LA DIVERSITÉ DES SOLITONS SPATIAUX OPTIQUES

LA DIVERSITÉ DES SOLITONS SPATIAUX OPTIQUES

Présentation du modèle théorique 

La photoconduction Dans la première phase de l’effet photoréfractif, une onde électromagnétique, qui éclaire un cristal, excite localement des porteurs de charge. Ces porteurs peuvent être des électrons ou des trous selon les cristaux et les conditions de leur utilisation. Ils sont issus de centres donneurs ou accepteurs, dont le niveau d’énergie se situe dans la bande interdite du matériau. Les porteurs excités passent donc dans la bande de conduction du matériau (ou dans la bande de valence s’il s’agit de trous). Ils migrent ensuite, sous les effets combinés de la diffusion, de leur entraînement par le champ électrique local ou par l’effet photovoltaïque, ce dernier privilégie certaines directions de migration même en l’absence de champ électrique. A la suite de leur migration, les porteurs de charge arrivent dans les zones moins éclairées du matériau où ils sont piégés. La distribution non uniforme de charge qui résulte de la migration des porteurs crée un champ électrique, appelé le champ de charge d’espace. Le modèle de base qui décrit la séparation des charges dans un matériau photoréfractif a été formulé à la fin des années 70  . Malgré nombre d’approximations, il contient les éléments élémentaires nécessaires à la prédiction et la description de l’autofocalisation dans les milieux photoréfractifs. Les interactions lumière/matière reflètent une structure de bande typique d’un diélectrique légèrement dopé. En particulier, la structure peut normalement être approximée en considérant un modèle à simple bande : un seul niveau de donneurs et un seul type de porteurs (Fig.1.4). Pour un matériau photoréfractif, les centres profonds peuvent être ionisés par une lumière de longueur d’onde appropriée (généralement dans le visible), dépendant de l’impureté. Des électrons sont ainsi générés  dans la bande de conduction, laissant des états vides derrière eux. Les impuretés ionisées peuvent alors capter un électron [64]. Soit ND la concentration d’impuretés dont N + D sont ionisées. Le taux de génération d’électrons est (β−s I)(ND −N + D ), alors que le taux de capture est γN N+ D , où N est la densité d’électrons libres, s est la section efficace de photo-excitation, I est l’intensité lumineuse, β est le taux d’excitation thermique et γ est le coefficient de recombinaison des électrons. L’équation décrivant l’évolution temporelle de la concentration ND s’écrit donc : ∂N + D ∂t = (β− s I)(ND − N + D )−γN N+ D (1.11) Les électrons se déplacent dans le cristal sous l’effet de l’entraînement par le champ électrique local E, de la diffusion et, pour certains matériaux non centrosymétriques, de l’effet photovoltaïque, donnant naissance à une densité de courant J décrite par : J = eµNE+kB Tµ∇N +βpv (ND − N + D )I c (1.12) où −e est la charge de l’électron, µ sa mobilité, kB la constante de Boltzman, T la température du cristal, et βpv la composante du tenseur photovoltaïque dans la direction de l’axe c 8 .Le modèle est complété par les équations de conservation des charges et de Poisson : ∂ρ ∂t + ∇.J = 0 (1.13) ∇.E = ρ ² (1.14) où ² est la constante diélectrique du cristal et la charge ρ est donné par : ρ = e(N + D − NA − N) (1.15) avec NA la densité d’accepteurs, nécessaire pour avoir une partie des donneurs ionisés en l’absence d’éclairement (où N + D = NA), et participant à la neutralité du matériau. La présence de ces accepteurs est donc indispensable à l’effet photoréfractif, bien qu’ils ne participent pas directement. Le modèle de Kukhtarev (éq. (1.11) à (1.14)) lie le champ électrique local E, appelé champ de charge d’espace, à l’intensité lumineuse I. En règle générale, ce système ne peut être résolu que numériquement, et cela reste compliqué en 2D. Dans quelques cas particuliers et sous certaines approximations, notamment le cas (1+1)D en régime établi (i.e. solitons écrans (1+1)D), ce système peut se résumer à une équation différentielle intégrable, qui permet de calculer E = E(I) de manière analytique [68

