La diffusion transfrontalière des œuvres adaptées en formats accessibles aux personnes empêchées de lire : obstacles et solutions envisageables
La diversité des régimes juridiques nationaux de l’exception handicap
Si la définition claire des concepts est la condition nécessaire de l’harmonisation des droits exclusifs, elle ne suffit pas pour autant à la garantir. C’est du moins ce qui ressort de l’étude précitée de l’IViR (Institute for Information Law of the University of Amsterdam) .Le rapport constate que les États membres ont transposé les trois droits exclusifs en fonction de la législation préexistante, dont la catégorisation ne correspond pas nécessairement à la « trilogie » reproduction/communication au public/distribution. Les différences (entre les pays de tradition de Common Law et de droit d’auteur, d’une part, et entre ces derniers, d’autre part) conduisent parfois à des divergences qui peuvent avoir des effets « disharmonising ». Un des problèmes majeurs réside dans le chevauchement du champ d’application des trois droits, avec les conséquences que cela emporte sur le terrain des exceptions. Le plus haut degré d’harmonisation concerne le droit de reproduction, antérieurement reconnu par tous les États-membres, pour lequel le rapport n’observe que des « déviations mineures ».S’agissant du droit de communication au public, le rapport observe quelques divergences relatives tant aux modalités techniques de transposition qu’au champ exact de ce droit. Sur le plan technique, le rapport note qu’il a été souvent transposé en tant que sous-catégorie d’un droit préexistant (communication ou représentation, comme en France et en Belgique).La forme spécifique du droit de communication au public que constitue le droit de mise à disposition du public est transposée soit comme une sous-catégorie du droit de communication au public (reprise de la formule de la directive), soit comme un droit spécifique. Ces divergences peuvent révéler une incertitude quant à l’extension du champ de ce droit. Le rapport note ainsi que pour certains États membres, la question se pose de savoir si la « mise à disposition du public » constitue un acte distinct de la « communication au public » (la communication au public ne couvrant que les seuls actes simultanés, et la mise à disposition les seuls actes non simultanés) ou une des formes spécifiques de la communication au public (catégorie large couvrant l’ensemble des actes, simultanés ou non, conformément à la lettre de la directive) .Le droit de distribution est celui pour lequel le rapport juge la situation « particulièrement difficile ».La première difficulté tient aux différences de catégorisation relatives au droit de distribution défini par l’article 4.1 de la directive. Le rapport observe que dans les législations nationales antérieures à la transposition, le droit de distribution était reconnu soit en tant que droit autonome, soit dans le cadre d’un droit plus large de « mise à disposition du public » (Pays-Bas) ou encore dans le cadre d’un « vaste droit ombrelle » tel que le droit de destination (France et Belgique, cette dernière ayant modifié la loi pour y insérer un droit spécifique ).Parmi les États n’ayant pas introduit de droit spécifique de distribution, du moins sous ce terme, à l’occasion de la transposition, de larges différences de dénomination subsistent : « diffusion des copies au public » (« to issue copies to the public » – Royaume-Uni et Irlande), « mise à disposition des œuvres dans une forme tangible » (République tchèque) ; « offre de copies au public » (Autriche et Finlande) ou encore « mise en circulation ». Des différences subsistent également, y compris pour les États membres reconnaissant un droit spécifique de distribution. Certains ont repris la définition de la directive (« par la vente ou autrement » (Autriche, République tchèque, Chypre, Danemark, Estonie, Finlande, Grèce, Lettonie, Norvège, Pologne, Portugal, Slovaquie, Slovénie et Suède). En revanche, si la loi allemande sur le droit d’auteur ne mentionne que la vente, le droit de distribution couvre toute offre individuelle à tout membre du public, la notion de « public » étant plus large que pour les actes de communication immatérielle.
Au plan mondial, la situation des exceptions en faveur des personnes handicapées est sensiblement plus hétérogène
Au plan mondial, l’absence d’harmonisation outrepasse largement la question du régime juridique des exceptions en faveur des personnes handicapées, dans la mesure où seule une minorité d’États reconnaissent de telles exceptions. Cette diversité constitue le point de départ des discussions sur l’accès des personnes aveugles et malvoyantes aux publications menées depuis 2002 au sein de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (ci-après OMPI), lesquelles ont conduit l’OMPI à diligenter plusieurs études. L’Étude sur les limitations et exceptions au droit d’auteur en faveur des déficients visuels, confiée à Judith SULLIVAN, a été présentée à la 15ème session du Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes, en septembre 2006 (SCCR/15/7) .Cette étude très complète (ci-après « Rapport Sullivan »), qui demeure la référence en la matière, a alimenté les discussions ultérieures sur la nécessité d’un « instrument international » (recommandation ou traité contraignant) visant à harmoniser les dispositifs nationaux d’exception en faveur des personnes handicapées et permettre les échanges transfrontaliers des œuvres adaptées en format accessible. On se bornera à en résumer les principaux constats.
Premier constat : seule une minorité des États membres de l’OMPI reconnaissent une exception au droit d’auteur en faveur des personnes « empêchées de lire »
Il ressort en premier lieu du rapport Sullivan qu’en 2006, moins d’un tiers des pays membres de l’OMPI (57 sur 192) avaient introduit dans leur législation un dispositif spécifique de limitation ou exception aux droits exclusifs au profit des déficients visuels « ou, plus généralement, aux personnes se trouvant dans l’incapacité de lire », pour les activités « consistant à mettre à leur disposition, dans une version adaptée, une œuvre protégée par le droit d’auteur ». Le rapport précise n’avoir pas étudié dans quelle mesure d’autres exceptions (telles que l’exception de copie privée, l’exception pédagogique ou encore l’exception au profit des bibliothèques) autoriseraient de telles activités en faveur des déficients visuels . Il indique également de ne pas avoir examiné « de façon approfondie » dans quelle mesure les exceptions au droit d’auteur s’appliquent également aux droits connexes entrant « en ligne de compte » pour les audio-descriptions de films et d’émissions. On constate, à la lecture de la liste des 57 pays dont la législation est étudiée, qu’ils se situent pour l’essentiel en Europe (au sens large), aux États Unis et dans les pays du Commonweath (Canada, Australie et Nouvelle Zélande), ainsi que, dans une moindre mesure, en Asie et en Amérique du Sud . En revanche, seuls trois pays africains étaient recensés en 2006 .