La doctrine Monroe et la politique expansionniste
des États-Unis
LA DOCTRINE MONROE : GENÈSE ET DÉVELOPPEMENTS
Les fondements de la doctrine Monroe La doctrine Monroe est une résultante logique dřun expansionnisme américain né avant même lřindépendance de la nation et qui sřest développé après celle-ci. Dès lřarrivée des Pères Pèlerins aux Amériques, le désir dřexpansion des colons sřest manifesté à travers une occupation continue des terres libres de lřouest. Après lřindépendance du pays, cette tendance a pris une allure irréversible. Les Pères Fondateurs des États-Unis ont ensuite ancré cet esprit expansionniste dans la société américaine à travers des politiques clairement définies. Cřest dřabord le premier président Georges Washington qui va lancer la théorie de lřisolationnisme pour exprimer une démarcation par rapport aux civilisations occidentales. Cet isolationnisme fondé sur la promotion de lřextension territoriale rejoint lřidée de Thomas Jefferson et James Madison. Ces Pères Fondateurs ont très tôt compris que le développement du pays ne peut se faire dřabord quřà travers lřexploitation des terres étendues à perte de vue. Dès lřindépendance, les citoyens, caractérisés par leur attitude révolutionnaire, ont suscité lřinquiétude chez les gouvernants qui voyaient en eux une société potentiellement révolutionnaire. Cřest ainsi que les Pères Fondateurs ont encouragé et facilité lřoccupation des territoires contigus par les citoyens américains pour dissiper le danger latent. Le processus dřexpansion territoriale va sřaccentuer dřautant plus que celle-ci devient désormais nécessaire à la sécurité et à la stabilité de la nouvelle nation. Ainsi, lřachat du vaste territoire de la Louisiane par le gouvernement américain marque une étape importante de ce processus. La naissance de la Sainte Alliance ( dont les objectifs et ambitions menacent dangereusement les intérêts de lřAmérique sur lřensemble du nouveau continent que les autorités américaines perçoivent comme lřespace vital et essentiel à la réalisation du rêve américain ) a été le facteur essentiel qui a directement précipité la déclaration de Monroe.
La géographie et l’isolationnisme des Pères Fondateurs
La nature a voulu que le continent américain soit dans une position géographique qui lřisole de tous les autres continents et de toutes les puissances prédatrices. En effet, le continent américain, entouré dřocéans, loin de toute menace, bénéficie dřun atout tout à fait unique, car recélant, sur son propre sol, pratiquement toutes les ressources nécessaires à son développement41. Quant aux autres puissances européennes (Grande Bretagne, France et Allemagne) qui ne bénéficient pas de cet atout, elles ont fondamentalement besoin de conquérir dřautres territoires en outre-mer et dřétablir des empires pour leurs besoins insatiables. Cet enjeu dřacquérir des espaces vitaux42 se développe de plus en plus. Ainsi la Grande Bretagne est une île, de taille modeste, aux potentialités agricoles limitées, à la lisière du continent européen et de ses menaces: elle se trouve donc poussée à chercher sa sécurité, sa nourriture, sa richesse, sa puissance par et sur les océans. Ainsi, lřAllemagne est installée au cœur du continent européen, prise entre la France et le monde slave, et ne dispose que dřune façade étroite sur la mer. […] Les EtatsUnis sont une forteresse abritée des turbulences de la planète par deux océans (Atlantique et Pacifique) et étant ainsi en mesure de projeter sa force, sans risque dřêtre envahie.George Washington même exprime cette caractéristique exceptionnelle du Nouveau Monde. Selon lui, la nature a déjà tracé la destinée des Américains. Cette destinée suggère clairement que le Nouveau Monde est fondamentalement différent du Vieux Monde à tout point de vue. Le premier se trouve isolé à une vaste nature purificatrice, enrichissante, étendue à perte de vue, au moment où le Vieux Monde se caractérise par son étroitesse et son impureté, dřoù la nécessité de sřen méfier et de sřen isoler. Ainsi déclare-t-il dans son célèbre discours