LA FISCALITE INDIRECTE ET LES INEGALITES DE REVENU

LA FISCALITE INDIRECTE ET LES INEGALITES
DE REVENU

Réformes de la fiscalité indirecte dans les pays en voie de développement

Depuis les années 80, les réformes de la fiscalité indirecte dans les PVD ont généralement consisté à introduire ou à développer une TVA, en remplacement des taxes sur le chiffre d’affaires ou de droit d’accises. Abel (1998) notait que sur un échantillon de 36 « pays parmi les moins avancés » et sous programme d’ajustement structurel avec le FMI, 21 disposaient d’un système de TVA en 1996. L’application de la TVA dans ces pays suit généralement le même modèle : Les gouvernements ont le plus souvent choisi d’appliquer une TVA à taux unique, étant donné le coût administratif d’une TVA à plusieurs taux. Les produits de « première nécessité » (i.e. produits alimentaires de base), les services sociaux (éducation, santé) sont en revanche souvent exonérés de sorte à limiter l’impact à priori régressif du taux unique. Ainsi en Afrique, les réformes en cours tendent à supprimer, là où ils existaient, les taux différenciés pour passer à un système à taux unique suivant généralement les recommandations du FMI. Pour les pays membres de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest), l’application d’un Tarif Extérieur Commun (TEC) depuis le premier janvier 2000 a été accompagnée par une harmonisation des taux de TVA. A partir du premier janvier 2001, les gouvernements ont appliqué une TVA à taux unique de 18%. L’application d’un taux unique est présentée dans les documents techniques comme une condition à la réussite de l’introduction de la TVA dans les pays à faible capacité administrative. Le but du taux unique est d’améliorer l’efficacité de l’impôt en facilitant sa gestion administrative et en limitant les possibilités d’évasion (Cornély, 1995 ; Tanzi et Zee, 2000). La multiplication des taux de taxation entraînerait des coûts de gestion et de contrôle qui seraient très importants. 31 La question est alors de savoir si le choix d’un taux unique de TVA, pour raisons administratives, ne s’est pas fait au détriment de l’équité et de l’influence de la taxe sur comportements économiques des agents. L’étude de l’impact redistributif du système fiscal indirect est alors d’autant plus importante que ces taxes sont prépondérantes dans les recettes et que les transferts de l’Etat vers les ménages sont faibles.

Les impacts des réformes

Les premières analyses ont été fournies par les travaux d’Ahmad et Stern (1984, 1987, 1991) pour l’Inde et le Pakistan. Pour ces deux pays, l’étude de l’impact des réformes de la taxation indirecte montre la nécessité d’appliquer des taux différenciés ou du moins l’application d’un taux unique de base de la TVA accompagné de régimes d’exemption pour les biens de premières nécessité (agriculture, services sociaux) et de droits d’accises permettant de surtaxer les biens de luxe. Dans les deux cas, les auteurs concluent qu’une taxe sur la consommation à taux unique serait indésirable du point de vue économique et social. Les études plus récentes sur les réformes de la TVA confirment les résultats d’Ahmad et Stern : – Au Chili, la TVA est appliquée avec un taux unique et peu d’exemptions. Engel et al. (1999) montrent que l’imposition indirecte y est régressive. – Hossain (1995) montre que l’introduction d’une TVA au taux unique de 15% au Bangladesh en 1991 a pesé plus lourdement sur les classes les plus démunies de la population. Elle a en revanche bénéficié aux classes les plus aisées. Les exonérations sur les produits agricoles et les services sociaux et l’application de droits d’accises sur les biens de luxe ne suffisent pas à rendre le système de taxes indirectes plus progressif. 

