LA FIGURE DE L’AUTRE DANS QUELQUES ROMANS MALIENS
Résumés analytiques des œuvres du corpus
Le résumé20 d’une œuvre soumet un condensé des différentes étapes de l’histoire racontée. En effet, il permet de saisir le message de l’auteur et sa portée symbolique. C’est-à-dire, ce travail personnel qui présente une vue d’ensemble doit donner accès au raisonnement, aux objectifs et à l’importance de la communication de l’auteur vis-à-vis de son lectorat, d’une part. Et, d’autre part, il doit faciliter l’affiliation de l’écrivain à une tendance sociale ou à un mouvement littéraire. Pour assimiler l’analyse qui suivra dans le reste du travail, nous proposons les résumés des œuvres du corpus. a. Noces sacrées21 de Seydou Badian Un couple d’Européens à la recherche d’une solution aux problèmes qui persécutent l’homme se rend en Afrique où tout a commencé. Le début de l’histoire remonte à trois ans avant ce déplacement. Sur les conseils d’un ancien du continent, Monsieur Mornet, Directeur Général de la Compagnie des Grands Travaux à Marseille, et sur recommandation du docteur Mouls, Monsieur Besnier et sa fiancée, Mademoiselle Baune, s’adressent au docteur de la circonscription du Kouroulamini, où tout a débuté, pour les aider à la délivrance de André Besnier. En effet, par naïveté, témérité, scepticisme et avec la complicité d’un compatriote, cet ancien chef de la subdivision des Grands Travaux du pays s’en prend à N’Tomo pour se moquer de Soret, partisan de la société secrète des Bambara. Il se procure le masque par l’intermédiaire d’un inconnu et le piétine devant le quatrième Maître du cinquième Sommet de la secte. Celui-ci lui fait part de la malédiction qui le poursuit dès la première nuit de la possession de la statuette sacrée, au village et partout où il se déplace (Marseille-Paris-Londres). Mornet qui lui retire le masque pour le secourir accuse les mêmes troubles, il décide de le lui rendre et somme Besnier de ramener la figure sacrée à ses adorateurs pour l’apaisement de sa vie. Son chef s’y met avec des exemples d’autres Européens à l’esprit frondeur et insolents vis-à-vis des Dieux et des pratiques religieuses africaines. Certains en sont morts et d’autres ont connu de sérieux et dangereux bouleversements dans leur vie.Le docteur qui s’engage à les aider à réparer le mal et restituer le masque se rend à l’évidence que la voie des ancêtres qu’il a rejetée au jeune âge demeure le passage obligatoire. Il découvre au cours de sa démarche solidaire le couple de Blancs auprès de son père toute la gravité de l’acte de son ami. L’homme avait défait tout un village de vie, par son orgueil et son ignorance, en faisant voler l’esprit de l’ancêtre Dounamba du Kouroulamini, sauveur des hommes des menaces de la déesse rebelle Faro. Le jeune médecin s’accuse d’être fragile pour avoir hâtivement prétendu conduire son patient à la satisfaction de ses songes. Néanmoins, il s’attèle à l’idée de tenir parole comme tout Africain qui l’aurait fait pour la confiance et l’honneur. Ses sollicitations aboutissent à l’intervention de Tiémoko-Massa-Fotigui, le seul Maître du septième Sommet de la secte habilité à communiquer avec les Esprits. N’Tomo est rapporté au village qui l’avait perdu et du coup avait été privé de tous les avantages de la vie sans la protection de la force suprême. L’intrigue se clôt avec cette dernière mission de Fotigui qui rejoint les Esprits, le suicide de Monsieur Jules, l’instigateur de la violation du sanctuaire, la consécration d’André Besnier et l’union de Mademoiselle Baune et du Docteur. Simultanément, le docteur décèle, à travers le récit du commis Doumbia, l’adhésion de certains Européens aux différentes sectes du cercle hermétique des Bambara et bien d’autres vérités. Le fils adoptif de Fotigui décide alors de conjuguer avec les deux sciences dans l’avenir et de tirer des deux sociétés, la traditionnelle et la moderne, ce qui pourra lui être bénéfique. Egalement, il manifeste un regain d’intérêt particulier pour les valeurs ancestrales et de la componction pour ses attitudes à l’égard de son père dont les enseignements deviennent nobles et intéressants pour lui. Il ne les considère plus comme fruits de l’obscurantisme, mais des connaissances fertiles et un patrimoine précieux. L’ensemble des passages de la vie que Seydou Badian peint dans ce roman bâti sur cinq (5) parties qui sont : l’arrivée du couple