La psychologie est finalement prise au sérieux par la théorie économique contemporaine
Les approches comportementaliste et conventionnaliste viennent appuyer les thèses émises depuis un certain temps par les analystes techniques. Par ailleurs, plusieurs chercheurs de haut vol ont mis en évidence l’existence de bulles rationnelles (Blanchard, Watson) mais aussi de déséquilibres (Stiglitz, Grossman) sans remettre entièrement en cause l’hypothèse de l’efficience des marchés.
La finance comportementale confirme les thèses de l’analyse technique
Pour les tenants de l’analyse technique, l’efficacité des configurations graphiques s’expliquerait par l’existence de comportements récurrents chez les opérateurs de marché. Ces comportements ont été analysés de manière approfondie par une nouvelle approche, qualifiée de finance comportementale.
La crédibilité de cette école s’est considérablement accrue avec l’obtention en 2002 du prix Nobel d’économie par D. Kahneman. Cette approche remet en cause les fondements même de l’hypothèse de rationalité des agents : les comportementalistes (Kahneman, Tversky) ont montré l’existence de biais psychologiques qui infirment l’hypothèse de rationalité posée par l’école néoclassique.
La finance comportementale présente indéniablement l’avantage d’introduire pour la première fois la dimension psychologique au sein de la théorie financière. L’individu n’est plus un supercalculateur omniscient. Il devient un individu soumis à des biais psychologiques qu’il ne maîtrise pas toujours. Ce trait est commun aux deux approches : l’analyse technique, comme la finance comportementale, s’accorde sur la faible rationalité des individus et, dès lors, ne divergent pas totalement sur l’inefficience des marchés.
Notons que l’hypothèse de l’efficience15 des marchés considère qu’il est impossible d’utiliser les cours passés pour prédire l’avenir. Cette hypothèse d’efficience repose sur une rationalité parfaite des individus. Les biais cognitifs permettent d’expliquer la volatilité des actifs financiers et de comprendre pourquoi les individus ne gagnent pas forcément à tous les coups sur les marchés financiers, même en ayant recours à une méthode d’analyse solide…
Les analystes techniques ont souvent mis en avant la dimension psychologique des opérateurs financiers. Selon eux, l’efficacité de cette méthode s’expliquerait par l’existence de comportements récurrents sur les marchés financiers. La finance comportementale a permis une avancée considérable dans l’étude des biais psychologiques propres aux investisseurs. Dès lors, les liens entre finance comportementale et analyse technique semblent évidents et il n’est pas vain de se demander si l’efficacité de l’analyse technique peut s’expliquer par les biais psychologiques mis en avant par la finance comportementale ?
Pour les analystes techniques, les figures graphiques sont efficaces car elles représentent graphiquement la psychologie des intervenants. Cette méthode d’analyse serait efficace en raison de comportements répétitifs de la part de traders. Or, si ces explications semblent pertinentes, aucune approche financière n’a jusqu’à présent réussi à prouver l’efficacité de cette méthode d’analyse. Le point fort de la finance comportementale consiste à introduire la dimension psychologique au sein de la théorie financière. Le trader devient un individu soumis à des biais psychologiques qu’il ne maîtrise pas toujours. Il s’agit d’un trait commun aux deux approches. La finance comportementale a permis un bond considérable dans l’étude des biais psychologiques propres aux investisseurs, et les liens entre cette école théorique et l’analyse technique semblent très étroits.
La finance comportementale donne des fondements théoriques à l’analyse technique
Nous allons à présent montrer de manière simple comment les hypothèses émises par la finance comportementale permettent de justifier l’efficacité des indicateurs techniques et des figures graphiques.
Le biais d’ancrage
Les individus sont fortement influencés par l’environnement dans lequel ils opèrent. Les supports et les résistances (voir chapitre 8) fonctionnent correctement car, visuellement, un individu va facilement repérer ces niveaux, qui influenceront irrémédiablement sa décision.
