La fièvre de la vallée du Rift
Historique
A partir des années 1910, une maladie mortelle affectant les agneaux et causant des fièvres ainsi que des avortements chez les brebis gestantes a été rapportée dans des fermes situées dans la vallée du Rift au Kenya (Murithi et al., 2011). C’est en 1930, lors de l’investigation d’une épidémie similaire que l’équipe de R. Daubney et J.R. Hudson a identifié l’agent responsable de cette maladie (R. Daubney and J.R. Hudson, 1930). A cette période, d’autres maladies virales affectant les ovins ont été identifiées telles que la maladie du mouton de Nairobi (Nairobi sheep disease virus) et le virus de la fièvre catarrhale ovine (Bluetongue virus). Cependant les symptômes observés chez les moutons malades étaient différents de ceux causés par ces virus déjà connus. Afin d’établir une relation causale entre la maladie et l’agent pathogène, R. Daubney et J.R. Hudson ont injecté du sang prélevé dans des moutons malades à des moutons sains. Après l’inoculation, les moutons ont développé des symptômes identiques à ceux observés chez des moutons naturellement infectés. Ce pathogène extrait par filtration présente une taille inférieure à celui du virus de la fièvre aphteuse (Foot-and-moothdisease). C’est ainsi que l’agent étiologique responsable de fièvre chez les moutons adultes, d’avortement de femelles gestantes et d‘une mortalité élevée chez les agneaux a été identifié et a été nommé « virus de la fièvre de la vallée du Rift ».
La transmission
Les hôtes naturels
Le vFVR affecte principalement le bétail (bovins, ovins, caprins, camélidés) et les ruminants sauvages (impalas, gazelles, gnous) en Afrique (Pepin et al., 2010). Parmi les ruminants domestiques, les ovins sont les plus susceptibles au virus et les critères déterminant cette susceptibilité restent inconnus. Le rôle des rongeurs sauvages en tant qu’hôte n’a pas été confirmé à ce jour mais ils pourraient contribuer à la circulation du pathogène dans l’environnement (Olive et al., 2012; Rostal et al., 2017). L’Homme peut également être A. La fièvre de la vallée du Rift 14 infecté par le virus et représente l’hôte terminal (ou accidentel), c’est-à-dire qu’il ne participe pas au maintien du virus.
Les réservoirs
Par définition, un réservoir au sens épidémiologique est un être vivant qui assure la survie d’un agent pathogène et sa transmission à un autre organisme (adaptée du dictionnaire Larousse). Le rôle des moustiques dans la transmission de la maladie a été mis en évidence par l’équipe de Smithburn en 1948 dans la souris et le primate non humain (Smithburn et al., 1948). Bien que ce virus puisse infecter plusieurs arthropodes (tiques, mouches, phlébotomes), les moustiques sont les principaux réservoirs actifs du virus (Lumley et al., 2017). En effet, la compétence vectorielle est liée à la capacité du virus à surmonter plusieurs barrières anatomiques pour se répliquer, se maintenir dans le moustique et être ensuite transmis dans l’hôte (Figure 1). Classiquement, les virus transmissibles par les moustiques se répliquent dans les cellules épithéliales intestinales du moustique suite à la prise alimentaire (« midgut infection barrier »), se disséminent dans l’organisme (« midgut escape barrier »), atteignent les glandes salivaires (« salivary gland infection barrier ») et pour certains virus les ovaires. Les virus sont ensuite transmis dans l’hôte par piqûre (« salivary gland escape barrier ») (Franz et al. 2015). Les espèces compétentes pour véhiculer le vFVR appartiennent principalement à la famille des Culicinae, des genres Aedes et Culex. Alors que les moustiques Aedes sont impliqués dans le maintien du virus dans l’environnement par la transmission trans-ovarienne du pathogène, les moustiques Culex semblent jouer un rôle plus important dans le déclenchement d’une épidémie (Lumley et al., 2017). Figure 1 : Cycle d’infection d’un arbovirus chez le moustique Après son entrée durant la prise alimentaire, le virus (représenté par un cercle bleu) doit se répliquer dans les cellules l’épithélium intestinal de l’hémocèle ou l’estomac (1); traverser l’épithélium intestinal (2) et se propager dans l’organisme; migrer vers les glandes salivaires (3) ou vers les ovaires (4) et s’y répliquer; infecter l’hôte lors d’une piqûre (5). Adaptée Lumley et al., Journal of General Virology 2017;98:875–887. 