La formation des managers

Rôles d’information

En vertu des nombreux contacts personnels qu’il entre tient avec ses subordonnés et tout un réseau de relations, le manager apparaît comme le centre névralgique au sein de son unité. Il n’est peut-être pas au courant de tout mais il est généralement mieux informé que ses subordonnés. Les études montrent que cela s’applique aussi bien au chef de gang qu’au président dune nation. Dans son livre consacré aux groupes humains, (The human group), et notamment aux gangs, George Homans nous en donne la raison. Parce que le chef se situe au centre des flux d’information, toutes les nouvelles convergent vers lui au sein de sa bande; de plus il est en contact étroit avec d’autres chefs de gang, c’est pourquoi il est toujours mieux informé qu’aucun membre de son groupe Quant au président, Richard Neustadt remarque, par exemple, que : la manière dont Roosevelt recueillait l’information relevait de la pure compétition… “Il vous appelait dans son bureau”, me dit un jour l’un de ses collaborateurs, “et vous demandait de vous renseigner sur telle ou telle affaire compliquée. Et lorsque vous reveniez, après deux jours d’enquête labo rieuse, pour lui livrer le morceau juteux que vous aviez déniché dans quelque coin obscur, c’est alors que vous vous rendiez compte qu’il connaissait déjà toute l’histoire et même certains détails qui vous avaient échappé. D’où il tenait ses informations, la plupart du temps il n’en disait rien, mais lorsqu’il vous avait fait le coup une fois ou deux, vous deveniez très prudent quant à votre propre information.” 13 »
Il n’est pas bien difficile de voir d’où Roosevelt « tenait ses informations ‘ », si l’on considère les liens entre rôles de relation et rôles d’information. De par son autorité, tout manager a un accès officiel et privilégié à tous les membres du personnel. En outre, son rôle de liaison avec l’extérieur lui fournit une information qui fait sou vent défaut à ses subordonnés. Beaucoup de ses contacts ont lieu avec d’autres managers de même rang, qui sont eux-mêmes des centres névralgiques au sein de leur organisation. C’est ainsi que le manager peut développer une banque de données considérable.
Traiter l’information est un des rôles-clés des managers. Ceux que j’ai étudiés consacraient 40 % de leur temps d’échange à des activités exclusivement destinées à la transmission d’information. 70 % du courrier qu’ils recevaient avaient une vocation purement informative (autrement dit ne constituaient pas des demandes d’intervention) En d’autres termes, on ne peut pas dire que les managers quittent les réunions ou raccrochent le téléphone pour se remettre au travail, car la communication est par essence leur travail. Trois rôles distincts décrivent l’aspect informatif du travail managérial.
Dans son rôle de pilote, le manager scrute sans cesse son environnement en quête d’informations, interrogeant ses contacts ou ses salariés, recevant des informations spontanées, en bonne partie grâce à son réseau de relations. Rappelons que la plupart des informations qu’il collecte dans son rôle de pilote, lui parviennent oralement, sous forme de bruits de couloir, de rumeurs ou de spéculations.
Dans son rôle de diffuseur le manager passe des informations importantes à ses salariés, qui autrement n’y auraient pas accès. Lorsque la communication fait défaut entre ses subordonnés, le manager peut transmettre l’information d’une personne à l’autre.
En tant que porte-parole, le manager répercute des informations à l’extérieur de son unité : un président prononce un discours pour soutenir la cause de l’entre prise, ou un chef d’équipe suggère à un fournisseur de modifier un produit. En outre, en tant que porte-parole, tout manager doit informer et satisfaire les personnes qui exercent une forme d’influence ou de contrôle sur son unité. Pour le contremaître, cela peut signifier simplement tenir le directeur d’usine informé du flux de travail au sein de son atelier.
Le président d’une grande entreprise, peut cependant passer beaucoup de temps à traiter avec toutes sortes d’acteurs influents communiquer les résultats financiers à la direction et aux actionnaires, démontrer aux associations de consommateurs que l’entreprise assume ses responsabilités, et aux représentants des pouvoirs publics qu’elle respecte la légalité.
