La maritimisation de la sécurité
L’engagement de personnel de sécurité armé à titre privé s’est effectué dès 2008. Si des EPE étaient fournies pour appuyer les coalitions interrégionales par les Etats (des EPE militaires non privées), déjà des entreprises privées participaient à la protection de certains navires aussi. Le gain économique. En effet les armateurs avaient dès lors préféré payer le coût d’engagement annoncé par ces compagnies de sécurité privées pour assurer la protection de leurs navires via les EPE même privées plutôt que de devoir payer peut-être bien plus si un de leurs équipages venait à être capturé. En cette dernière hypothèse, la manœuvre pour éviter les pirates doit être : d’accélérer pour semer les ennemis44, ou de dérouter le navire pour éviter les trajectoires dangereuses ajoutant des jours voire des semaines de navigation supplémentaire, du carburant supplémentaire, l’emploi du personnel pour une durée plus longue, des retards dans les livraisons, des surcouts d’assurance, des primes de risque aux marins etc. Evidemment, le tout en supposant que la manœuvre ait fonctionnée !
Au cas d’échec, il faudra rajouter le coût de négociation des rançons avec les pirates pour récupérer l’équipage capturé45, l’engagement de professionnels à cet effet etc.
L’enjeu commercial ainsi propice à l’industrie de la sécurité conduisit inexorablement au développement des compagnies privées, jusqu’à toucher le domaine maritime. L’idée de protection privée émanait du terrestre où des militaires privés combattaient aux côtés des militaires engagés. La sécurité de la terre à la mer : les affaires Blackwater et Enrica Lexie.
L’exemple le plus médiatisé est celui de la compagnie Blackwater USA. Cette compagnie employait des agents de sécurité pour assurer notamment la protection rapprochée des diplomates en Iraq et en Afghanistan.
Le 16 septembre 2007, un groupe d’agents46 de Blackwater alors en mission de protection diplomatique fit feu sur des civils Irakiens. 17 personnes trouvèrent la mort lors de cet incident alors même qu’aucune réelle théorie d’auto-défense n’a pu être relevée en l’espèce.
Le Code de Conduite Internationale des prestataires privés de service de sécurité
Ce Code de Conduite Internationale est une «arme» de plus mise à disposition. Elaboré avec l’aide des représentants de l’industrie maritime, d’associations industrielles, des représentants des entreprises de sécurité privées, du département des affaires étrangères Suisse, de nombreuses ONG, des gouvernements Américain, Britannique et Canadien il fut complété fin 2010 et signé formellement le 9 novembre 2010. 58 compagnies de sécurité privées l’attendaient et le signèrent57. En aout 2012, 464 Etats l’avaient signé.
Le but du Code est d’établir une responsabilité effective des entreprises de sécurité privées maritimes et d’établir sur elles un contrôle indépendant.
Le minimum requis : la due diligence. A titre d’exemple, une «due diligence» devra être exercée par les prestataires privés offrant leurs services de sécurité. Ce notamment lorsqu’ils recrutent leur personnel mais encore lorsqu’ils exécutent leur mission de protection auprès de leurs clients. Le Code de Conduite : une base. Les gouvernements qui contractent avec ces prestataires peuvent inclure dans leurs accords des dispositions faisant directement référence à celles insérées dans le Code.
Le Code reste un mécanisme non étatique qui complète des mesures prises par les gouvernements nationaux. Il est reconnu néanmoins pour sa forte influence sur toute la communauté professionnelle.
Les évolutions apportées lors du Maritime Safety Committee 90
Eu égard au nombre important de règles construites depuis les premières sessions MSC seule une étude sur les grandes lignes sera accomplie.
Le risque d’escalade de la violence. Alors que la BIMCO et INTERTANKO ainsi que la majeure partie de l’industrie maritime avait longtemps découragé l’usage de ces gardes armés sur les navires eu égard notamment au risque « d’escalade de la violence » plaçant les marins en première ligne de ce risque, leur nécessité concernant certains navires particulièrement vulnérables était indiscutable.
En réalité les tactiques des pirates avaient déjà évoluées et leurs attaques sont d’elles-mêmes plus violentes. Ces derniers ont rapidement constaté l’importance du facteur «violence» dans l’équation mathématique du gain. Attaque + violence = rançons plus élevées obtenues plus facilement. De plus, il s’agira toujours pour les EPE de chercher à apporter une réponse «légitime» et «proportionnée» dans l’évolution de la riposte. La violence létale étant utilisée comme dernier recours .
En définitive, l’année 2011 subit une forte augmentation de ces prestations privées puisque 30 à 40% des navires de commerce transitant dans la HRA étaient protégés par des gardes embarqués. Les contrats étaient conclus suivant les recommandations édictées par l’OMI et ses circulaires MSC.