Ce biais d’ancrage va également fonctionner dans un marché en tendance. Ainsi, un individu sera incité à acheter dans un marché haussier car le contexte l’y pousse, même s’il n’y a rien de rationnel16 dans cette approche. Le raisonnement inverse peut être appliqué avec la même efficacité dans le cas d’une tendance baissière.
Un trader positionné à l’achat sera incité à prendre ses bénéfices autour d’une résistance alors qu’un trader baissier fera de même autour d’un support. L’analyse technique étant une approche visuelle, elle va donc renforcer la pertinence de ce biais d’ancrage.
Le biais momentum
Lors d’un mouvement haussier extrêmement puissant, le biais momentum se manifeste souvent. Le biais momentum, défini précédemment, considère que les investisseurs se basent sur l’évolution récente des cours pour établir leurs prévisions. Si le titre progresse, ils vont anticiper une poursuite de la hausse et se positionner à l’achat – le raisonnement inverse s’applique dans le cas d’une baisse. La hausse va entraîner la hausse et, sur les sommets, nombreux sont ceux qui vont se positionner car ils estiment que le marché va continuer irrésistiblement son ascension. Il s’ensuit généralement une période de fragilité. Cette faiblesse pourra s’observer avec l’apparition de divergences baissières sur les indicateurs techniques. La panique des investisseurs, combinée au faible nombre d’acheteurs potentiels, sera à l’origine d’un retournement et constitue un argument théorique solide en faveur de la fiabilité des divergences baissières.
La loi des petits nombres
Selon cette loi, il suffirait qu’un événement se produise à deux ou trois reprises pour qu’un trader en tire une loi générale. Ce biais explique la réaction des individus autour des supports et des résistances mais aussi l’efficacité de certaines figures graphiques comme le double creux, le double sommet, etc. Nous pouvons noter que le marché dessine souvent une réaction autour de ces niveaux clés.
Les conventions appuient l’existence de tendances
Les tenants de l’efficience des marchés considèrent que les mouvements des marchés sont complètement aléatoires et que les tendances ne seraient qu’une illusion d’optique.
Pourtant, dans les faits, il est aisé de repérer des tendances : elles sont non seulement réelles (il ne s’agit pas d’une illusion d’optique) mais également fréquentes sur les marchés. L’école des conventions évoque la présence de phénomènes de mode et d’une rationalité mimétique des opérateurs pour expliquer ce phénomène.
Les conventionnalistes (Orléan, Tadjeddine) vont même jusqu’à parler d’une « rationalité autoréférentielle des opérateurs ». Cette analyse, qui s’inspire notamment du concours de beauté cher à Keynes, montre que les opérateurs vont se référer à une convention (croyance dominante) qui peut être en complet décalage avec la valeur fondamentale de l’actif financier. Le décalage sera d’autant plus marqué qu’il n’existe pas de précédent. Ainsi, dans le cas des valeurs technologiques, André Orléan explique que l’incertitude des revenus futurs aurait provoqué cette bulle spéculative ininterrompue. Cette situation est très présente sur les marchés du pétrole ou des changes sur lesquels les économistes et les analystes sont souvent pris à contrepied.
L’approche des conventions permet de comprendre pourquoi certains opérateurs se positionnent à l’achat (ou à la vente) même dans une situation où les cours sont surévalués (ou sousévalués). Un investisseur rationnel ne devrait pas se positionner autour de ces niveaux mais, selon les conventionnalistes, il peut être rationnel d’investir quand on a la certitude que d’autres personnes sont prêtes à acheter un actif financier. On se base alors sur le consensus dominant et on ignore – du moins à court terme – la valeur réelle du titre. Cette théorie accrédite les postulats sur lesquels repose l’analyse technique.
En effet, l’analyse technique suppose l’existence de tendances sur les marchés qui se poursuivent pendant un certain temps. Ces tendances sont présentes sur plusieurs horizons de temps (court, moyen et long terme) et ne sont pas forcément expliquées par les fondamentaux. D’ailleurs l’analyse technique ne se préoccupe pas des fondamentaux, puisqu’elle suppose que toute l’information disponible à un certain moment est comprise dans les cours. Néanmoins, il existe des configurations répétitives sur les marchés car les comportements humains sont stables au cours du temps. L’analyse technique est donc une méthode pragmatique, basée sur des récurrences qui sont aujourd’hui accréditées par les nouvelles théories financières (conventions et finance comportementale).