L’information n’est pas, bien entendu, une fin en soi elle ne fait que fournir les données nécessaires à la prise de décision. Etudier le travail du manager met en lumière son rôle central dans le processus de décision de son unité. En vertu dc l’autorité que lui confère son statut, seul le manager peut engager son unité à adopter une nouvelle ligne de conduite, et en tant que centre névralgique de celle-ci, lui seul possède l’information complète et actuelle pour prendre les décisions qui vont guider la stratégie de son équipe. Les rôles de décision sont au nombre de quatre.
En tant qu’entrepreneur, le manager cherche à faire évoluer son unité et à l’adapter aux changements de l’environnement. Dans son rôle de pilote, un dirigeant est toujours à l’affût de concepts nouveaux. Lorsqu’une bonne idée surgit, il initie un projet de développement qu’il supervise lui-même ou qu’il délègue à un membre de son équipe (en précisant éventuellement si la proposition finale doit être soumise à son approbation).
Du point de vue des managers, ces projets de développement présentent deux caractéristiques intéressantes. Tout d’abord, ces projets n’impliquent pas une décision unique, ni même un ensemble cohérent de décisions, mais apparaissent plutôt comme une suite de petites décisions et d’actions qui s’échelonnent au cours du temps. Les dirigeants semblent prolonger chaque projet de manière à ce qu’il s’inscrive dans un emploi du temps chargé et décousu, et qu’ils puissent en comprendre progressivement les aspects complexes. Ensuite, les dirigeants que j’ai étudiés supervisaient parfois pas moins de cinquante projets simultanément. Certains concernaient des nouveaux produits ou procédés; d’autres impliquaient des campagnes de publicité, l’amélioration de la situation financière, la réorganisation d’un service défaillant, la résolution d’un problème de motivation dans une division étrangère, l’informatisation de certaines opérations, des processus d’acquisition à différents stades de développement, etc. Les managers semblent tenir une sorte d’inventaire de l’évolution de ces projets et de leur stade de maturation. Tels des jongleurs, ils maintiennent un certain nombre de projets en suspens dans les airs. De temps en temps, l’un d’entre eux retombe, auquel ils donnent une nouvelle impulsion avant de le renvoyer en orbite. À un moment ou à un autre, ils lancent de nouveaux projets et en abandonnent d’autres.
Alors que le rôle d’entrepreneur montre le manager en tant qu’initiateur volontaire du changement, il arrive des moments où celui-ci est imposé par les circonstances, c’est là que le gestionnaire de crises décrit le manager en tant qu’acteur involontaire du changement, répondant à l’urgence. Ici, le changement échappe à son con trôle. Les contraintes d’une situation sont trop sérieuses pour être ignorées une grève menace, un gros client dépose son bilan, un fournisseur fait faux bond,… quel que soit le problème, il est obligé d’agir.
Leonard Sayles, auteur d’intéressantes recherches sur le travail du manager, compare celui-ci à un chef d’orchestre, qui dirige une symphonie et doit assurer l’harmonie de l’ensemble », tout en traitant les problèmes des musiciens ou toute autre perturbation extérieure. Le manager passe en effet un temps considérable à résoudre des problèmes imprévus et urgents. Nulle organisation n’est jamais si bien gérée et « certifiée » , qu’elle puisse prétendre anticiper tous les aléas d’un environnement dominé par l’incertitude. Une perturbation n’arrive pas seulement parce qu’un mauvais manager ne mesure la gravité d’une situation que lorsqu’elle devient critique, mais parce qu’un bon manager ne peut prévoir toutes les conséquences de ses actes.
Le gestionnaire de ressources constitue le troisième râle de décision du manager. C’est ce dernier en effet qui décide qui aura quoi. Et la ressource la plus importante qu’il doit allouer est sans doute son temps. Avoir accès au manager c’est avoir accès au centre de décision, au centre névralgique du service. Le manager dé finit aussi la structure de son unité, le schéma de relations, l’organigramme selon lequel les activités sont réparties et coordonnées.