d’Européens au dispensaire, la rencontre et l’exposé de Besnier, les démarches du docteur auprès de son père, l’entrée en jeu de Fotigui et la restitution de N’Tomo et la prise de conscience du docteur, exprime une réconciliation entre l’homme moderne et les ancêtres. De même, cette œuvre fait remarquer au passage que l’Africain ne peut se défaire complètement des 20 voies traditionnelles. Bien avec l’incorporation d’autres religions étrangères, les villageois consultent en secret les Esprits par le biais des féticheurs et font des offrandes. L’existence des forces divines et de l’Invisible des Africains est réelle. Les Esprits protecteurs sont omnipotents et n’admettent pas le sacrilège. En adjonction à cette entreprise, le texte présente l’Afrique dans son exotisme, sa richesse incontestable et sa beauté à partir d’une description nettement élaborée qui fascine le lecteur. Par ailleurs, ce récit certifie l’enracinement de l’auteur dans une société traditionnelle dont il respecte les principes bien qu’ayant fréquenté l’école des Blancs. Il s’affirme bon connaisseur des règles ancestrales dans le moindre détail et un initié qui voudrait pérenniser l’histoire et la mémoire collective d’un peuple à travers l’écriture. L’agencement d’éléments de l’oralité avec des principes d’écriture de quelques courants romanesques occidentaux notifie une alerte à la jeune génération. L’écrivain invite les jeunes à la souplesse face à la tradition et à la méditation avant de se vouer totalement à la culture européenne. Notamment, cette œuvre, Noces sacrées, exprime une initiation du profane à la déférence envers les divinités et une découverte de la structure bien hiérarchisée de la société des Bambara d’antan. Elle propose l’expérience d’un vécu dissimulé par la fiction mais représentatif pour les enseignements qu’on en recueille. En outre, dans cet ouvrage où la réalité du vécu constitue la matière de la fiction, l’auteur fait, en même temps, l’éloge de l’Afrique et sa plaidoirie. Un monde à part, détaché de toute civilisation étrangère des siècles durant qui conserve encore son authenticité et résiste à la tentative européenne de le déstabiliser. Il professe des vertus à l’homme et la principale morale en est la défense de ses propres spécificités identitaires et l’affirmation de soi devant l’Etranger. Toutefois, les relations entre les personnages précisent que la prétention à l’autosuffisance équivaut à une chimère. Une communauté humaine, quelle que soit sa richesse matérielle ou spirituelle, doit s’ouvrir aux autres et embrasser leurs cultures afin d’en exploiter ce qui peut l’être à bon escient. Il se s’agit de se dissiper ou de se dégrafer exclusivement de ses particularités d’identification, mais d’apprendre et de s’épanouir à partir des différences.Bien entendu, toutes les distinctions ne sont pas à adopter. Par contre il n’est pas non plus toujours nécessaire de s’accrocher aux représentations figées du collectif au cours de la rencontre. Une épreuve difficile certes, néanmoins surmontable tel qu’il s’entrevoit des échanges entre européens, adeptes des Blancs et villageois autochtones traditionnalistes. Enfin, la création littéraire de Seydou Badian dénote d’une part la quête de l’altérité en mettant en opposition deux modes de pensée et en exposant la méfiance, la distance et le conflit entre les personnages pendant les premiers temps du croisement. D’autre part, elle marque l’application des préceptes de ce phénomène social puisque malgré les différences de races, de catégories, d’origines, etc., la coexistence devient possible et souhaitable. Les personnages se rendent comptent de la nécessité de décentration et des efforts pour comprendre et accepter de vivre ensemble. C’est ainsi qu’ils résolvent à faire la part entre les deux civilisations pour favoriser la réciprocité entre cultures. b. Goorgi22 de Moussa Konaté Goorgi, une production de Moussa Konaté, est le récit de l’histoire d’un étranger, Wolof du Sénégal, Ibrahima Diop, qui débarque à Kita, au pays des Malinké, et dont la personnalité demeure insaisissable et curieuse pour les Kitankés. Les habitants de la petite ville le dénomment Goorgi signifiant l’homme à la couleur d’anthracite, rusé et dynamique. Cette appellation lui sied à merveille. A son arrivée, la petite bourgade se métamorphose, car le petit truand sympathique entraîne son entourage dans des pratiques