15 c) Cycles de transmission i. Cycle enzootique Les moustiques femelles du genre Aedes infectés sont associés à la persistance du virus dans l’environnement durant les périodes enzootiques. Ils peuvent transmettre le virus à leurs descendants par transmission trans-ovarienne (Lumley et al., 2017). Les œufs potentiellement infectés sont capables de résister à la dessiccation et de rester à l’état quiescent pendant de longues périodes. A la survenue des pluies, les œufs éclosent et les moustiques adultes infectés par le vFVR infectent les ruminants sauvages et/ou domestiques par piqûre créant ainsi des foyers d’infection locaux (Figure 2). ii. Cycle épidémique Lors des périodes d’inondations qui sont propices à l’éclosion des œufs infectés, un grand nombre de moustiques Aedes infectés par le vFVR initie alors la dissémination du virus par piqûre chez les ruminants sauvages et le bétail. Ces derniers sont à leur tour des hôtes pour d’autres moustiques compétents, notamment du genre Culex déclenchant ainsi des épidémies. Chez les ruminants, l’infection a également lieu par contact du sang, des fœtus avortés et des tissus (membranes placentaires) provenant d’animaux infectés (Pepin et al., 2010). Une transmission verticale du pathogène a lieu chez les femelles gestantes (Antonis et al., 2013; Makoschey et al., 2016). L’infection chez l’Homme s’effectue principalement par contact directe lors de la manipulation d’animaux ou de carcasses infectées. La consommation d’aliments provenant d’animaux infectés tels que le lait non pasteurisé est également un autre mode d’infection (Sissoko et al., 2009). Les infections par piqûres de moustiques sont possibles bien qu’elles soient difficiles à mettre en évidence. Aucune transmission horizontale (interhumaine) et verticale du virus chez l’Homme n’a été confirmée à ce jour 3.
La pathologie chez les hôtes naturels
Les Hommes
Après une infection par le vFVR, l’Homme peut développer des symptômes de sévérités différentes (Ikegami and Makino, 2011). Dans la grande majorité des cas, des formes bénignes avec rémission sont observées tandis que seulement 1 à 2% des patients infectés vont développer des formes graves (Nguku et al., 2010). Figure 2: Les cycles de transmissions du virus de la fièvre de la vallée du Rift Lors des périodes de précipitations normales, le virus se maintiendrait dans l’environnement par transmission verticale chez les moustiques du genre Aedes, créant ainsi des foyers d’infection locaux (cycle enzootique, gauche). Le passage d’une enzootie à une épidémie (cycle épidémique, droite) est fortement associé à des périodes de fortes précipitations qui sont favorables au développement de nombreux moustiques compétents des genres Aedes et Culex. Adaptée d’après, Linthicum et al., Annu. Rev. Entomol. 2016. 61:395–415. 17 – Les formes bénignes: La plupart des patients atteints de FVR développent un syndrome pseudo-grippal et la maladie est spontanément résolutive. Une période d’incubation variant de 4 à 6 jours est généralement observée. Les symptômes débutent avec des frissons, des vertiges, de l’asthénie, des maux de tête sévères et des nausées. Très rapidement les patients sont en hyperthermie et peuvent contracter des myalgies, des vomissements et des diarrhées. Dans certains cas, des complications ont été observées avec une récurrence des fièvres pouvant durer 10 jours puis les patients entrent en phase de convalescence. -Les formes graves: L’infection par le vFVR peut conduire à des infections oculaires avec une baisse de l’acuité