La fiscalité du cannabis

La fiscalité du cannabis est un thème qui peut paraître incongru. Quels impôts peut-il y avoir sur le cannabis puisque celui-ci est interdit ? Si ce sujet semblait a priori plutôt pauvre en possibilités de réflexion, il s’est avéré plus intéressant et complexe que prévu. En effet, d’une part, même si le cannabis est prohibé, nous verrons qu’il existe ou pourrait exister des impôts frappant les activités qui lui sont liées. D’autre part, de plus en plus de pays dans le monde étant occupés à assouplir leur réglementation par rapport au cannabis, il n’est pas exclu que la prohibition du cannabis pourrait prochainement être remise en cause en Belgique. Dans ce cadre, une réflexion sur la fiscalité qui s’appliquerait en cas de légalisation ou du moins d’assouplissement de la réglementation entourant ce produit n’est pas dénuée d’intérêt.

Nous étudierons donc la fiscalité du cannabis sous deux angles.

Le premier tient compte du cadre juridique belge actuel, c’est-à-dire de la prohibition de ce produit. Les questions abordées dans cette première partie toucheront au thème général imposé cette année pour les mémoires du master de droit fiscal de l’HEC ULg : la fiscalité des activités illicites. La première partie de ce mémoire sera donc consacrée à la description du cadre juridique actuel en matière de cannabis et à ses implications en termes de fiscalité. Après avoir défini le cannabis et expliqué sous quelles formes il est utilisé, nous esquisserons le cadre légal qui l’entoure aux niveaux belge et international. Ensuite, nous verrons dans quelle mesure le cannabis, bien qu’il soit illégal, engendre des activités ayant des implications fiscales.

Le second angle proposé est de faire abstraction du fait que le cannabis est une substance prohibée, ou d’une certaine manière, d’imaginer un « futur » dans lequel le cannabis, serait « légalisé » ou à tout le moins soumis à une réglementation plus souple que l’actuelle. Ce point de vue permettra de nous concentrer sur des questions fondamentales de droit fiscal telles que les conditions de légalité pour que l’Etat fédéral puisse instaurer une taxe sur la valeur ajoutée, voire une accise sur les produits cannabiques, ou encore par exemple pour que les communes puissent imposer les lieux de vente de cannabis comme elles imposent d’autres commerces. La seconde partie de ce mémoire est donc consacrée à la description d’un cadre légal hypothétique dans lequel certaines activités liées au cannabis seraient légalisées et à la réflexion fiscale qui s’y rapporte. Ce cadre fictif est directement inspiré de deux propositions belges récentes émanant du monde académique d’une part et politique d’autre part et principalement basées sur une structure qui existe déjà en Belgique de manière limitée : le cannabis social club (CSC).

Au fur et à mesure de la rédaction de ce mémoire, les questions se sont multipliées et nous avons pris conscience de l’ampleur du sujet choisi. En particulier l’exercice effectué dans la seconde partie du mémoire s’est avéré particulièrement complexe, puisqu’il vise la définition d’un cadre fiscal complet pour un système encore inexistant. Cette tâche ne peut être achevée de manière satisfaisante dans le cadre d’un mémoire. C’est pourquoi le travail présenté ici doit être considéré comme exploratoire. Il entend lancer une première réflexion sur la question suivante : Si le cannabis était légal, quels seraient les impôts qui pourraient frapper sa production et sa vente ? La réponse à cette question mène à des réflexions très diverses qui mériteraient chacune de faire l’objet d’un mémoire à part entière.

Il aurait bien entendu été possible de concentrer ce mémoire sur un nombre restreint de questions en choisissant par exemple un seul impôt, tel que l’accise ou l’impôt sur le revenu afin d’aborder les problématiques choisies de manière plus exhaustive et précise. Mais nous avons préféré adopter une vision généraliste au regard de deux objectifs. Premièrement, ce mémoire est avant tout un exercice théorique, qui permet de faire valoir les connaissances acquises dans le cadre du master en droit fiscal et de les appliquer à une réalité pratique. Aborder tous les types d’impôts qui s’appliqueraient au cannabis nous a permis de mobiliser un grand nombre de domaines étudiés lors du Master en droit fiscal : T.V.A., Procédure, Impôt sur les personnes physiques, fiscalité du non-marchand, et fiscalité locale, régionale européenne et internationale, ce qui contribue à l’objectif de l’exercice théorique. Deuxièmement, ce mémoire pourrait, nous l’espérons, s’avérer d’une certaine utilité si un jour, la question de la fiscalité du cannabis était amenée dans le débat politique. Si cette question peut sembler prématurée dans le cadre juridique actuel où les activités liées au cannabis sont prohibées, elle peut toutefois, même aujourd’hui, contribuer à nourrir les débats. En effet, la discussion de la légalisation du cannabis passe par la définition d’un cadre concret régulant les canaux d’acquisition de cannabis. Pour définir ce cadre concret, il est important de tenir compte de tous les aspects et contraintes pratiques et légales. L’une de ces contraintes réside dans la nécessité de définir un système permettant d’instaurer un régime fiscal cohérent, c’est-à-dire tenant compte de l’ensemble des impôts, directs et indirects, du niveau européen au niveau local. L’optique généraliste permet donc de mieux remplir l’objectif de soutien à la réflexion politique pour la définition d’un cadre réglementaire pour le cannabis et donc éventuellement dans le débat sur la légalisation en cours aujourd’hui.