et actions souvent déplorables que comiques. Il se lie d’amitié avec les enfants, en particulier Kalil, fils de Bâ, le narrateur. Monsieur Bâ l’hébergera plus tard et le verra adorer par les siens après s’être longtemps méfiés de lui et l’avoir dédaigné. Il est d’abord rejeté pour sa collaboration avec les filles de joie, puis compris et accepté.Outre l’histoire de Goorgi et de ses multiples tumultes, ce roman est une photographie de Kita dont la beauté réside dans le paysage séduisant et changeant selon les saisons. Le narrateur y présente les Kitankés et les villageois des alentours dans leurs états naturels et traditionnels. Il dresse minutieusement des portraits physique et moral à l’allure d’un réaliste. Egalement, nous relevons une exposition quasi-exacte des pratiques et valeurs identitaires de cette circonscription du Mali tels la danse, les compétitions saisonnières, le fétichisme, etc. Le texte dévoile du coup quelques aspects fondamentaux inébranlables de la société africaine dont la solidarité, la justice, le respect de la hiérarchie, la vie en communauté, la tolérance, l’amitié, l’amour du prochain, tels qu’exprimés par la considération et la vie paisible entre chrétiens et musulmans de Kita. Du même élan, par la voix du narrateur, l’auteur prescrit et dénonce certaines tares et réalités de cette petite belle ville. Il s’agit entre autres de la prostitution, la tromperie, la curiosité, la calomnie, la conspiration, l’infidélité, la tricherie et la traîtrise qui y sont fréquentes. En plus d’être un roman d’apprentissage, cet écrit révèle quelques appréhensions que nous pouvons avoir de l’Étranger avant de l’aborder et d’entrer en contact avec lui. Cela est étayé par l’attitude de Bâ et d’autres Kitankés à l’adresse de Diôb (Diop) qui finit par être l’ami adoré de tous. Tout au long du récit, le comique et le sérieux se mêlent à travers des personnages extraordinaires au fil des quinze (15) épisodes qui le composent. c. Quand l’aïl se frotte à l’encens de Adame Bâ Konaré Deux mondes divergents sur tous les plans coexistent dans la ville de Bamako, capitale malienne, comme l’indique le titre de l’œuvre. L’aïl représente le clan des pauvres dont le souci majeur demeure la subsistance qui conjugue avec l’attente et l’espoir d’un lendemain plus profitable. Des logements conformes et une apparence physique convenable traduisent le revers des aspirations de Mariam et ses paires. Face à ce groupe de gueux habitant un milieu à la puanteur âcre et piquante, la grande bute d’Hamdalaye, se dresse un groupement d’individus qui se préoccupent de la somptuosité de l’environnement quotidien, du cadre de vie et de la parure plus que du pain quotidien. Cette haute société à la senteur inestimable réunit les nantis de la ville dont Fatim et sa bande. Ceux-ci se retiennent de tout contact avec les démunis à qui ils préfèrent servir de loin des résidus de leurs vivres et des parures hors d’usage. Cette situation statique, qui condamne les misérables à s’éterniser dans l’indigence et qui avantage les huppés à rester indéfiniment dans l’opulence, provoque la révolte des sansressources conduite par Dianguina, l’ordure qui a réussi. Les possédants de son sillage sont ses premières cibles qu’il atteint, puis il s’attaque au pouvoir qui l’anéantit finalement pour couper cours aux mouvements. L’histoire se passe entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. Au fait, Dianguina, ne pouvant plus supporter sa condition de vie et celle des siens, se détache des autres de sa classe pour aller continuer sa formation scolaire avec l’aide inconditionnelle du Père Balantin. Il se fixe comme objectif de pousser le plus loin que possible les études pour pouvoir faire évoluer la situation de sa famille et servir les siens en les enrôlant à la révolution contre les riches et le pouvoir qui consolide leur prestige. Il réussit à poursuivre les études jusqu’au niveau universitaire au terme desquelles il obtient une Maîtrise en Droit à l’Ecole Nationale d’Administration. Le jeune Diarra s’instruit sur les modèles de révolution et les meneurs et est séduit par la déstabilisation bolchévique dont les actions de l’instigateur collent parfaitement à ses intentions. C’est alors qu’il mobilise les Sans-culottes24 avec un discours qui ne les laisse pas indifférents à l’objet du soulèvement malgré la dissuasion de sa mère pour son projet. Le groupe