Équation de propagation

Le champ de charge d’espace E influence la propagation de la lumière par une modification de l’indice de réfraction induite par l’effet électro-optique. Elle est décrite par la relation phénoménologique : ∆ni j = − 1 2 n 3 i j X k ri j kEk − 1 2 n 3 i j ² 2 0 (²r −1)2X kl gi j klEkEl (1.16) où ni j est l’indice de réfraction du cristal non perturbé, ri j k et gi j kl sont respectivement, les tenseurs électro-optique linéaire et quadratique, et E = (Ex ,Ey ,Ez ). Pour un cristal non centrosymétrique, le terme quadratique (effet Kerr) est généralement négligeable alors que pour les cristaux centrosymétriques c’est la réponse linéaire (effet Pockels) qui est absente. Dans les matériaux photoréfractifs, tels que le LiNbO3, l’effet Pockels est largement dominant, et l’éq. (1.16) devient : ∆ni j = − 1 2 n 3 0 X k ri j kEk (1.17) Pour un faisceau monochromatique, dans l’approximation paraxiale, la propagation est décrite par une équation de forme comparable à NLSE (éq. 1.5), dans un cas général (2+1)D : ∂ ∂z Ai(x, y, z) = i 1 2k ∇ 2 ⊥ Ai(x, y, z)+i 2π λ ∆ni j Aj(x, y, z) (1.18) où ∇ 2 ⊥ = (∂ 2 /∂x 2 ,∂ 2 /∂y 2 ), Ax et Ay sont les composantes transverses du champ optique lentement variable tel que I = |A| 2 , avec A = (Ax , Ay , Az ), La recherche de solutions solitons dans les milieux photoréfractifs passe ainsi par la résolution de l’équation (1.18) où la modification d’indice a été calculée à partir du modèle de Kukhtarev. Si l’expression de E peut dans certains cas être approximée analytiquement (par exemple dans un milieu (1+1)D où le champ appliqué domine la dynamique de déplacement des charges), l’équation de propagation est quand à elle plus difficilement intégrable. L’étude numérique est plus aisée, tout du moins en régime (1+1)D. Par contre, modéliser la propagation d’un faisceau bidimensionnel transverse est encore difficilement accessible (principalement à cause de l’absence d’une solution aisée de E), bien que ce soit sans doute la configuration expérimentale la plus intéressante. Nous détaillerons un exemple de résolution (1+1)D semi-analytique puis numérique au chapitre 2. 