La finance comportementale et les conventions permettent de confirmer les principes de base de l’analyse technique même si, étonnamment, ces deux théories considèrent toujours cette méthode comme un modèle naïf… Néanmoins, certains de ses tenants parlent toujours de l’analyse technique comme étant un modèle naïf, malgré sa popularité auprès de traders de premier rang et au sein des hedge funds où la finance quantitative domine. Cette composante de la finance cherche pourtant à repérer des phénomènes récurrents sur les marchés en ayant recours à l’outil mathématique et à la puissance de l’informatique pour y parvenir. Un travail sérieux de recherche doit être entrepris à ce sujet pour essayer de mieux comprendre ce phénomène. Pour notre part, nous pensons qu’il s’agit essentiellement d’une paresse intellectuelle de la part de certains économistes. Cette croyance partagée au sein du monde académique peut être considérée comme une convention : le mimétisme opère également au sein du monde de la recherche et il existe des effets de mode. Il semble plus aisé de se plier à la pensée dominante plutôt que de s’y opposer. Néanmoins, nous ne pouvons que constater, avec satisfaction, le changement en cours et certains économistes éminents contribuent à modifier en profondeur cette pensée dominante (Andrew Lo, Carol Osler…).
Les derniers travaux de recherche prouventque l’analyse technique permet de battre les marchés
Pour de nombreux investisseurs institutionnels, il est difficile d’avouer publiquement l’utilisation de l’analyse technique, car ils craignent sans doute qu’on les taxe d’un manque de professionnalisme. Les gérants justifient leur rémunération par leur maîtrise des techniques nobles d’évaluation mais dans les faits, ils sont souvent dépassés par l’évolution des cours boursiers et parlent d’irrationalité des marchés lorsque ces derniers ne se plient pas à leur scénario. De nombreux gérants expliquent qu’ils se basent exclusivement sur l’analyse fondamentale pour prendre leurs décisions. Dans les faits, ils ont souvent recours aux services des analystes techniques pour comprendre les mouvements chaotiques et avoir une idée des niveaux importants, preuve en est le chiffre d’affaires conséquent réalisé par certains cabinets d’analyse technique auprès des gestions institutionnelles.
Dans l’ouvrage de Olivier Godechot17, consacré à la sociologie des traders, l’auteur relève que pour certains traders diplômés d’écoles prestigieuses il était inacceptable d’utiliser l’analyse technique comme un outil d’analyse. Ils préféraient se fonder sur le raisonnement économique, plus noble à leur sens. L’analyse technique conserve une réputation sulfureuse car on s’attend souvent à une approche farfelue18.
Néanmoins, nous pensons qu’il s’agit probablement de la méthode la plus efficace pour analyser les marchés. Les fondamentaux ne doivent pas être négligés mais, pour reprendre les propos de Keynes déjà cités, « il n’y a rien de plus irrationnel que d’investir de manière rationnelle sur les marchés ».
L’analyse fondamentale joue un rôle certain dans la valorisation des actifs mais elle ignore totalement la composante psychologique de la fluctuation des cours boursiers. De même, elle tombe dans le piège qui consiste à dire que les fondamentaux reprennent le dessus à long terme, car elle présume une dichotomie totale entre économie financière et économique réelle : les cours boursiers n’auraient aucune influence sur les fondamentaux d’une entreprise et la finance serait totalement déconnectée du réel, ce qui n’est bien entendu pas toujours le cas.
Le monde académique sort à présent de sa torpeur, et des travaux favorables à l’analyse technique commencent à être publiés.
Andrew Lo, un économiste du MIT, prouve l’efficacité de l’analyse technique
Selon, A. Lo19, l’analyse technique est une approche qui a été fortement critiquée par le monde académique au cours des dernières années.