Le cannabis et ses usages 

Le cannabis est le nom scientifique du chanvre, une plante annuelle à feuilles palmées. Cultivée notamment pour sa tige qui fournit une très bonne fibre textile et pour ses graines (chenevis), que l’on donne, par exemple, aux oiseaux en captivité, la plante de chanvre est également utilisée pour élaborer diverse drogues (marijuana, hashish) . Le chanvre contient en effet, en quantités variables selon les variétés, des composés actifs ayant des effets psychotropes ou thérapeutiques. Parmi les composés actifs exclusivement présents dans le chanvre, les deux principaux sont le delta-9-tétrahydrocannibinol (THC) et le cannabidiol (CBD). La variété de chanvre cultivée dépend donc de l’usage que l’on veut en faire. Le chanvre à usage agricole ou industriel, généralement désigné par le mot « chanvre», contient des dosages de THC très faibles. Le chanvre à usage récréatif ou thérapeutique, plus généralement appelé « cannabis », contient des dosages plus importants de THC et/ou de CBD.

Le chanvre industriel ou agricole

Traditionnellement utilisé pour fabriquer des textiles résistants, des cordages ou du papier, le chanvre est également un excellent isolant phonique et thermique. La partie ligneuse de la tige de chanvre est transformée en béton, briques, panneaux et autres matériaux isolants pour la construction. La laine de chanvre est réputée plus saine et plus écologique que les isolants traditionnels. Les graines de chanvre (chenevis) sont valorisées dans l’alimentation animale (oiseaux), mais on en fait également de l’huile pour la consommation humaine.

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En Belgique, la culture du chanvre reste marginale. Il est surtout cultivé en Wallonie. Fin 2015, un subside de près de 250 000 euros a été octroyé par le ministre de l’agriculture wallon pour doubler les surfaces cultivées en Wallonie à l’horizon 2020, soit passer à 1000 hectares . D’aspect extérieur, le chanvre industriel ressemble beaucoup au chanvre utilisé pour fabriquer des drogues si ce n’est son taux de THC (l’une des substances psychotropes) qui ne peut pas dépasser 0,2 % , alors qu’il atteint 5% et plus dans le cas du chanvre utilisé pour fabriquer des drogues. La filière d’approvisionnement en graines de chanvre industriel est d’ailleurs très strictement contrôlée par les pouvoirs publics afin d’éviter que des graines donnant des plantes chargées en THC ne soient vendues aux agriculteurs .

Le cannabis à des fins récréatives

Le chanvre, ou cannabis, contient, selon sa variété, plus ou moins de THC, la substance psychotrope qui, fumée ou ingérée par un être humain, exerce sur lui des effets physiques et psychiques. En particulier, le THC provoque dans le cerveau la sécrétion de dopamine, une substance qui agit sur le circuit du plaisir et de la relaxation. L’absorption de cannabis peut donc déclencher une sensation d’euphorie et de bien-être.

Les variétés de chanvre contenant plus de THC sont généralement transformées sous deux formes possibles :
– marijuana : les feuilles et les fleurs sont séchées et émiettées
– hashish (ou hash) : la résine des fleurs est compressée en bloc compacts Ces deux produits peuvent être fumés (mélangés à du tabac ou non), vaporisés, ou ingérés (seuls ou, plus fréquemment dans une préparation, tel qu’un cake ou un thé).

Les propriétés relaxantes et psychotropes du cannabis sont utilisées dans un but récréatif dans le monde entier, de manière légale ou illégale selon les pays. Les données d’enquêtes indiquent que plus d’un européen sur quatre a déjà consommé du cannabis au cours de sa vie
. En Belgique, cette proportion serait de 15%
. La consommation
de cannabis concerne plus fréquemment les hommes, issus de tous les milieux sociaux et indépendamment du lieu de résidence (tant en zone urbaine que rurale)
. Elle concerne plus
typiquement les jeunes (de 15-24 ans). Ce profil est notamment illustré par l’indicateur de consommation récente (au cours des 12 derniers mois) de cannabis. La consommation de cannabis au cours de l’année écoulée concerne 12% des jeunes de 15-24 ans et 8% des 25-34 ans, contre 3% ou moins dans les groupes d’âge après 35 ans.

Le cannabis à des fins médicales

Un usage thérapeutique du cannabis fut évoqué dans des textes datant de l’Egypte et de la Chine anciennes (jusqu’à 2800 ans avant J-C). Il y est décrit entre autres comme un « booster » d’humeur et de mémoire et anti-inflammatoire. Il y est prescrit pour soigner certains maux tels que les troubles de l’appareil reproductif féminin, les rhumatismes et la constipation.

