La douleur du dévoilement

Dans le système digestif, il se produit une impulsion viscérale. Elle remonte jusqu’au cœur, le lieu où elle prend véritablement forme pour se transformer en émotion et en envie. Poussée par le souffle des poumons, elle atterrit finalement dans le cerveau et se change en idée.

Voici comment mon corps fonctionne, et la manière dont mon mémoire va être organisé. Mon langage artistique a pris une forme particulière, avec la naissance du  »losange émotionnel », un blason personnel au contour rouge. Ce losange, révélateur de ma vie intérieure, est un condensé de quatre points du corps humain qui font vibrer ma façon de travailler, des parties symboliques dans lesquelles mes émotions passent et se cristallisent. Il crée un dialogue entre les entités de mon corps et les idées qui m’animent, et relie par la même occasion des thèmes et des paradoxes : le formel et l’imaginaire du cerveau, l’intime et l’émotion du cœur, les relations et l’angoisse des poumons ainsi que l’impulsivité et la société dans le système digestif.

Cette organisation est là pour structurer ma pensée, accompagner chaque émotion impalpable vers un concept plus précis, la nommer, la ranger, et la symboliser. Ne sachant pas quelle forme choisir pour m’exprimer dans ma pratique, j’ai fini par adopter le concept d’installaCtion. Il peut allier autant de médiums que possible, fusionnant installation et acte performatif. Je peux alors utiliser le dessin, l’écriture et toute autre forme de création qui m’inspire selon le lieu où l’histoire que je raconte, pour créer un univers qui appuie ma présence.

Le cerveau est supposément le maître du losange. Les idées formelles partent de lui: c’est ici que se développe l’imaginaire. Paradoxalement, il est aussi mon attache à la réalité et doit me réguler de façon rationnelle et réfléchie. Il a pour habitude d’emmagasiner des informations jusqu’à saturation, puis de fonctionner de façon autonome en trouvant des réponses à des moments parfois impromptus. Il représente la mémoire et sert à se souvenir du passé, ce qui fait de lui mon outil principal, le moteur de ma pratique. Dans mon quotidien, il peut aussi devenir mon pire ennemi : lorsqu’il est sous pression, il contrôle mon corps et mes organes contre ma volonté par un processus de somatisation. Il me donne l’impression de ne plus pouvoir me maîtriser alors que c’est de lui que se diffusent toutes mes angoisses. Il est capable de me rendre hypocondriaque, folle ou monstrueuse. Sa rationalité a une mauvaise tolérance à ma colère fulgurante et à mon anxiété chronique.

Comme pour la plupart des personnes de mon milieu, l’art a occupé une place très tôt dans ma vie. J’ai appris la musique et le dessin durant mon enfance, entourée d’un père musicien, dessinateur et écrivain ayant raté sa vocation et d’une mère anciennement passionnée d’art et pianiste à ses heures perdues. C’est donc naturellement que mon intérêt pour l’art a grandi et que j’ai décidé d’en faire une recherche, une profession. En fait, pas tout à fait naturellement : l’art m’a sauvée et c’est ce qui a fait pencher la balance pour mon choix de carrière. Il a été mon seul moyen d’expression au travers d’une longue et profonde dépression ponctuée d’histoires trop compliquées pour que je puisse les assumer durant mon adolescence. Avec cette traversée, j’ai longtemps abordé la création comme une thérapie personnelle, un appui au quotidien, le moyen le plus aisé pour moi de communiquer. Malheureusement, j’ai souvent pris la fuite dans la panique de me retrouver ainsi à nu devant les autres, et durant mon baccalauréat en France, l’auto sabotage a été pour la plupart du temps mon issue. Mon dernier projet là-bas a été un gros échec esthétique mais une révélation personnelle et théorique : le losange émotionnel était né. J’avais créé mon langage, un blason aux contours rouges, et il reliait cerveau, cœur, poumons et système digestif, ces quatre parties de mon corps qui ne demandaient qu’à irradier mes productions. Comme vous avez pu le constater, il est la structure de ce texte, et l’aire dans laquelle nous nous situons actuellement est le cerveau .

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Avant la notion d’introduire la notion d’inventaire de symboles que je nomme ‘’inventaire d’imaginaires’’ je voudrais aborder l’identité comme image de soi, plus particulièrement celle que l’on décide d’intégrer dans son travail artistique ; mon corps y est toujours présent, et c’est donc un point important à identifier. Plus haut, je traitais de Sophie Calle et de l’ambiguïté entre sa personnalité d’artiste et sa personnalité privée. D’après moi, la création de l’identité entre en lien profond avec le médium de l’installaCtion et l’utilisation du dessin d’illustration.

Plus que dans une simple performance, l’artiste emmène tout son univers avec lui. Je vais prendre comme exemple une artiste issue de la culture populaire, Kyary Pamyu Pamyu. De son vrai nom Kiriko Takemura, elle s’impose comme une représentante majeure japonaise de l’esthétique kawaii en débutant comme bloggeuse mode avant d’œuvrer dans le monde de la musique. Elle a rapidement acquis une notoriété qui lui a permis d’être connue à l’international et surnommée ‘’J Pop Princess’’ par les médias. Ce qui m’intéresse avant tout ici n’est pas son univers musical, mais ses personnages et ses clips vidéo. Elle et son équipe s’attellent à produire un univers au design particulier issu de la culture populaire japonaise, et animée par la présence de Kyary qui apparaît comme un personnage différent à chaque fois. Cet aspect est soutenu par l’esthétique générale de ses vidéos, mais aussi par la présence de ses danseurs ou des autres personnages qui y figurent : on ne voit jamais leur visage et ceux-ci sont souvent placés au rang d’objets parmi l’accumulation d’éléments visuels qui nous est apportée.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 LE COEUR
1.1 La restauration par la mémoire
1.2 Entre les deux
1.3 Inventaire d’imaginaire
CHAPITRE 2 LES POUMONS
2.1 Le choix des autres
2.2 Où est la douleur
2.3 Anxiété du corps
2.4 Partage
CHAPITRE 3 LE COEUR
3.1 Défaite de la testostérone
3.2 Au cœur de l’intimité
CHAPITRE 4 LE SYSTÈME DIGESTIF
4.1 Jugement et ouverture
4.2 Empathie et utopie
4.3 Installation
4.4 Résolution
CONCLUSION

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