Cet économiste éminent du MIT, directeur du laboratoire de modélisation financière, a réalisé une étude exhaustive sur l’analyse technique, testant sur une période assez longue les résultats fournis par les configurations graphiques.
Les résultats sont concluants et prouvent l’efficacité de l’analyse technique, infirmant les propos de la théorie orthodoxe. Il considère par ailleurs que, malgré la diffusion de la finance quantitative qui recourt aux modèles mathématiques pour initier des positions, l’analyse technique reste populaire et efficace car de nombreuses configurations sont encore imparfaitement programmables. Cela laisse une certaine marge de manœuvre aux utilisateurs de l’analyse technique.
Carol Osler, les supports et les résistances fonctionnent
Pour Carol Osler20, économiste à la banque centrale américaine (Fed), il est possible d’anticiper les mouvements à court terme des taux de change avec l’analyse technique.
Elle considère, en s’appuyant sur les travaux de Meese et Rogoff (1983) que les modèles macroéconomiques sont incapables d’anticiper les mouvements à court terme des taux de change. De plus, elle ajoute que l’analyse fondamentale ne permet pas d’expliquer le succès de l’analyse technique.
C. Osler va chercher à tester deux hypothèses populaires en analyse technique : la tendance se renverse à des niveaux prévisibles de support et de résistance ; un mouvement prend de la puissance lorsqu’une résistance ou un support est cassé (stratégie qualifiée de « breakout »).
Cette recherche s’est basée sur l’analyse des stops et des prises de profits effectués par les clients de plusieurs grandes banques. Selon Carol Osler, les prises de profits vont épuiser une tendance, alors que les stops vont lui donner une véritable impulsion. De même, elle note que ces ordres se concentrent fortement autour de chiffres ronds, qui sont des supports et des résistances efficaces comme nous le verrons dans la partie consacrée à l’analyse graphique.
En examinant les ordres passés auprès d’une grande banque, elle montre que l’analyse technique a une véritable fiabilité sur un plan microéconomique. Selon cette économiste, toutes les recherches sur les règles de trading, au sein du marché des changes, prouvent que ces outils fonctionnent et permettent de prévoir les taux de change. Elle avance que les fondamentaux sont un outil important pour prévoir les taux de change à long terme, mais qu’à court terme, les taux de change sont dominés par d’autres forces et que l’analyse technique représente un outil de prévision extrêmement efficace. Ses recherches vont lui permettre de tirer les conclusions suivantes :
les prises de profit sont beaucoup plus concentrées autour de chiffres ronds que les stops. Les chiffres ronds jouent le rôle de barrières et empêchent un actif financier de continuer le mouvement en cours ;
les stops achat21 sont souvent placés légèrement audessus de chiffres ronds alors que les stops vendeurs sont placés légèrement en dessous. Elle s’appuie sur les travaux des analystes techniques qui ont toujours clamé la pertinence des supports et des résistances, et cite l’analyste technique Martin Pring pour qui les supports représentent des zones où la demande est extrêmement importante alors que les résistances constituent une forte concentration des offreurs (ou vendeurs).
Notons que cette étude présente l’intérêt majeur de montrer que même une vénérable institution comme la Fed s’intéresse à l’analyse technique.
La profitabilité de l’analyse technique :
une revue de la littérature de CheolHo Park et Scott H. Irwin22
Une étude extrêmement poussée a été réalisée par ces deux économistes de l’université de l’Illinois. Elle a permis de relever tous les travaux de recherche relatifs à la profitabilité de l’analyse technique. Selon ces auteurs, sur 92 recherches modernes effectuées sur la profitabilité des stratégies de trading utilisant l’analyse technique, 58 études ont conclu à des résultats positifs, et seulement 24 études à des résultats négatifs. Nous allons énumérer quelques résultats significatifs fournis par les deux économistes.
L’étude de Stewart (1949) montre que les traders novices se positionnent généralement plus souvent à la hausse qu’à la baisse. En outre, les traders novices initient plus souvent des positions à l’achat dans des journées baissières et inversement, ils initient des positions vendeuses lors des journées haussières. Le trading contre la tendance semble dominant, et seuls les traders expérimentés jouent dans le sens de la tendance dominante et semblent respecter le célèbre adage boursier « la tendance est votre alliée » 23.