Eu égard à cette crainte d’augmentation de la violence, l’Association de Sécurité pour l’Industrie Maritime (SAMI) 65 entreprit de créer une standardisation d’accréditation66 concernant les compagnies privées employant des gardes armés sur les navires.
SAMI, une accréditation contrôlée des entreprises de sécurité privées. Le Programme d’Accréditation de la SAMI est fondé sur le Code de Conduite Internationale des entreprises de sécurité privées, sur les circulaires issues de l’OMI et sur les Best Management Practices.
Le processus d’accréditation suit 3 étapes : il inclut la due diligence, les contrôles de systèmes et des visites sur site des prestataires.
La première étape, la due diligence implique d’évaluer les finances, la légalité et les conditions d’assurance de la société de sécurité privée. Si la société réussit la première étape, elle subit le contrôle de la deuxième étape. La seconde étape implique une analyse en profondeur de l’infrastructure de l’entreprise de sécurité privée, une vérification physique des locaux, des systèmes et de la documentation.
La troisième étape est menée directement par la SAMI qui conduit une vérification opérationnelle. Une fois les 3 étapes accomplies avec succès, l’entreprise de sécurité privée peut être «accréditée» par le biais de la «National Security Inspectorate» qui agit donc comme un autre membre indépendant.
Ce programme d’accréditation SAMI recommandé par les Iles Marshall fut accepté par l’OMI afin de garder une meilleure lisibilité au niveau international.
La responsabilité de l’armateur quant à la sécurité de ses équipages
Outre le facteur économique (compétitivité), politique (privatisation) et humain (manque d’effectif) un critère aussi important que complexe s’ajoute encore au débat : la responsabilité juridique de l’armateur envers ses marins quant à leur sécurité.
En effet tout employeur est tenu par une obligation – qui n’est pas une simple obligation de moyen – de sécurité envers ses salariés.
Cette obligation est aujourd’hui définie à l’article L4121-1 du Code du travail et suivants dans le chapitre concernant les «Obligations de l’employeur», Titre II «Principes généraux de prévention», Livre Ier «Dispositions générales», Partie IV «Sécurité et Santé au travail».
Cette obligation est devenue légale suite à la transposition en droit interne des
dispositions communautaires de la directive-cadre 89/39198 de 1989 visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs.
Obligation de résultat. En droit du travail ce principe général de prévention mis à la charge de l’employeur crée une obligation de résultat, beaucoup plus contraignante que l’obligation de moyens renforcée utilisée dans le cadre du droit de la sécurité sociale pour s’assurer que l’employeur n’a pas commis une faute inexcusable.
Cela signifie que dans l’hypothèse de blessures ou de décès des marins, l’armateur pourrait voir non seulement sa responsabilité civile engagée mais aussi sa responsabilité pénale au titre d’homicide involontaire ou de blessures involontaires si le juge parvient à démontrer le «manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement». L’employeur (armateur) devra donc prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses salariés (marins) auquel cas sa responsabilité pourra être engagée.
Cette solution fut constante en jurisprudence : « Mais attendu que l’employeur est tenu, à l’égard de son personnel, d’une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; qu’il lui est interdit, dans l’exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés ».
Cette jurisprudence découle de l’incident Karachi au Pakistan, en date du 8 mai 2002 où un attentat fit 14 morts dont 11 ressortissants français et également 12 blessés. Les personnes étaient des employés de chez DCNS (DCN à l’époque).
Le 15 janvier 2004, le TASS de la Manche (Tribunal Affaires des Affaires Sociales) estima que cet incident était caractéristique d’un accident du travail et qu’il n’avait pu s’accomplir que par la faute inexcusable commise par l’employeur qui n’avait pas pris les mesures appropriées pour assurer la sécurité de ses salariés.
L’effort législatif attendu par les armateurs
Le gouvernement suivit la demande qui s’élevait de la part des armateurs par la voie ministérielle. C’est peu dire que les armateurs attendaient impatiemment ce projet de loi. Notamment depuis que l’ancien document élaboré depuis 2011 par une commission ad hoc et vérifié par le ministère de la Défense avait été tout simplement anéanti lors de la parution du Livre Blanc de la défense et de la
sécurité en avril 2013.
Celui-ci n’incluait plus l’hypothèse d’un recours aux gardes privés à bord des navires français. Il avançait seulement que :
« Pour répondre aux besoins de la sécurité du transport maritime, et lorsqu’il n’est pas possible de recourir aux équipes de protection embarquées de la Marine nationale, des solutions appropriées seront envisagées » .
Leur demande allait enfin être entendue. Le 2 décembre 2013 avant, peu avant son intervention aux Assises de la Mer qui se tenaient à Montpellier, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault dans une interview accordée au journal Le Marin répondait par l’affirmative à la question concernant le recours aux EPE privées.
