La gentrification , un processus de différenciation spatiale
Le processus de gentrification demeure délicat à définir208, car il ressort de tendances évolutives et complexes de l’espace urbain, qui n’ont été ni anticipées, ni planifiées. Il s’agit davantage d’une série d’adaptations aux conséquences ultimes de l’étalement urbain et du réinvestissement des centres populaires, typiques, anciens voire déclassés, par les classes aisées en quête de centralité et de rentabilité immobilière. « Un à un, de nombreux logements ouvriers de Londres ont été envahis par les classes moyennes aisées. Les petites maisons, impasses, ruelles modestes et dégradées, à deux étages et deux pièces, ont été supprimées, quand leur bail fut à terme, elles sont devenues des résidences élégantes et chères. Une fois que ce processus de gentrification démarre dans un quartier il continue rapidement, jusqu’à ce que tout ou partie des anciens occupants ouvriers soient déplacés et que l’identité sociale du quartier soit transformée.» 209 Dans les années 1990, ce processus change de nature et de niveau et prend la forme d’une stratégie urbaine globale inscrite plus largement dans le renouvellement urbain des territoires métropolisés210 à l’intérieur desquels les fonctions se redéploient par la réutilisation de terrains industriels ou autrefois délaissés. Cette dynamique révèle des stratégies d’éviction mises en œuvre afin d’homogénéiser, par le haut, le peuplement d’une aire résidentielle. La vitesse des changements sociaux et culturels peut expliquer l’âpreté des résistances 211 individuelles ou collectives, spontanées ou organisées. La virulence de l’exacerbation de la mise en concurrence des territoires au sein des aires métropolisées peut se lire à travers une succession de hausses des prix de l’immobilier sans commune mesure avec la superficie ni même la qualité des biens mis sur le marché. Une diversification des services vise à répondre aux exigences de mobilité, de proximité, de centralité de nouvelles élites urbaines212 qui, fortes de revenus élevés et disponibles, inventent un nouveau mode d’habitation et d’appropriation du territoire. Cet hédonisme revendiqué à travers la possession d’un bien immobilier à caractère historique confère à ces nouvelles fractions supérieures des classes moyennes, lisibilité de leurs choix de placement, visibilité symbolique de leur réussite sociale, légitimité de leur mode de vie. Ce processus modifie notoirement les centres anciens à forte densité patrimoniale, qui par leurs qualités intrinsèques avivent les appétences du marché, soucieux de s’adapter à une demande sociale en direction d’une clientèle solvable en quête de produits immobiliers de standing à forte valeur ajoutée. Les arguments 213 en faveur ou en défaveur du processus ne sont pas exempts d’arrière-pensées partisanes. Pour ses laudateurs la gentrification augmenterait : la valeur des propriétés, les revenus de la fiscalité locale, la mixité sociale. Dans le même temps elle réduirait l’étalement urbain, le taux de vacance des logements, la criminalité. Au final, bien que certains de ses effets soient indésirables, elle est une réponse à l’étalement urbain et à l’abandon des centres villes. Pour ses contempteurs elle favoriserait : l’éviction des anciens habitants, les traumatismes liés aux changement brutaux, l’éviction d’activités industrielles et commerciales, la spéculation immobilière, l’augmentation des coûts des services de proximité. Concomitamment, elle diminuerait l’offre de logements abordables, la mixité sociale, la disponibilité fiscale au profit de groupes de résidents mieux armés pour la capter. En définitive, elle serait prédatrice, en premier lieu à l’encontre des habitants les plus pauvres. Les approches récentes du processus insistent sur la pluralité et la diversité des composantes de la classe moyenne supérieure, ainsi que sur celles des quartiers gentrifiés ou en passe de le devenir.
Thessalonique : le quartier de Ano Poli
Les résultats de l’indice de patrimonialisation/gentrification, montrent tout d’abord (Fig. 8 et Graphique 2), que le secteur est obtient un résultat de 17/20. Ce secteur possède une densité de la ressource patrimoniale exceptionnelle, qui provient de la concentration d’édifices religieux remarquables, dont certains figurent sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Humanité. La pente et la finesse de la trame vernaculaire ne permettent pas la circulation motorisée, privée et collective, ce qui bénéficie à la circulation piétonne et renforce la valeur d’usage du secteur pour les habitants. Les espaces publics, nombreux, conviennent parfaitement à une appropriation ludique. Le tissu commercial de proximité est dense, il dessert au plus près les habitants. Les services dédiés aux touristes, pour la visite de ce secteur de la ville haute se révèlent nombreux et appropriés : la signalétique, un personnel d’accueil concerné, des horaires amples, une documentation appropriée. L’exceptionnelle densité de localisation de fonctions de commandement de rang international dans des archondika240 , constitue un indice de la reconquête de la nouvelle centralité de la ville haute et de la nouvelle centralité balkanique de la métropole de Thessalonique qui lui permet d’attirer des activités de niveau supérieur. Ainsi la métropole se distingue des capitales balkaniques rivales par son rayonnement culturel et intellectuel. Conformément à ces résultats le processus de gentrification colonise le secteur est. Le secteur nord obtient un résultat de 11.25/20. La très forte densité de la ressource patrimoniale provient de la présence d’un méta-objet patrimonial : les remparts byzantins. Du fait de la forte pente, la circulation motorisée, privée et collective reste exceptionnelle. En revanche, bien que les escaliers soient nombreux, la circulation piétonne demeure pénible. Les espaces publics se caractérisent par leur rareté, qui ne permet donc pas une appropriation ludique. Le tissu commercial de proximité reste dense, notamment de part et d’autre des remparts nord. Les services diversifiés pour les touristes se concentrent aux entrées de la ville haute. Les fonctions de commandement ne se localisent que rarement, au sein de ce secteur. Le processus de gentrification du secteur nord, repose sur la présence de la fonction de résidence à un niveau qualitatif élevé qui lui confère donc une forte valeur d’usage.