dřadieu: La règle de conduite que nous devons nous appliquer le plus à suivre à lřégard des nations étrangères est dřétendre nos relations de commerce avec elles, et de nřavoir que le moins de relations politiques quřil sera possible. Remplissons avec la bonne foi la plus scrupuleuse les engagements que nous aurons contractés ; mais arrêtons-nous là. LřEurope a des intérêts qui ne nous concernent aucunement, ou qui ne 41 Philippe Moreau Défarges, op. cit., p. 16 42 Théorie géopolitique de Friedrich Ratzel, géopoliticien nationaliste allemand qui soutient dès la fin du XIXe siècle la nécessité pour son pays dřacquérir «un espace vital» pour pouvoir exister. 43 Philippe Moreau Défarges, op. cit., p. 57. nous touchent que de très loin : il serait contraire à la sagesse de former des nœuds qui nous exposeraient aux inconvénients quřentraînent les révolutions de sa politique. Notre position éloignée nous invite à suivre un autre système ; si nous continuons à ne former quřun seul peuple et si nous sommes régis par un bon gouvernement, nous pourrons défier promptement tout ennemi extérieur à même de nous nuire dřune manière sensible. Quand nous aurons pris des mesures propres à faire respecter notre neutralité, les nations étrangères, connaissant lřimpossibilité de nous rien enlever, ne se hasarderont pas légèrement à nous provoquer, et nous pourrons choisir la guerre ou la paix, selon que lřordonnera notre intérêt dřaccord avec la justice. 44 En outre, lřAmérique, en tant que victime de lřimpérialisme de la couronne dřAngleterre, sřest engagée dans la lutte anti-impérialiste après son indépendance. Du coup, les Américains perçoivent lřEurope comme un monde souillé par un impérialisme extrême qui se caractérise par des interventions et occupations de territoires étrangers dans le seul but dřexploiter les ressources de ces derniers. Ce monde vieux, souillé et impérialiste est considéré comme un continent dont il faut complètement se départir et sřisoler pour éviter toute contamination. Ainsi, les Pères Fondateurs adoptent une nouvelle politique, propre au Nouveau Monde, appelée politique isolationniste ou de la neutralité. Une telle politique consiste à rompre toute relation, surtout politique, avec lřEurope et à sřabstenir de toute interférence dans les affaires européennes. Cette politique a prévalu en Amérique dès lřindépendance du Nouveau Monde au moment où le bien aimé Georges Washington était encore Président. En effet, George Washington reste lřun des fervents défenseurs de cette politique isolationniste. Cřest dřailleurs ce que Raymond Aron soutient, dans son ouvrage intitulé The Imperial Republic: The United States and the World 1945-1973, en faisant référence aux recommandations du président George Washington contenues en ces mots: ŖNot to become entangled in disputes between European States was sensible advice for a young republic, protected as it was by its distance and by the wars in Europe‖. On peut même affirmer que cette politique isolationniste de lřAmérique a, sans nul doute, ses origines chez George Washington. En effet, lors de son discours dřadieu du 19 septembre 1796, le premier président des États-Unis, George Washington, a attiré lřattention de ses compatriotes sur un fait. Ce discours particulièrement historique trace clairement les lignes de conduite de la nouvelle nation vis-à-vis de lřEurope. Il sřagit surtout de la nature des relations qui doivent lier son pays au vieux continent. En réalité, il appelle solennellement tous les Américains, en particulier les leaders politiques de la nouvelle nation, à sřisoler de lřEurope, leur «ennemi naturel »46. Dans son ouvrage Contours of American History, William Appleman rappelle cette position isolationniste du président Georges Washington: Georges Washington‘s farewell words to the nation, warning of the danger inherent in ―permanent alliances‖, became a key foreign policy guideline. It was logical, given the conditions. The nation kept its side of the Atlantic, moved its frontiers westward, and staked claims in more remote areas.