A la question sur la piraterie : « Allez-vous autoriser la sécurité privée à bord des navires ? » le Premier ministre répondit : « Oui. C’est une demande forte de nos armateurs et nous l’avons entendue. Nous allons autoriser le recours à des équipes privées capables de compléter les missions assurées par la Marine nationale. Ce recours sera encadré. Des autorisations et agréments professionnels seront délivrés pour attester du professionnalisme des entreprises et du respect de règles minimales fixées par décret. C’est un élément majeur pour donner aux armateurs une garantie de sécurisation de leurs équipages et de leurs cargaisons. Cette décision leur permettra de se positionner sur le marché à armes égales avec leurs homologues européens qui bénéficient de ce type de dispositifs ». Le projet de loi est devenu après adoption par le Parlement, la loi du 1er juillet 2014.
Table des matières
Introduction
Partie 1 : La piraterie dans le droit international et les dispositifs coercitifs privés
Titre I : La complexité du cadre juridique de la piraterie
Chapitre 1 : La piraterie dans le droit international contemporain
§ 1 : La convention de Genève
§ 2 : La convention de Montego-Bay
§ 3 : Les critères de l’infraction
§ 4 : La définition de l’acte de piraterie par l’OMI
§ 5 : La compétence universelle d’intervention
§ 6 : Le droit de poursuite dit « inversé »
§ 7 : Remettre, juger ou extrader ?
Chapitre 2 : La rigueur du cadre normatif Européen
Section 1 : Sécurité internationale, un contrôle effectif de la CJUE
Section 2 : La jurisprudence stricte de la Cour Européenne des droits de l’homme
Chapitre 3 : La recherche d’efficacité répressive par les Etats
Section 1 : L’absence d’applicabilité directe de la Convention de Montego-Bay
Section 2 : Législation et répression étatiques
§ 1 : L’évolution du cadre législatif interne Français
§ 2 : La législation Belge
§ 3 : Des législations strictes
Titre II : De la coopération internationale armée vers l’externalisation de la sécurité maritime
Chapitre 1 : L’Union Européenne et l’opération « Atalante »
Chapitre 2 : Les autres opérations: l’Ocean Shield et la Combined Task Force
Chapitre 3 : La nécessité d’une réglementation internationale encadrant l’emploi de gardes privés
Section 1 : La maritimisation de la sécurité
Section 2 : Les compagnies de sécurité privées sur le champ de bataille
§ 1 : Notions et définitions
§ 2 : La standardisation internationale du régime sur les PCASP
§ 3 : Document de Montreux : le premier pas
§ 4 : Le Code de Conduite Internationale des prestataires privés de service de sécurité
§ 5 : La pratique recommandée, les BMP
§ 6 : Les évolutions apportées lors du Maritime Safety Committee 90
§ 7 : Une hiérarchisation dans l’emploi de la force
Partie 2 : L’accès à la protection privée pour les armateurs
Titre I : Cadre et enjeux des activités de protection des navires en France
Chapitre 1 : Le changement de cap concernant les gardes privés à bord des
navires
Section 1 : L’histoire des activités dites sensibles
§ 1 : Une mission régalienne dans la sécurité des biens et des personnes
§ 2 : La crainte du mercenariat
Section 2 : Le pavillon français, victime de la mondialisation
§ 1 : La compétitivité du pavillon français mise en jeu
§ 2 : La responsabilité de l’armateur quant à la sécurité de ses équipages
§ 3 : L’adaptation au principe de sécurité
§ 4 : L’effort législatif attendu par les armateurs
Chapitre 2 : La réponse française à la piraterie maritime
Section 1 : Un accès au secteur rigoureusement encadré
§ 1 : L’activité privée de protection des navires
§ 2 : La mission des entreprises privées de protection des navires
§ 3 : Un contrôle permanent
§ 4 : Une professionnalisation des agents
§ 5 : Des modalités d’exercice de l’activité privée particulièrement précisées
§ 6 : Droit et obligations
§ 7 : L’importance du contrôle administratif à bord du navire et sur le territoire national
§ 8 : Sanctions
Section 2 : Les critères fluctuants du champ d’application de la loi
§ 1 : Le champ ratione loci
§ 2 : Les navires concernés
§ 3 : La nécessaire légitime défense dans l’usage de leurs armes
Section 3 : Le choix controversé de la protection privée
Section 4 : Quid de la responsabilité ?
Titre II : Le choix d’une protection privée par-delà les mers et les océans
Chapitre 1 : L’économie du risque : les assurances
§ 1 : Les chiffres de l’assurance maritime.
§ 2 : L’assurance « anti-pirates de la mer » de la Lloyd’s
§ 3 : L’assurance « Kidnap & Ransom »
§ 4 : Les clauses du contrat GARDCON
Chapitre 2 : La mise en pratique par les Etats à travers le monde
§ 1 : Les USA
§ 2 : L’Inde
§ 3 : L’acceptation par la majorité des Etats Européens
Conclusion