Les limites des changements fiscaux

Si les exonérations accordées aux produits de première nécessité exercent bien une redistribution verticale [Alderman et Del Nino (1999), Ahmad et Stern (1984, 1987), Hossain (1995)], celles-ci ne sont pas suffisantes pour compenser l’impact régressif des taux uniques de la TVA. Mais, les taux effectifs peuvent être très différents de ceux prévus par le code des impôts d’un pays, pour deux raisons : – D’abord, l’autoconsommation de la production des ménages n’est pas taxée et c’est un phénomène important dans les pays en développement. Ainsi, la charge fiscale des ménages agricoles est réduite par rapport aux urbains. – Ensuite, il existe des circuits de production et commercialisation parallèles de biens qui échappent en grande partie à la fiscalité indirecte. La consommation de ces biens varie vraisemblablement avec le revenu des ménages de manière décroissante, ce qui peut alors aussi influencer le caractère redistributif de la fiscalité. A priori, ces phénomènes d’évasion pourraient donc avoir des conséquences positives sur le degré de redistribution des taxes indirectes. Une étude de Sahn et Younger (1999) tient compte de la part des autoconsommations et des biens informels dans le budget des ménages. Sur la base d’enquêtes budget – consommation des ménages menées en Côte d’Ivoire, Guinée, Madagascar et Tanzanie, les auteurs estiment l’impact redistributif des principales taxes appliquées dans ces pays. Il ressort de cette étude que ce ne sont pas les pays où il existe une TVA à plusieurs taux qui ont le système le plus redistributif. Ce sont en fait les pays où la base d’imposition des taxes indirectes est la plus restreinte. Ainsi, ces études laissent à penser que l’évasion (l’auto consommation et l’informel) joue un rôle substantiel dans le caractère redistributif des taxes indirectes. Rôle apparemment plus important que les taux différenciés ou les systèmes d’exonérations. On peut également supposer que le secteur informel accroît la progressivité du système de taxation indirecte. En effet dans certains cas, la consommation des biens est une fonction décroissante des revenus, ce qui réduit la charge fiscale supportée par les ménages les plus démunis. Pour l’étude de Engel et al. (1999) sur le Chili, les résultats sur la non progressivité de la TVA sont aussi discutables du fait que la charge de la TVA est rapportée au revenu total et non à la consommation. La propension à consommer étant une fonction décroissante du revenu, cette relation renforce l’aspect régressif de toute taxe indirecte. 3.2.3 Arbitrage des taux de taxation Les résultats des analyses sur le caractère redistributif des taxes indirectes sont sensibles au fait que la charge fiscale est calculée en équilibre partiel ou en équilibre général (Devarajan et Hossain, 1998). En équilibre général, l’introduction d’une taxe se répercute non seulement sur le prix du bien taxé mais aussi sur les prix des autres biens par les mécanismes d’effet substitution de la demande. De même, les effets de cascades augmentent les taux effectifs par rapport aux taux nominaux de taxation de certains biens Devarajan et Hossain (1998) montrent alors que ces effets rendent légèrement progressifs le système de TVA et l’ensemble des taxes indirectes aux Philippines. Le résultat est d’autant plus intéressant que les études précédentes menées en équilibre partiel aux Philippines montraient une forte régressivité du système de taxation indirecte. Si ces études critiquent une TVA à taux unique du point de vue de la redistribution, elles n’étudient pas en contrepartie l’impact d’un système alternatif à taux différenciés. Or, ces derniers peuvent affecter aussi, les indices d’inégalité. S’ils réduisent les inégalités verticales, ils accroissent en revanche les iniquités horizontales. Des études menées dans les pays développés, notamment en France, permettent d’analyser ces deux effets. Plus précisément, elles permettent de savoir si l’iniquité horizontale créée par une taxation indirecte différenciée annihile les effets 34 redistributifs verticaux. Ceci permet alors de savoir lequel des deux systèmes (taux unique ou multiple) est en réalité le plus bénéfique pour les inégalités. 

Équité horizontale et équité verticale

Pour les pays développés, il est possible que les préférences des consommateurs varient peu entre les classes sociales. Les goûts ne sont pas suffisamment diversifiés pour permettre à la taxation indirecte de jouer véritablement un rôle redistributif. Les résultats des études empiriques menées en France vont généralement dans ce sens. Baccouche et Laisney (1986, 1988), Bodier et Cogneau (1998), Bourguignon et al. (1993), Bourguignon et Bureau (1999) montrent tous que la TVA à taux différencié détient un pouvoir redistributif faible, voire négligeable. Une réduction du nombre des taux de taxation peut en revanche avoir un effet redistributif positif: – En 1982, la France a introduit un quatrième taux de TVA dit «super réduit» de 5,5 %, pour les biens alimentaires, alors que le précédent taux réduit était de 7,6 %. Dans le même temps, le taux intermédiaire passait de 17,6 % à 18,6 %. Laisney et Baccouche (1986) montrent que la réduction des inégalités verticales est compensée par l’accroissement des inégalités horizontales : l’indice global des inégalités reste inchangé. – Bodier et Cogneau (1998) ont etudié l’impact des variations relatives de prix entre 1974 et 1995 sur les inégalités entre les ménages en France. Depuis la deuxième moitié des années 80, le nombre de taux de TVA a été réduit, ce qui s’est traduit par l’augmentation du taux sur les biens de première nécessité et la réduction des taux sur les biens de luxe. Malgré le sens de ces réformes, les auteurs montrent paradoxalement que c’est «seulement entre 1984 et 1995 que les mouvements de prix relatifs ont atténué l’augmentation des inégalités de revenu et de dépenses ». De plus, les auteurs montrent aussi que l’ensemble de la période étudiée « les modifications importantes de prix relatifs n’ont eu qu’un impact modeste sur la distribution relatif du niveau de niveau entre les ménages ». 35 Le rapport de Bourguignon et Bureau (1999) pour le Conseil d’analyse économique et sociale appuie ces résultats. Il montre que le pouvoir redistributif de la TVA est faible car « La structure de la consommation des ménages n’est pas suffisamment différenciée pour que des baisses de TVA même ciblées engendrent des effets redistributifs significatifs… »