Spécificités des solitons photoréfractifs 

Nous avons vu que l’étude théorique des solitons photoréfractifs est nettement plus complexe que celle des solitons Kerr. Cela provient de la complexité des équations et de la richesse des phénomènes devant être pris en compte dans l’effet photoréfractif, conduisant à divers mécanismes d’autofocalisation. Différents régmies d’autofocalisation Solitons quasi-établis Les premiers travaux suggérant l’idée de solitons photoréfractifs , correspondent à la propagation d’un faisceau lumineux dans un matériau photoréfractif avec application d’une tension continue. Ce type de solitons a la particularité de n’exister que dans une fenêtre temporelle finie. Au delà de cette fenêtre, l’équilibre du piégeage disparaît. En effet, à l’application du champ électrique, le champ de charge d’espace E se met progressivement en place, ce qui se traduit par une augmentation locale de l’indice de réfraction là où le faisceau est le plus intense et commence à focaliser. A un instant particulier du processus, il est possible d’obtenir un soliton spatial. Cependant, si le profil du champ E n’est pas stabilisé à ce moment, il continue à évoluer. Le soliton quasi-établi est caractérisé par la fenêtre temporelle pour laquelle la focalisation maximale est atteinte. Si le processus se poursuit, cela conduit à un élargissement du faisceau [70]. Ces propos seront illustrés, dans le chapitre 3 (§ 3.2), par l’étude de tels solitons dans le LiNbO3. Solitons établis Il est possible de stabiliser l’autofocalisation en ajustant les paramètres expérimentaux, afin que le le champ établi E compense exactement la diffraction. La situation finale atteinte dépend du rapport entre l’intensité du faisceau I et l’intensité d’obscurité Id (valeur intrinsèque du matériau correspondant à la génération des charges par effet thermique, Id = β/s). En pratique, on peut ajouter un fond lumineux sur l’ensemble du cristal afin d’augmenter artificiellement Id . Ce type de soliton est appelé soliton écran [71, 72, 73], puisqu’une fois l’équilibre atteint, le champ électrique E est proche de zéro là où l’intensité optique est maximale. La lumière apparaît alors comme un obstacle à une distribution homogène des charges. Ces solitons ont été observés dans de nombreuses configurations différentes : (1+1)D ou (2+1)D, brillants ou sombres et dans différents matériaux [68], faisant des solitons établis les plus étudiés des solitons photoréfractifs. Dans leur version (1+1)D, la description de ces solitons se rapproche de la propagation dans un milieu Kerr saturant du type de celle présentée au paragraphe 1.2.1.2. Solitons photovoltaïques Certains matériaux non-centrosymétriques, tel que le LiNbO3 exhibent un effet photovoltaïque, qui correspond à un courant photoinduit décrit par le dernier terme de l’éq. (1.12) du modèle de Kukhtarev. Ce type de solitons photoréfractifs  ne nécessite donc pas l’application d’un champ électrique externe, puisque le déplacement des porteurs libres est simplement induit optiquement suivant une direction privilégiée. A basse puissance, mais lent La caractéristique principale des solitons photoréfractifs, est la faible puissance nécessaire pour les générer (de l’ordre du µW). Cette caractéristique les différencie radicalement des solitons Kerr ou quadratiques (voir § 1.2.3.1), qui nécessitent des puissances crêtes de l’ordre du kW. En contrepartie, les temps de formation, liés à l’accumulation progressive des charges, sont nettement allongés. Le temps de formation est habituellement limité par le taux de génération des électrons. D’après l’équation (1.11), ce taux est proportionnel à l’intensité lumineuse I; le processus peut donc être accéléré en augmentant I [78], mais en aucun cas le temps de formation n’atteint celui des solitons Kerr. Les temps de réponse relativement longs permettent une analyse aisée de la dynamique de formation des solitons. Dans le cas des solitons quasi-établis, on peut notamment stopper le processus dès la focalisation maximale atteinte [70]. Par ailleurs théorie et expériences montrent que le soliton quasi-établi existe quelque soit I et que la largeur atteinte est indépendante de I et minimale si I À Id pour un champ appliqué E0 fixe. Les solitons écrans (i. e. en régime stationnaire), ont des propriétés différentes. En effet, pour atteindre une taille soliton donnée avec E0 fixé, seul le rapport r = I /Id peut être choisi. En pratique, le temps de formation limite l’utilisation de la valeur de r à r > 1. Guides d’ondes (2+1)D Une autre caractéristique remarquable des solitons photoréfractifs, les différenciant des solitons Kerr, est la saturation de la variation non linéaire d’indice, intrinsèque à l’effet photoréfractif, permettant de stabiliser une propagation en 2D. Il peut s’agir de la propagation d’un faisceau cylindrique issu du mode fondamental TEM00 d’un laser, ou bien d’une structure plus complexe de type vortex. Ces démonstrations expérimentales ont été réalisées avec des solitons brillants [79] ou même des solitons noirs [80]. La résolution théorique du cas 2D reste cependant difficile à cause de l’anisotropie de l’effet photoréfractif. D’un point de vue intuitif, il n’est pas non plus évident de comprendre comment le piégeage du faisceau peut survenir dans les deux dimensions transverses de manière symétrique, alors que le système est fortement anisotrope , mais l’expérience montre que des solitons cir-culaires peuvent être formés. Comme les solitons Kerr, les solitons photoréfractifs créent un guide auto-induit permettant le guidage d’un faisceau de longueur d’onde différente [83]. En ne se limitant plus à une seule dimension, les solitons bidimensionnels rendent possible un adressage dans tout le cristal 9 . De plus la répartition des charges induites lors de la création du soliton dans le matériau reste en place après la coupure du champ électrique et/ou de la propagation du soliton, le guide inscrit restant quand à lui utilisable. Enfin, il est possible d’inscrire de manière permanente le guide photo-inscrit. Solitons incohérents L’étude de solitons photoréfractifs permet l’emploi non seulement de sources laser continues et compactes, mais peut aussi s’effectuer avec une simple lampe à incandescence. Des expériences ont été réalisées, d’abord à l’aide d’une lumière issue d’un laser, rendue spatialement incohérente grâce à un disque dépoli en rotation; puis l’autofocalisation a été réalisée à l’aide d’une lumière issue d’une lampe à incandescence, donc incohérente à la fois spatialement et temporellement. Ces expériences spectaculaires ont initié la théorie des solitons incohérents . Elle repose sur le fait qu’il est possible d’autofocaliser un faisceau incohérent si le temps de réponse de la non-linéarité est lent comparé au temps caractéristique des fluctuations de phase du faisceau. Notons cependant qu’il a été récemment démontré qu’un soliton temporel incohérent pouvait être généré dans un milieu Kerr instantané .

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