Représentations mentales et sociales
Pour Lev Vygotski (1934), il existe deux types de concept, unités premières de la pensée et de la connaissance. Le premier dit « spontané » dépend de nos expériences. Ce sont des représentations non conscientes et non organisées. Le deuxième dit « scientifique » correspond à une assimilation de connaissances dans un domaine disciplinaire. Ces représentations sont donc conscientes et structurées les unes par rapport aux autres. Lev Vygotski explique encore que c’est à l’école que les enfants sont confrontés aux concepts scientifiques et construisent alors de nouvelles représentations du monde, plus complexes et complètes, sur la base de leurs concepts spontanés. La socialisation des élèves serait donc à la base de la genèse de leurs représentations genrées et de leurs stéréotypes, qu’elle provienne de leur environnement familial ou scolaire par la suite. Danver (1994) définit lui les représentations comme étant une sorte d’image mentale des choses du monde. Y sont intégrées nos connaissances, nos valeurs, nos attitudes, nos opinions, nos attentes, etc.
C’est une forme de structuration de notre réalité, de notre environnement, que l’on construit grâce à notre mémoire, notre intelligence, nos perceptions et notre affectivité. En accord avec Vygotski, les représentations évoluent et ne restent pas figées. Au contraire, elles sont modifiables au fil du temps lorsqu’elles sont confrontées à une représentation différente du même objet. Danver parle alors de conflit cognitif lorsque notre représentation initiale ne correspond pas à ce qui se passe réellement, lorsque nous devons aller au-delà de nos connaissances jusque-là intégrées. L’ouvrage des grandes notions de pédagogie (Chaduc, de Macquenem & Larrald, 2001) va plus loin dans la définition de ce concept car il fait référence aux représentations sociales. Ces représentations permettent de catégoriser le monde, les gens et les phénomènes qui nous entourent. Elles sont en grande partie construites sur des aspects irrationnels et subjectifs (affectivité, perceptions, etc.) et notamment aussi sur les contraintes que nous impose la société. Cette catégorisation nous permet de mieux appréhender notre environnement et de mieux nous y adapter.
Ces auteurs annoncent que les représentations peuvent être abordées à l’école car, là aussi, elles évoluent beaucoup « en fonction de l’âge, de l’expérience, de l’éducation et de l’instruction reçues, mais on peut se demander dans quelle mesure l’école peut les faire évoluer et les transformer. Dans quelle mesure une personne peut-elle se libérer ! des représentations de son époque ? » (Chaduc, de Macquenem & Larrald, 2001, p.277). Toutefois, les connaissances des élèves sont « souvent fausses et incomplètes » (Chaduc, de Macquenem & Larrald, 2001, p.239) et il s’agit donc pour l’enseignant de les faire évoluer. Les connaissances fausses et incomplètes de ces auteurs peuvent correspondre aux concepts spontanés de Vygotski puisque lui aussi mentionne le fait que c’est à l’école, avec l’aide d’adultes, que les élèves transforment ces derniers – qui sont personnels à chacun – en concepts scientifiques. Yves Reuter avance que les représentations d’un sujet sont un système de connaissances que ce dernier construit et auquel il peut se référer en tout temps.
En effet, « chacun cherche à expliquer le monde qui l’entoure en élaborant des idées et des raisonnements à partir de ce qu’il sait ou de ce qu’il croit savoir » (Reuter, 2012, p.195). Ces connaissances dépendent donc fortement du contexte dans lequel elles ont été produites et « peuvent se révéler plus ou moins pertinentes au regard des connaissances reconnues dans les sphères « savantes » ou scolaires » (Reuter, 2012, p.195). Tous les auteurs sont donc d’accord sur le fait que nos représentations s’élaborent en fonction de nos propres expériences et de notre vécu, en interaction avec le monde qui nous entoure, et qu’elles peuvent évoluer au fil du temps. Nous pouvons alors comparer ces représentations mentales aux représentations sociales. Ces dernières sont, en plus de ce qui a été défini auparavant, communes à un grand nombre, elles sont une réalité partagée et sont culturellement déterminées.
Ces représentations sont présentes autant dans le fonctionnement d’un individu que dans celui d’un groupe. Comme nous l’avons énoncé auparavant à propos des représentations et comme le stipule Mannoni (1998), lorsqu’il s’agit de représentations sociales, la logique, la théorie et le scientifique sont mis de côté et c’est l’affectivité qui prend le dessus. Il y a donc un côté irrationnel aux représentations, qu’elles soient sociales ou mentales, et il n’y a nul besoin qu’elles soient exactes ou conformes. « Elles n’ont pas besoin de preuves pour être, éventuellement elles tirent les preuves d’elles-mêmes, et, sans se préoccuper d’être elles mêmes prouvées, elles s’offrent à prouver les choses en dehors d’elles » (Mannoni, 1998, p.7). À la différence des représentations mentales, la représentation sociale a acquis, au cours de son évolution, une valeur socialisée, donc partagée par un ensemble de personnes, mais également une fonction socialisante, c’est-à-dire qu’elle est constituante d’un groupe et de sa pensée à un moment donné de son histoire.