loyal et uni derrière Dianguina réussit à déstabiliser la ville en s’emparant des biens des riches reconnus de tous, puis il se destine à faire mouvoir le pouvoir public en place et conclure ses démarches pour le changement et l’égalité des chances et abolir l’iniquité. Ils butent alors sur des gouvernants farouchement accrochés à leurs places qui ne veulent jamais laisser entrevoir aucune possibilité d’évolution du peuple. Cette lutte se solde par la mort du fils de Mariam, la dissolution temporaire du groupe. La mort de Dianguina profite à Mariam qui se voit aborder pour la première fois par des gens différents d’elle rien qu’en les voyant. Elle touche par la même occasion un bien de banque qui arbore le début de la satisfaction de sa patience et l’amélioration de ses conditions de vie. Avec l’antinomie dressée entre les miséreux et les aisés, Quand l’aïl se frotte à l’encens institue, à la fois, une réflexion sur l’Homme et sa société d’où l’Intersubjectivité se conditionne à la possession du matériel et une critique acerbe de la communauté humaine. L’auteur, par la voix de ses personnages, questionne toutes les classes sociales sur des qualités humaines plus spécialement la solidarité, l’honnêteté, le sens du vivre ensemble, etc. Aussi, décrie-t-elle des tares humaines, dont la prostitution, la trahison, l’égoïsme, la calomnie, la manipulation, la magouille, devenues le quotidien et le gagne bifteck des hommes sans honte ni conscience. L’attachement des actants aux biens matériels et la recherche du bonheur instantané invectivent l’absurdité des entreprises perverses humaines. Les biens matériels et le luxe de Fatim l’encombre jusqu’à ce qu’elle débarrasse quotidiennement sa garde robe. Elle dissuade l’Homme de la prétention démesurée du changement qui s’acquiert avec des agissements méthodiques bien réfléchis. En effet, Adame Bâ Konaré nous expose, avec cette œuvre critique et éducative, un miroir et un tableau de la vie bamakoise qui réverbèrent exactement toutes les conduites humaines observables à l’époque où se situe l’histoire racontée. Par ailleurs, Quand l’aïl se frotte à l’encens représente un roman historique qui permet au lecteur d’accéder aux moindres détails des réalités d’une époque qui n’est pas forcement la sienne. Pareillement, cet écrit guide à la rétrospection et au repérage de ceux qui ont vécu à la période choisie et qui se sentent incarnés par tel ou tel personnage en action. Roman incitatif et révolutionnaire, également, puisqu’il fait comprendre à l’Homme moderne que, quelle que soit sa condition d’existence, il a son destin entre ses propres mains. Il lui revient de chercher à évoluer et être productif ou de stagner dans la même situation et demeurer oisif dans la fatalité. Le soulèvement enclenché par le personnage principal, Dianguina, intime que la mobilisation peut installer l’égalité des chances, le partage équitable des biens et du pouvoir et la prise en compté des préoccupations du bas-peuple. Seule la quête agressive de la justice sociale par les opprimés du pays a conduit à une tentative d’écoute et de considération de ceux-ci par les hommes au pouvoir. L’écrivaine insère dans le texte la crainte des autorités dirigeantes face au courroux et à la force montante des Indigents. Elles essaient de faire 25 taire à tout prix les révoltés d’où la sollicitation des services du féticheur, Moriba, de Senou25 nécessaires pour l’arrêt des agitations et le sauvetage des gouvernants. A cet effet, l’auteure réitère le statut du détenteur du pouvoir magique. Ainsi, l’encens dépollue l’air que l’aïl avait rendu irrespirable, d’où la fonction désignative26 du titre qui connote la guerre entre les dirigeants et les Sans-culottes que les premiers remportent. Outre cela, à partir de l’intervention efficace de Moriba, notre romancière revient sur l’impossible dissociation de l’Africain et des sciences occultes, l’attachement du Noir aux pratiques et croyances traditionnelles ancestrales quels que soient son niveau d’évolution intellectuelle et son intégration au monde moderne. Dianguina en use, en complément à l’usurpation d’identité, pour ses projets machiavéliques contre l’innocente Safi Séméga qui reste sous son emprise jusqu’à l’acte ultime. Alors, l’œuvre dénote le syncrétisme éternel de l’Africain qu’il manifeste aux dépens des situations.
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