vise cependant pas à remettre en cause la représentativité des élus. L’intégration de la notion d’incertitude, retire aux experts d’une part, la prédiction irréfutable de l’avenir de nos sociétés et d’autre part la capacité à délivrer seuls une information décisive sur les territoires. Par conséquent la relation entre la sphère politique et celle de l’expertise se voit mise en cause. L’ensemble de la chaîne de prise de décision depuis la sphère de l’expertise jusqu’à la sphère politique se désarticule (Fig.11). Dans le même temps, le citoyen est engagé à réorienter sa pratique du territoire, sous l’effet de bouleversements majeurs : finitude de ressources naturelles, risques majeurs, dérèglement climatique. Par conséquent, le principe de transversalité aux niveaux local et mondial semble mieux à même de répondre à de nouveaux défis planétaires. Le niveau de l’Etat-Nation, bien qu’il reste dominant dans la sphère du politique, perd de sa pertinence dans la sphère économique, de notables changements affectent les formes et les fonctions de l’Etat-Nation. La transition277 entre le welfare state, fondé sur la régulation vers le workfare state fondé sur la responsabilité individuelle, caractérise cette mutation de la modernité. L’accès aisé aux informations spatialisées par Internet, modifie le système des acteurs.
Des stratégies concurrentes au sein du système des acteurs
Le système des acteurs du territoire
Il convient de spécifier de prime abord quelle signification nous attribuons au vocable générique d’acteur. Il s’agit d’une personne ou d’un groupe de personnes animés d’une intention ou d’un ensemble d’intentions parfois contradictoires à propos de l’aménagement de tout ou partie d’un territoire donné. Le statut de l’acteur peut varier, selon qu’il se présente comme habitant, usager, gestionnaire. L’acteur interagit en société selon des normes, des codes, des habitus qui fondent sa praxis du territoire. L’acteur construit ses représentations et façonne ses modalités d’appropriation de l’espace afin de conduire des stratégies d’acteur. L’ensemble des stratégies d’acteur en présence sur un territoire circonscrit peut se voir qualifier de système des acteurs. La patrimonialisation du centre ancien, se caractérise par l’affectation d’un ensemble de signes, de sens et de valeurs collectives à un objet patrimonial, qui se définit comme l’unité de base du patrimoine. La gestion du centre ancien à forte densité patrimoniale, en position de centralité, génère souvent des divergences de vues voire des confrontations de points de vue, qui s’expriment dans les discours des acteurs. Les acteurs impliqués à des degrés divers selon leur statut et des critères affectifs et personnels, réclament une implication plus directe aux processus décisionnels. Ainsi la recomposition territoriale du centre ancien gagnerait à intégrer une dimension de participation, afin de travailler avec constance à la recherche du consensus, base de la gouvernance de l’intervention publique sur un territoire. La diversité et la pluralité des acteurs, partie prenante dans l’élaboration et la conduite de projets, dans la gestion et l’aménagement de territoires urbains, imposent de définir la nature et les attributions de chacun d’entre eux. La première distinction s’opère entre acteurs publics institutionnels et privés et la seconde s’effectue entre experts et habitants. Les acteurs du patrimoine, initialement issus de la sphère publique, se diversifient, ils contribuent à investir la notion de patrimoine de valeurs nouvelles. La volonté de préservation et de transmission, dont le succès public devient probant, ouvre de nouvelles perspectives. « Longtemps, les politiques menées en France à l’égard du patrimoine culturel ayant relevé essentiellement de la responsabilité des pouvoirs publics, sa définition était avant tout une affaire de spécialistes (experts, conservateurs, historiens…). Alors qu’aujourd’hui les projets locaux traduisent l’intérêt croissant porté par les élus et responsables des territoires à ce domaine et s’appuient sur de nouveaux acteurs locaux (groupes sociaux, courants d’opinion, associations, etc.) qui investissent les enjeux patrimoniaux et sont porteurs d’autres discours et valeurs. » Les acteurs du territoire s’emparent de thématiques jusque-là demeurées plus strictement du ressort des experts de l’aménagement urbain et des élus, manifestant par cette démarche leur volonté explicite d’appropriation des enjeux de gouvernance urbaine. « L’extension en termes d’acteurs permet d’évoquer la situation de gouvernance urbaine dans laquelle nous nous trouvons actuellement. En effet, alors que le patrimoine et sa sauvegarde étaient pendant longtemps des domaines strictement réservés aux experts, aux services spécialisés de l’administration, aux milieux scientifiques et académiques, aux sociétés savantes, les acteurs concernés sont, de nos jours, à la fois plus nombreux et plus diversifiés. Ces derniers n’hésitent pas à se mobiliser autour de la question patrimoniale, revendiquant une participation dans les choix, ou simplement s’appropriant (usages et représentations) certains éléments qui finissent par devenir leur possession. Cette situation implique la présence de nouveaux réseaux et de nouveaux rapports de force. » 296 Dès lors il s’avère envisageable d’avancer que la diversité des acteurs pourrait expliquer la simultanéité de représentations patrimoniales et de stratégies spatiales souvent divergentes. Cette hétérogénéité rend opératoire, dans l’éventuelle recherche du consensus, le recours à une perspective dialogique. La prise en compte, sans exclusive, de la conflictualité inhérente aux processus de recomposition des territoires urbains, plus spécifiquement des centres anciens, à travers les discours des acteurs, nous conduit à une approche éthique des processus d’appropriation territoriale. Les politiques urbaines conduites induisent fortement le système des acteurs en particulier les habitants et usagers du territoire. « En d’autres termes, ces variantes soulignent à quel point il est essentiel d’aborder l’espace public à travers les acteurs ainsi que les pratiques, enjeux, stratégies et représentations qui les caractérisent. » Les acteurs peinent cependant à éclaircir leurs motivations, les enjeux liés à la reconquête des centres anciens sont sensibles, ils pourraient expliquer le manque de clarté dans les objectifs affichés, sur la délimitation par exemple des espaces publics et privés. « La clarification des acteurs concernés par la reconquête du centre, de leurs enjeux et stratégies est à nos yeux essentielle ; ces acteurs débordent largement la sphère institutionnelle, tendant vers une situation de gouvernance urbaine. Les statuts du patrimoine et des espaces publics sont par conséquent largement remis en cause : quels sont les publics-cibles et les usages possibles ? Quelle est la relation entre espace privé et public ? Comment légitimer les actes et interventions qui se déploient dans ces espaces ? Ces deux composantes urbaines cristallisent ainsi nombre de débats actuels : ils sont à la source de revendications et de mobilisations parfois aiguës. Cependant, ces débats prennent généralement la forme de controverses plutôt que de conflits déclarés (champ juridique). En tous les cas, ils suscitent une multitude d’actes, de paroles (discours) et d’images (représentations). »