Le débat sur l’union et le conflit entre citoyens et État
Depuis 1776 (jusquřen 1781), les Pères Fondateurs se consacrent à un combat inlassable pour lřélaboration dřune ébauche constitutionnelle. Ainsi, en 1777, le congrès rédige un premier texte constitutionnel qui restera le fondement de la fédération des États issus des colonies nouvellement indépendantes. Certains États se dressent contre la décision de la convention pour lřadoption de la fédération des États. Maryland, par exemple, sřest farouchement opposé à lřidée de la fédération à cause du risque de déséquilibre gouvernemental.57 En effet, une spéculation foncière croissante sur la partie ouest du nouveau continent défavorisait les petits États enclavés. Ce fut un des premiers problèmes sécuritaires que lřAmérique a connus. Jacques Portes souligne, dans son ouvrage, Les États-Unis de l‘Indépendance à la Première Guerre mondiale, que ces problèmes sécuritaires résultent de la spéculation surtout foncière que les dirigeants politiques de lřépoque (quřil qualifie dřailleurs dřactifs de spéculations) provoquent. De son point de vue, le gouvernement de la nation nouvellement indépendante nřest constitué que de personnes attachées presquřexclusivement à leurs intérêts personnels et individuels tout en se faisant passer pour un gouvernement républicain. 56 Robert, H. Farrell, American Diplomacy: A History, op. cit., pp. 84. 57 Jacques Portes, Les États-Unis de l‘Indépendance à la Première Guerre Mondiale, Paris, Armand Colin, 1991, p. 23. Le gouvernement fédéral du temps est essentiellement préoccupé Par des questions économiques. Une partie de ses revenus provient du tarif douanier, sur le niveau duquel les différents Etats, dont leurs représentants et sénateurs ne sont nullement dřaccord ; une autre plus importante, provient de la vente des terres publiques de lřOuest. Ceci concerne un grand nombre dřAméricains, et, parmi eux, nombre dřactifs spéculateurs.58 En effet, beaucoup dřhistoriens progressistes (surtout au début du XXe siècle sous la conduite de Charles Beard qui a publié avec Mary Beard, entre autres livres, The Rise of American Civilisation en 1928) voient « dans la naissance des Etats Unis un complot des plus riches pour confisquer le pouvoir et contrôler des ressources »59 . Cela est dřautant plus exacerbant pour les citoyens américains révolutionnaires et contraire à leurs aspirations, à leur espoir de liberté et de bonheur, que ce « mouvement [du gouvernement fédéral] s‘est accompagné d‘abus ».60 Ces problèmes deviennent alors préoccupants et sont pris à main par le Congrès de la fédération étatique, permettant par la même occasion la ratification de ce quřil est convenu dřappeler les Articles de la Confédération. Cette ratification a été effectivement un des événements les plus marquants de lřhistoire de lřAmérique. Véritablement, la convention pour la fédération des treize colonies, avant de voir le jour, a pendant longtemps été sujette à des critiques et oppositions, aussi bien de la part de simple citoyens que de la part, surtout, des sages connus sous le nom de Pères Fondateurs. Ainsi, les historiens et autres chercheurs, sřinterrogeant sur lřorigine dřun tel système politique, ont souvent des visions controversées du fondement idéologique de la constitution américaine. De lřavis dřHorace White, la constitution des États-Unis sřest inspirée de la philosophie du Britannique Thomas Hobbes (1588-1679) et du calvinisme. The constitution of the United States is based upon the philosophy of Hobbes and the religion of Calvin. It assumes that the natural state of mankind is a state of war and the carnal mind is at enmity with God. Par contre, dřautres pensent quřelle est essentiellement enracinée dans les expériences concrètes vécues par les Pères Fondateurs plutôt que fondée sur des théories purement abstraites avancées par certains. Toujours est-il que la constitution américaine nřest pas fondée sur des sources écrites en tant que repères. Pourtant elle est accréditée par beaucoup pour son originalité, même si, dřun autre côté, elle a fait lřobjet dřinterprétations controversées et restait ainsi à améliorer pour la stabilité et la sécurité de la population américaine. Cřest dřailleurs cette nécessité dřamélioration qui justifie les quelques amendements que la constitution des États-Unis a connus. En fait, après lřindépendance du Nouveau Monde en 1776, des débats sur le système politique quřil faut mettre en place pour assurer la sécurité du pays ont prévalu chez les Pères Fondateurs. De ces débats, il est ressorti plusieurs idées dont la constitution dřune fédération des treize colonies de lřépoque en établissant un gouvernement fédéral ; à côté de cette idée dřautres ont proposé la séparation de ces États indépendamment les uns des autres. Ces débats autour dřune Amérique bâtie sur une fédération des treize États nouvellement indépendants se sont intensifiés pendant une longue période car cřest progressivement, au cours dřun long processus, que les accords des États sont obtenus non sans difficultés. Cependant, les problèmes vont persister du fait de la méfiance de la population plus que jamais sceptique à lřégard du gouvernement fédéral quřelle assimile à un gouvernement central puissant et très potentiellement despotique à cause de certains caractères dont il a fait montre : dans biens de domaines stratégiques de lřéconomie, les dirigeants occupent une place prépondérante défavorisant la masse de la population. Pour exprimer sa conviction en faveur dřun gouvernement fédéral et dissiper le doute chez la population pour qui un État central apparaît comme une menace pour sa liberté ainsi que pour sa sécurité, James Madison affirme que dans un gouvernement tel que conçu par la constitution américaine, le pouvoir absolu ne réside point au sein de lřÉtat mais plutôt au sein de la société qui met le gouvernement en place. Pour lui, lřon devrait plutôt se méfier de la masse de la population, car cřest elle même qui est potentiellement dangereuse. ŖWherever the real power in a government lies, there is the danger of oppression. In government the power lies in the majority of the community‖ .
INTRODUCTION |