Selon Moscovici (1976), il y a deux processus liés aux représentations sociales : l’objectivation et l’ancrage. Le premier désigne le fait de rendre concret quelque chose qui est abstrait, et le second est le fait de s’approprier un nouvel objet et de l’intégrer à notre cadre de référence, même si, au départ, il n’est pas compatible avec ce même cadre de référence. Ces deux processus sont surtout utilisés lors d’une confrontation avec quelque chose d’inhabituel et d’étrange. Ils permettent à un individu d’appréhender la nouveauté et voir même de la faire sienne. Mannoni (1998) établit une hiérarchisation des représentations. En premier lieu, il place les représentations mentales sur lesquelles se basent les représentations sociales. Puis, en dernière position, il met les stéréotypes car les représentations sociales sont constitutives de ceux-ci.
Comparaison des résultats du pré-test et du post-test de la classe de 3P Premièrement, il est important de noter que 37% des réponses totales des élèves sont en faveur de la mixité. On peut alors constater une augmentation de 8% par rapport au test pratiqué en août. Cela ne paraît pas être un grand changement, mais ces 37% représentent maintenant le pourcentage le plus élevé car seulement 32% et 27% des réponses sont en faveur réciproquement des hommes et des femmes. La tendance s’est inversée car lors du prétest, les élèves attribuaient plus de réponses aux hommes (39%), puis aux femmes (31%) et finalement à la mixité (29%). Il apparaît donc que les élèves comprendraient le monde du travail comme étant plus ouvert aux deux sexes qu’auparavant. Il est également bon de commenter l’évolution des représentations des métiers chez les élèves. Grâce aux résultats de nos tests, nous pouvons constater que le pourcentage de réponses associées à la masculinité ou à la féminité des métiers diminue entre le premier et le second test (de 35% à 25% pour les métiers dits « masculins » et de 25% à 15% pour les métiers dits « féminins »).
Au contraire, le pourcentage de métiers liés à la mixité augmente (de 5% à 20%), ce qui peut indiquer une prise de conscience de la part des élèves. En effet, nous pouvons penser qu’ils ne voient plus un métier comme étant uniquement réservé aux hommes ou aux femmes, mais bien qu’un travail peut être attribué à une femme et à un homme. De ce fait, le métier de pompier peut être exercé par un homme et par une femme. Malgré ces résultats, c’est seulement dans les métiers apparentés aux hommes que nous constatons encore les scores les plus élevés. Concernant les professions dites « d’homme », trois métiers ont disparu au mois de novembre (architecte, cuisinier, informaticien). Moins de métiers sont donc apparentés à la masculinité qu’auparavant mais certains étaient et restent encore des métiers d’hommes pour les élèves (peintre, paysan, pompier, patrouilleur scolaire). Notons que ce sont des métiers souvent très exigeants au niveau des responsabilités, qu’ils sont physiques et qu’ils s’exercent tous les quatre en extérieur. Les élèves ne les considèrent pas du tout comme étant associés aux femmes. Nous remarquons la même tendance pour les métiers qui sont associés aux femmes, deux métiers disparaissent au mois de novembre (couturière, caissière). Il y a tout de même des métiers qui sont pensés, lors des deux tests, comme étant majoritairement réservés aux femmes (fleuriste, maîtresse d’école, femme de ménage). Pour ces métiers-ci, nous constatons qu’ils se pratiquent plutôt en intérieur et qu’ils ne sont pas du tout envisagés pour les hommes par les élèves.
Remarques par rapport aux résultats et observations de la classe de 5P (pré-test) Nous pouvons, tout d’abord, constater que le monde du travail est majoritairement associé aux hommes puisque 45% des métiers proposés ont été fortement reliés à ces derniers (35% pour les femmes et 5% pour les métiers mixtes). Il existe des métiers fortement liés aux hommes (paysan, pompier, patrouilleur scolaire, architecte) et aux femmes (couturière, fleuriste, infirmière, femme de ménage). En ce qui concerne les métiers dits d’homme, nous remarquons qu’ils sont surtout en lien avec l’extérieur tandis que les métiers dits de femme s’exercent dans un espace fermé. Ensuite, il est à noter que les élèves ont très peu opté pour la mixité des métiers. C’est-à-dire que cette classe a rarement choisi l’option « les deux » mais s’est plutôt attelée à lier un métier à une femme ou à un homme. En effet, 420 réponses ont été récoltées en tout pour ce pré-test et seules 76 sont associées à l’option mixte. Par ailleurs, un score élevé ou très élevé est relevable chez les deux sexes pour une grande majorité de métiers tandis qu’aucun n’est percevable pour les professions mixtes. Nous pouvons donc tirer la conclusion que les élèves considèrent, de manière générale, qu’un métier est soit un « métier d’homme » soit un « métier de femme » mais qu’il est rarement fait pour les deux à la fois. Finalement, tous les métiers majoritairement associés à un homme ou à une femme se retrouvent dans les métiers peu apparentés à la mixité sauf cinq (politicien-ne, docteur-oresse, informaticien-ne, maître-sse, caissier-ère). Ces derniers n’obtiennent d’ailleurs pas de score élevé ou très élevé chez l’un ou l’autre des deux sexes. Néanmoins, il est intéressant de remarquer qu’ils font partie des métiers à avoir eu le score le plus haut pour les métiers mixtes. Il serait donc possible d’en conclure que la représentation de ces métiers n’est pas encore clairement définie dans cette classe et qu’elle est en train d’évoluer.
1. Introduction |