Une étude réalisée en 1985 auprès de 40 grandes banques et 15 sociétés de Bourse de premier plan, montre que 97 % des professionnels interrogés considéraient l’analyse technique comme une méthode efficace pour anticiper les cours boursiers. De même, une étude réalisée en 1992 par Taylor et Allen auprès des directeurs de salles de marché londoniennes (marché des changes exclusivement) montre que 64 % de ceuxci avaient recours à des moyennes mobiles et autres systèmes de suivi de tendance, et que 40 % utilisaient des indicateurs techniques24 et des oscillateurs. Par ailleurs, 90 % ont répondu qu’ils utilisaient l’analyse technique lorsqu’ils formaient leurs prévisions de change. Le résultat le plus significatif de cette étude est que pour 60 % des traders, l’analyse technique est au moins aussi importante que l’analyse fondamentale, si ce n’est plus.
Enfin, une étude réalisée à Hong Kong en 1995 auprès de personnes opérant sur le marché des changes montre que pour une grande majorité de cambistes, « l’analyse technique est beaucoup plus utile que l’analyse fondamentale dans la détection des tendances ainsi que dans le repérage des niveaux de retournements ». Pour Cheung et Wong (2000), 40 % des cambistes pensent que l’analyse technique est le facteur majeur dans la formation des taux de change à moyen terme (autour de six mois). À long terme, 17% des cambistes considèrent l’analyse technique comme le facteur le plus important.
Il est assez frappant de noter que toutes ces études montrent une utilisation massive de l’analyse technique par les traders opérant sur les marchés de futures et sur le marché des changes. De plus, ces opérateurs considèrent, dans leur grande majorité, que l’analyse technique joue un rôle important dans la détermination des cours sur un horizon court terme mais aussi à moyen et long terme. Ces propos contrastent fortement avec ceux du monde académique qui ne s’est jamais réellement penché sur le sujet, à quelques exceptions près.
L’analyse technique est un outil d’analyse indispensable
L’analyse technique est souvent assimilée à un modèle naïf par le monde académique. Lorsque l’on lit la littérature à ce sujet, on y découvre que les intervenants utilisant cette méthode sont des intervenants irrationnels, voire naïfs.
Cette méthode, comme nous le développerons par la suite, loin d’être irrationnelle tente de comprendre la psychologie dominante d’un marché à un moment donné. Elle se veut pragmatique et rationnelle au sens de l’école des conventions, selon laquelle les investisseurs vont se déterminer essentiellement en fonction du consensus dominant. Par ailleurs, les traders professionnels considèrent que l’élément le plus important sur les marchés financiers est sans conteste la dimension psychologique (individuelle et collective).
Les principales raisons de l’efficacité de l’analyse technique
La fiabilité de l’analyse technique repose-t-elle uniquement sur le phénomène des prophéties autoréalisatrices ou bien sur cet ordre naturel, décrit aussi bien par B. Mandelbrot que par R.N. Elliott ? Quels sont les arguments qui permettent d’appuyer l’efficacité de l’analyse technique ? L’analyse technique est-elle une méthode efficace ? Le mimétisme et les prophéties autoréalisatrices sontils une explication pertinente de la fiabilité de l’analyste technique ?
L’analyse technique est une approche de plus en plus suivie et plusieurs éléments permettent d’expliquer son succès et son efficacité :
les comportements récurrents des individus peuvent être visualisés sur les graphes boursiers et constituent un élément significatif de l’efficacité de cette méthode ;
l’analyse technique fonctionnerait uniquement en raison du phénomène des prophéties autoréalisatrices ;
son efficacité serait due à un mélange des deux composantes. Cet argument est selon nous le plus pertinent.
L’hypothèse des prophéties autoréalisatrices (PA) supposerait un suivi important de l’analyse technique par la plupart des intervenants. Dans ce cas, l’efficacité de l’analyse technique s’expliquerait par un mimétisme des opérateurs. Pour que cet argument soit valable, il faudrait tout d’abord évaluer l’utilisation de l’analyse technique et déterminer si cette méthode est réellement suivie par le plus grand nombre.