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La ressource la plus rare qu ‘un manager doit allouer est son temps.

En tant que responsable de l’affectation des ressources, c’est également le manager qui autorise les décisions importantes de son unité avant leur mise en oeuvre. Exercer ce pouvoir lui permet de veiller à la cohérence des décisions, tandis que le fragmenter favorise un processus de décision et une stratégie décousus.
Le fait que le manager entérine les décisions de son unité a plusieurs conséquences importantes. Tout d’abord, malgré l’usage répandu des procédures de budgétisation, programmant un ensemble de dépenses, j’ai constaté que les dirigeants autorisaient de nombreuses décisions de manière informelle. Apparemment, de nombreux projets ne peuvent pas attendre ou ne permettent pas la quantification des coûts et des bénéfices que requiert l’établissement d’un budget.
De plus, les dirigeants de mon étude se trouvaient confrontés à des choix d’une extrême complexité. Ils devaient mesurer l’impact que telle décision aurait sur les autres projets et sur la stratégie de l’organisation. Ils devaient s’assurer que la décision serait acceptable par ceux qui influaient sur les destinées de l’organisation, et que les ressources engagées ne seraient pas dépassées. Ils devaient estimer les coûts et les bénéfices ainsi que la faisabilité du projet proposé. Ils devaient également planifier les activités dans le temps et en évaluer la durée. Voilà tout ce que signifiait la simple approbation de la décision de quelqu’un d’autre. En même temps, différer la décision pouvait compromettre le projet, tandis qu’une approbation rapide pouvait passer pour de la légèreté, et un rejet trop prompt risquait de décourager le collaborateur qui avait passé des mois à le peaufiner. Une solution commune consiste à choisir la bonne personne plutôt que la bonne proposition ‘. Ainsi, le manager autorise les projets présentés par les gens en qui il a confiance. Mais il n’est pas toujours possible de contourner le problème de cette manière.
Le dernier rôle de décision est celui de négociateur. Les managers consacrent un temps non négligeable à la négociation e le président d’une équipe de football étudie le transfert d’une superstar, le PDG d’une entreprise amène le personnel à trouver un compromis à la grève, le contremaître discute une revendication avec un délégué syndical.
Toutes ces formes de négociation sont partie intégrante du travail d’un manager, car lui seul détient le pouvoir d’engager les ressources de l’organisation en temps réel » et l’information pertinente que requièrent d’importantes tractations.

Intégrer tous les rôles

Il devrait apparaître clairement maintenant que ces dix rôles ne sont pas aisément séparables. Selon la terminologie des psychologues, ils forment une gestalt, un tout intégré. On ne peut extraire aucun de ces rôles sans modifier l’ensemble. Ainsi, un manager sans contacts de liaison serait privé d’informations extérieures. En conséquence, il ne pourrait pas diffuser les données nécessaires pour permettre aux salariés de prendre les décisions adaptées au contexte extérieur. (C’est d’ailleurs une difficulté pour tout manager nouvellement nommé, car il doit d’abord construire son réseau de relations avant de pouvoir prendre des décisions efficaces.)
Ici se trouve une des clés aux problèmes posés par le management en équipe 15 . Deux ou trois personnes ne peuvent se partager une responsabilité managériale que si elles sont capables d’agir comme une seule entité. Cela signifie qu’elles ne peuvent se répartir les dix rôles évoqués plus haut qu’à condition de soigneusement les réintégrer en une seule fonction. La difficulté majeure réside dans les rôles d’information si elles ne parviennent pas à partager toute l’information managériale — laquelle, avons-nous dit, est essentiellement orale — l’équipe de management s’effondre, On ne peut pas scinder arbitrairement les rôles du manager, en fonctions internes ou externes par exemple, car l’information en provenance de ces deux sources s’applique aux mêmes décisions.
Dire que les dix rôles forment une gestalt ne veut pas dire que tous les managers portent la même attention à chacun d’entre eux. En réalité, la synthèse des différentes recherches montre que les directeurs de vente semblent consacrer plus de temps aux rôles de relation, sans doute est-ce un reflet du caractère extraverti de cette activité. Tandis que les directeurs de production accordent plus d’attention aux rôles de décision, ce qui traduit probablement leur souci d’optimiser les flux d’activité. Les directeurs du personnel quant à eux attachent plus d’importance aux rôles d’information, puisqu’ils gèrent des services répondant aux besoins d’autres départements de l’organisation. Dans tous ces cas cependant, les rôles de relation, d’information et de décision restent indissociables.

Vers un management plus efficace

Cette description de leur travail devrait se révéler en soi plus utile aux managers que n’importe quelle prescription qu’ils pourraient en déduire. En d’autres termes, la compétence d’un manager dépend en grande partie de la compréhension qu’il a de son travail. Ses performances seront donc influencées par la manière dont il interprète et dont il répond aux exigences et aux contradictions de sa fonction. Ainsi les managers qui prennent le temps de réfléchir à la nature de leur travail ont-ils plus de chances d’être efficaces. Les questions proposées page 48 pour les aider à dresser un bilan personnel, peuvent paraître rhétoriques, aucune n’en a l’ambition. Même s’il n’est pas facile d’y répondre simplement, les managers doivent pourtant se les poser.
Examinons de plus près trois types de préoccupation. Pour l’essentiel, les impasses du management — le dilemme de la délégation, la banque de données centralisée dans un seul cerveau, la difficulté de travailler avec les gestionnaires scientifiques — tiennent à la nature ver bale de son information. Or il est dangereux de stocker celle-ci dans la mémoire des managers, car lorsqu’ils s’en vont, ils l’emportent avec eux. De plus, lorsque la communication laisse à désirer avec les subordonnés, ceux-ci restent sous-informés.

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