visuelle qui peut perdurer plusieurs mois après la rémission. Dans de nombreux cas cette cécité partielle est définitive. Des méningo-encéphalites avec des troubles neurologiques persistant pendant plusieurs mois ont été observés chez des patients infectés par le vFVR. Après une période de rémission (de l’ordre de semaines en mois) des fièvres, des céphalées, une perte de la vision, des difficultés dans les mouvements apparaissent et persistent pendant plusieurs semaines. Une infiltration de leucocytes dans le liquide céphalo-rachidien a été observée chez ces patients et témoigne d’une infection des méninges. Des cas avec syndrome hémorragique ont été observés avec un taux de létalité élevé. Le début de l’infection se caractérise par de la fièvre, des ecchymoses, des vomissements, un ictère, des douleurs abdominales, des diarrhées avec une atteinte hépatique mise en évidence par l’élévation des transaminases dans le sang (alanine aminotransférase, aspartate aminotransférase et lactate déshydrogénase). Un cas rare de thrombose fatale a été observé chez un patient infecté par le vFVR. Après une période de rémission, le patient a contracté des embolies pulmonaires à répétition et qui auraient entrainé le décès du patient. Enfin, une étude a mis en évidence un nombre élevé de cas d’avortements chez des patientes soudanaises infectées par le vFVR (Baudin et al., 2016). Il reste cependant très difficile de confirmer le rôle du vFVR dans des avortements par transmission verticale chez les femmes infectées.
Les ruminants
Chez les moutons, les hôtes les plus susceptibles au vFVR, les symptômes révélateurs d’une infection par le vFVR sont caractérisés par des fièvres, une perte d’appétit, des avortements massifs (ou « abortion storm ») estimés à 40% au sein d’un cheptel (Barnard and Botha, 1977) et une létalité élevée proche de 100% chez les nouveau-nés (Ikegami and Makino, 2011). Les infections expérimentales ont permis de mieux comprendre la pathogénicité et ont montré des résultats similaires entre une infection naturelle et expérimentale. Des létalités de 20% et >90% ont été observées suite à une infection expérimentale par le vFVR, chez des moutons adultes et nouveau-nés respectivement (R. Daubney and J.R. Hudson, 1930). Des fièvres pouvant atteindre 42°C apparaissent entre 2 à 3 jours post-infection, avec une perte d’appétit, des diarrhées, des écoulements nasaux, des conjonctivites et des prostrations ont été observés chez des jeunes adultes (Busquets et al., 2010; Tomori and Schmitz, 1996). Des œdèmes pulmonaires, des nécroses hépatiques et des lésions cérébrales ont été observés chez des moutons expérimentalement infectés après analyses post mortem (Ikegami and Makino, 2011). Le vFVR est capable de traverser la barrière placentaire et d’induire une nécrose des cotylédons et des villosités choriales causant des avortements (Antonis et al., 2013; Baskerville et al., 1992). L’infection entraine soit la mortalité du fœtus, soit des malformations du nouveau-né (Makoschey et al., 2016). Les chèvres sont également des hôtes du virus et développent des symptômes similaires à ceux observés chez les moutons infectés (fièvre, avortement, léthargie, mortalité chez les nouveau-nés) (Bird and Ksiazek, 2009). Un pic de fièvre a été mesuré à 2 jours après une infection expérimentale sur des chèvres de 4 mois par une souche sauvage ZH501 du vFVR (Nfon et al., 2012). Les bovins infectés présentent des symptômes similaires (fièvre, avortement chez les femelles, léthargie, mortalité chez les nouveau-nés) mais sont moins susceptibles que les moutons (Bird and Ksiazek, 2009). La létalité est estimée entre 5% à 10% chez les adultes infectés par le vFVR alors qu’elle varie de 10 à 70% chez les nouveau-nés. Des analyses postmortem de veaux ou vaches infectés lors d’une épidémie survenue en Afrique du Sud entre 1974 et 1975 ont montré des atteintes hépatiques (nécroses des cellules hépatiques) (Coetzer, 1982).