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I. PROBLEMATIQUE DE LA REFORME FISCALE ET DE L’ARBITRAGE DES TAUX DE TAXATION
I. LA THEORIE DE LA FISCALITE OPTIMALE
1.1 La règle de Ramsey et ses bases théoriques
1.2 Extensions du modèle
1.3 Relation entre incidence et équité
II. OPTIMALITE D’UN TAUX UNIFORME DES TAXES INDIRECTES
2.1 Problème théorique
2.2 La question de l’équité horizontale
2.3 Insuffisance des hypothèses
III. ANALYSE EMPIRIQUE DE LA FISCALITE
3.1 Le système de taxation indirecte optimale
3.2 Réformes de la fiscalité indirecte dans les pays en voie de développement
3.2.1 Les impacts des réformes
3.2.2 Les limites des changements fiscaux
3.2.3 Arbitrage des taux de taxation
3.2.4 Équité horizontale et équité verticale
IV. LA FISCALITE INDIRECTE OPTIMALE ET L’EFFICACITE PRODUCTIVE
4.1 Le critère de fiscalité optimale
4.2 Droit d’accises et TVA
4.3 Les réformes des tarifs douaniers
4.3.1 Fiscalité optimale indirecte en économie ouverte
4.3.2 Le coût de collecte des taxes.
4.3.3 Effets redistributifs de la transition fiscalodouaniere
Résumé
CHAPITRE II. MESURE DES INCIDENCES FISCALES ET INEGALITES DE REVENUS
I. IMPACT DISTRIBUTIF DES SYSTEMES FISCAUX
1.2 Analyse de l’incidence fiscale
1.3 Incidence statutaire et incidence économique : transfert d’impôt
1.4 Le fardeau fiscal
1.5 Modèles classiques d’incidence fiscale
1.5.1 Hypothèses des modèles d’analyse d’incidence fiscale
1.5.2 Les approches l’incidence fiscale par l’équilibre général
1.5.3 Comparaison des approches
1.6 Effets des autres politiques publiques sur la répartition des revenus
II. LE TRAITEMENT THEORIQUE DES INEGALITES
III. LA MESURE DES INEGALITES ET DU BIENETRE SOCIAL
3.1 La conception utilitariste
3.2 Inégalité et bienêtre multidimensionnels
IV. INDICATEURS CLASSIQUES DE LA REDISTRIBUTION ET DE L’EQUITE
4.1 Les indices de concentration
4.2 Mesures de progressivité
4.3 Mesures de l’équité
4.4 ESTIMATION DE L’EFFICACITE DES IMPOTS 86
Résumé
CHAPITRE III. POLITIQUES ECONOMIQUES ET REPARTITIONDES REVENUS AU SENEGAL
I. LES POLITIQUES DE REVENUS
1.1 La période après indépendance
1.2 Les périodes de stabilisation et d’ajustement
II. LES POLITIQUES FISCALES AU SENEGAL
2.1 La structure fiscale
2.1.1 Les impôts directs
2.1.2 La taxation indirecte
2.2 Les spécificités de la fiscalité sénégalaise
2.2.1 La pression fiscale
2.2.2 Le niveau de protection tarifaire
III. LA REFORME DE LA TVA
3.1 Mise en œuvre de la directive UEMOA
3.2 Assiette et taux de la TVA
IV. LE TAUX UNIQUE ET LA NOUVELLE ASSIETTE1
4.1 Les biens et services concernés
4.2 Les biens passibles du taux réduit
4.3 Les bases et les seuils d’imposition
CHAPITRE IV. METHODES D’EVALUATION DES PERFORMANCES DES REFORMES FISCALES
I. EVALUATION DU BIENETRE SOCIAL ET DE L’EQUITE : PROBLEMES METHODOLOGIQUES
1.1 Définition des critères de comparaison
1.2 Evaluation de la répartition du revenu et la progressivité
1.3 Dominance de bienêtre social et tests statistiques.8
1.4 Problèmes de mesure
II. ESTIMATION DES IMPOTS INDIRECTS ET DE LEUR EFFICACITE
2.1 Mesures de la progressivité, de l’équité et de la redistribution
2.1.1 Principes de base
2.1.2 Inégalité des revenus et équité fiscale6
2.2 Estimation statistique
III. MESURE NORMATIVE DE L’INIQUITE HORIZONTALE CLASSIQUE
3.1 Cadre analytique
3.2 Le système de mesure
3.3 Modélisation et application statistique
Résumé
CHAPITRE V. LA REFORME DES IMPOTS INDIRECTS : ANALYSE DES EFFETS
REDISTRIBUTIFS
I. LES INEGALITES DANS LA POPULATION ETUDIEE
1.1 Structure des dépenses
1.2 Evolution des inégalités
II. IMPACT DE LA REFORME SUR LES DEPENSES DES PAUVRES
III. LA REFORME FISCALE ET LA REPARTITION DES REVENUS
3.1 Analyse de l’impact sur la pauvreté
3.2 Efficience de la réforme fiscale
3.3. DECOMPOSITION DE LA VARIATION DES INEGALITES
IV. MESURE DE L’INIQUITE CLASSIQUE
V. POLITIQUES DE CIBLAGE POUR LA REDUCTION DES INEGALITES

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