La redécouverte de l’usage thérapeutique du cannabis par l’Occident daterait du 19ème siècle. Les médecins étudiaient entre autres son usage pour le traitement, du choléra, de l’épilepsie, du tétanos et des maladies mentales. Mais sous l’effet notamment de l’apparition d’autre substances analgésiques et du durcissement des législations en matière de drogue, le cannabis disparaît de la pharmacopée américaine en 1941 et de la française en 1953.

Aujourd’hui il existe un regain d’intérêt pour les vertus thérapeutiques du cannabis. De plus en plus de pays autorisent la vente de cannabis sous diverses formes à des fins médicales. Dans les pays européens, les médicaments autorisés peuvent inclure du THC en capsules, de l’extrait de cannabis en spray buccal et des fleurs de cannabis séchées pour vaporiser ou faire du thé (mais jamais pour être fumé).

En Belgique, seul l’accès à un spray buccal à base de cannabis, le Sativex, a été récemment autorisé et ce sous conditions strictes. Ce médicament, qui a été approuvé par l’Agence européenne des médicaments (EMA) pour traiter les symptômes de la sclérose en plaques, est autorisé dans 18 pays européens.

Table des matières

INTRODUCTION
1. FISCALITÉ DU CANNABIS DANS LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL
1.1. Définitions et cadre juridique actuel
1.1.1. Le cannabis et ses usages
1.1.1.1. Le chanvre industriel ou agricole
1.1.1.2. Le cannabis à des fins récréatives
1.1.1.3. Le cannabis à des fins médicales
1.1.2. Cadre juridique du cannabis
1.1.2.1. Cadre juridique international
1.1.2.2. Cadre juridique belge
1.1.2.2.1. Historique
1.1.2.2.2. La directive du 31 janvier 2005
1.1.2.2.3. Sanctions et traitement des dossiers par les parquets
1.1.1.1.1. Quelques chiffres concernant la police et la justice
1.1.1.1.2. Les graines de cannabis
1.1.1.1.3. Le cannabis à des fins médicales
1.1.3. Les cannabis social clubs
1.1.3.1. Le cannabis social club d’Anvers
1.1.3.2. Historique des procès des CSC belges
1.2. Fiscalité du cannabis dans le cadre juridique actuel
1.2.1. Fiscalité sur les activités illicites liées au cannabis
1.2.1.1. Taxable à l’impôt sur les revenus
1.2.1.1.1. Au titre de revenus professionnels
1.2.1.1.2. Au titre de revenus divers
1.2.1.1.3. Permettant ou non la déduction des frais
1.2.1.1.4. Détermination du revenu imposable
1.2.1.2. Taxable à la T.V.A.
1.2.1.3. Soumis à des accises
1.2.1.4. Enrôlement fiscal dans le cadre des poursuites pénales en matière de cannabis
1.2.1.5. Moralité de la taxation des activités illicites
1.2.2. Fiscalité sur les activités dépénalisées liées au cannabis
1.2.2.1. La possession d’une faible quantité de cannabis ou la culture d’un plant de cannabis
1.2.2.2. La fourniture de cannabis par un cannabis social club
1.2.2.3. Les médicaments à base de cannabis
2. FISCALITÉ DU CANNABIS DANS LE CADRE D’UNE LÉGALISATION
2.1. Un nouveau cadre légal
2.1.1. Critiques du cadre légal actuel
2.1.2. Propositions pour un autre cadre légal
1.1.1.1. Historique non exhaustif des propositions
1.1.1.2. Propositions actuelles
2.1.3. Un cadre réglementaire pour la production et la consommation de cannabis
1.1.1.3. La production domestique de cannabis à usage personnel
1.1.1.4. Les cannabis social clubs
1.1.1.5. Délivrance de cannabis à usage médical
2.2. Fiscalité du cannabis dans le cadre d’une légalisation
2.2.1. Fiscalité de la production domestique à usage personnel
2.2.2. Fiscalité des Cannabis social clubs
2.2.2.1. T.V.A. sur les activités des cannabis social club
2.2.2.1.1. Livraison de bien ou prestation de service ?
2.2.2.1.2. À titre onéreux ?
2.2.2.1.3. Un assujetti agissant en tant que tel ?
2.2.2.1.4. Quel taux ?
2.2.2.1.5. Exonérations
2.2.2.1.6. Régime particulier agricole
2.2.2.1.7. Régime du forfait
2.2.2.1.8. Franchise
2.2.2.1.9. Synthèse
2.2.2.2. Accises sur le cannabis fourni par les CSC
2.2.2.3. Impôt des personnes morales sur les CSC
2.2.2.4. Impôt des personnes physiques sur le personnel des CSC et sur les cultivateurs
2.2.2.5. Taxes régionales sur les CSC
2.2.2.6. Taxes locales sur les CSC
2.2.2.7. Taxe compensatoire des droits de succession
2.2.3. Fiscalité sur la délivrance de cannabis à usage médical
CONCLUSION

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