LA « FAISABILITÉ » D’UN DROIT COMMUN

LA « FAISABILITÉ » D’UN DROIT COMMUN

L’idée d’un droit commun du contrat est aujourd’hui particulièrement présente dans l’esprit des juristes européens. Tel n’a pas toujours été le cas. Cette évolution est en grande partie le fait de la doctrine, et en particulier à l’action d’un groupe de spécialistes ayant élaboré les principes européens du droit du contrat. Le postulat qui a servi de point de départ à l’élaboration de ce texte n’est pas très éloigné de l’essence du jus commune romain. Celui-ci reposait sur l’idée que les règles de droit forment un corpus et que « seule l’insertion d’une règle dans la totalité ainsi constituée lui confère une valeur opératoire, apte à en autoriser l’interprétation et la mise en œuvre » 65. Les rédacteurs des Principes ont compris toute la nécessité « d’une infrastructure communautaire au droit du contrat pour servir de fondement aux règles communautaires qui gouvernent des espèces spécifiques de contrat, en augmentation constante » 66. Les Principes ont été rédigés par un groupe d’experts animé par Olé Lando, composé principalement de professeurs d’université, bénévoles et indépendants, tous spécialisés en droit civil et provenant de tous les pays européens. C’est ainsi que lors de l’étude des Principes l’on ressent fortement l’inspiration des différents droits des Etats membres des Communautés européennes, sans pour autant que l’on puisse affirmer que l’un d’entre-eux a été le point de départ unique du texte. Le texte a été présenté comme ayant vocation à remplacer les différents droits nationaux en matière contractuelle. Cet ensemble de principes, par ses origines et son contenu, se rapproche de ce que pourrait être le droit commun du contrat au plan communautaire, on a même pu affirmer qu’ils sont « adossés au droit communautaire » 67. Il convient donc d’examiner l’adoption des principes européens de droit du contrat (Section 1), même si leur source exclusivement doctrinale en fait un texte à valeur seulement exemplaire (Section 2).

L’ADOPTION DES PRINCIPES EUROPÉENS DU DROIT DU CONTRAT 

L’étude des origines des principes (§1) ainsi que celle de son objet (§2) font ressortir qu’il s’agit réellement de constituer un droit commun du contrat applicable à l’Union européenne ce qui leur donne un écho certain auprès des juristes européens. Mais ce qui atteste que, malgré des difficultés réelles tenant tant à la diversité des droits nationaux qu’à la dualité des idéaux, l’élaboration d’un tel corps de règles est envisageable, c’est aussi le contenu matériel de ces principes européens du droit du contrat (§3)

LES ORIGINES DES PRINCIPES

Les principes Lando ont un modèle initial, jus commune romain (I), et plusieurs modèles contemporains (II) constitués de plusieurs projets d’unification du droit privé. I – Le modèle initial : le jus commune romain 24. L’Empire romain est l’ancêtre commun de tous les Etats européens. Un droit commun, le jus commune s’est développé dans cet « Etat pluriethnique qui a duré plusieurs siècles en conciliant diversité et universalité » 68. En cela, le droit romain constitue, sans nul doute, le modèle ancestral des principes, non pas pour le contenu matériel des règles existantes en matière contractuelle mais pour la méthode employée. Certes, beaucoup de concepts utilisés en droit des contrats dans les différents Etats membres peuvent revendiquer une origine romaine. C’est le cas évidemment du terme de contrat dont toutes les traductions européennes trahissent l’influence romaine. Les exemples, qui pourraient être répétés à l’infini, ne serviraient pas à identifier correctement l’apport du droit romain aux principes du droit européen du contrat ; en effet cet apport est d’ordre méthodologique plus que terminologique. Les romains ont, dès l’origine, choisi la voie du pluralisme et ce, notamment en matière juridique. Ce choix constitue sans doute la raison principale de la longévité de L’empire qu’ils ont édifié. Le pluralisme romain se manifestait dans tous les domaines : géographique d’abord, mais aussi ethnique, religieux et culturel. Rome, contrairement à l’image véhiculée, ne fut pas impérialiste : chaque peuple a pu conserver ses dieux, sa langue et ses droits locaux. Ainsi le système des poids et mesures n’était pas identique d’une région à l’autre. Les langues telles que le punique, le berbère, l’ibère, le syriaque, l’hébreu, coexistaient malgré un bilinguisme officiel 69. Mieux encore, à côté de la monnaie officielle frappée dans les ateliers de Rome, circulaient des monnaies provinciales, dont l’équivalence était réglementée. 25. Avant l’Edit de 212, on distingue les habitants qui ont reçu la citoyenneté romaine et les autres, les pérégrins, soumis aux droits locaux. A cette époque le droit local est applicable dans toutes les affaires privées. Mais il existe une sorte d’ordre public romain, applicable à tous, ainsi qu’un ensemble de textes d’origine provinciale servant à régir la circulation des personnes, la vie collective. Il y avait donc superposition entre les droits locaux, considérés comme des règles juridiques n’ayant pas valeur législative 70, et la législation romaine obligatoire. Cicéron 71 résume bien cette dualité : selon lui il existait pour chaque nouveau citoyen deux patries ; l’une de droit, la citoyenneté romaine, l’autre de nature qui exprimait la diversité de l’empire. L’édit de Caracalla, en 212, attribue la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l’Empire, pour des raisons politiques, sociales et surtout fiscales. Cela n’a pas entraîné l’unification des droits, chacun est resté soumis à ses obligations antérieures ; d’autres, s’y sont simplement ajoutées. La citoyenneté locale définissait encore l’origine des sujets en même temps que son statut juridique. La « citoyenneté », dissociable par essence de l’origine ethnique, géographique, linguistique, a permis de faire l’unité entre ces hommes d’origines, de cultures différentes. 26. Le droit romain qui s’appliquait à tous les citoyens romains sans être imposé aux nouveaux sujets, peut donc être désigné comme un ordre juridique qui s’est superposé, sans les détruire, aux diverses histoires de chacun. C’était une façon de situer la « romanité » du côté de l’abstraction, de celui de la forme, le jus commune exprimant des valeurs de civilisation. Ainsi ont coexisté pendant près de trois siècles, le droit grec, le droit juif ainsi que différents droits locaux dont on a oublié le nom, et ce pluralisme juridique ne semble pas avoir rencontré de problème insurmontable. C’est ce qui a permis aux spécialistes de déclarer que l’empire romain a « trouvé ailleurs que dans l’uniformisation le ferment de son unité » 72. Notons, quand même, que les distances étant immenses et les populations d’une extrême diversité, le pluralisme romain était une vraie nécessité, d’autant que l’administration romaine était, de l’avis des spécialistes, d’une relative faiblesse quantitative.

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