Il est vrai que certains indicateurs sont favorables aux prophéties autoréalisatrices, notamment les indicateurs les plus connus et les plus suivis, comme les supports et les résistances ainsi que les moyennes mobiles. Le biais d’ancrage développé par la finance comportementale fournit d’ailleurs une bonne explication venant compléter l’hypothèse des prophéties autoréalisatrices. Ces indicateurs sont faciles à repérer et sont fournis par la plupart des courtiers et des analystes techniques travaillant pour des banques ou des cabinets de conseil spécialisés. En effet, il est facile pour un trader de se fonder sur ces niveaux pour se positionner et prendre une décision. La deuxième catégorie d’indicateurs (indicateurs techniques, volumes, vagues d’Elliott, etc.) demande un certain niveau de technicité et est moins utilisé, ou du moins pas suffisamment maîtrisés mais les retracements de Fibonacci (tirés des vagues d’Elliott) sont de plus en plus utilisés.
L’argument des PA semble pertinent mais ne permet pas de répondre à la question suivante : pourquoi certaines figures fonctionnaientelles de manière satisfaisante, avant même la diffusion de l’analyse technique au grand public ? Comment expliquer l’étrange similitude entre le graphique du krach de 1929 et celui du Nasdaq de mars 2000 ? Peuton encore évoquer l’argument des prophéties autoréalisatrices alors que les graphiques n’étaient pas encore disponibles en 1929 ? Pour éclairer cette zone d’ombre, nous tenterons de répondre à ces questions :
les gérants de portefeuille sont-ils des utilisateurs actifs de l’analyse technique ? La réponse à cette question nous permettra de déterminer si les prophéties autoréalisatrices sont une explica-tion plausible de l’efficacité de l’analyse technique ;
l’efficacité de l’analyse technique est-elle la justification graphi-que des travaux réalisés par la finance comportementale ?
Les prophéties autoréalisatrices expliquent-elles l’efficacité de l’analyse technique ?
La notion de prophétie autoréalisatrice (PA) est un moyen subtil, utilisé par une partie du monde académique, pour décrédibiliser l’analyse technique. Cette méthode fonctionnerait uniquement en raison d’une hystérie de masse, et l’analyse technique serait même à l’origine des phénomènes irrationnels et doit à ce titre être combattue. Nous allons démontrer en quoi l’argument des PA ne nous semble pas suffisamment pertinent.
Les prophéties autoréalisatrices : un argument peu pertinent sur le long terme
Les gérants institutionnels ont un poids non négligeable sur les marchés et sont souvent à l’origine des tendances lourdes du marché.
Ces gérants ont généralement une connaissance sommaire de l’analyse technique et savent repérer des supports, des résistances ainsi que des moyennes mobiles (200 et 150 jours). Néanmoins, leurs connaissances techniques sont souvent limitées : ils ne maîtrisent pas toujours les indicateurs techniques et ignorent même les notions de divergence haussière ou baissière et de surachat/ survente.
Or, ces investisseurs institutionnels possèdent des liquidités importantes, à l’origine des mouvements majeurs des marchés. Les traders, quant à eux, profitent des vagues haussières ou baissières intermédiaires, mais ne possèdent pas la force de frappe suffisante pour qu’un support ou qu’une résistance de long terme fonctionne. Les gérants disposent clairement des moyens pour faire décaler les marchés financiers.
Dès à présent, l’argument des prophéties autoréalisatrices semble perdre de sa superbe : si l’analyse technique est faiblement utilisée dans la décision d’investissement à moyen et long terme, alors com-ment expliquer son efficacité sur un horizon long ? On pourrait évoquer le cas de la gestion alternative (hedge funds) qui peut dans certains cas avoir un horizon long. Néanmoins, cet argument ne tient pas puisque les fonds de pension restent dominants et contrebalancent les fonds alternatifs, dont le poids financier reste faible.