La démarche d’égalité professionnelle dans les organisations
Egalité ou Diversité ?
L’égalité des chances comme clé d’accès à l’égalité universelle Près de vingt ans avant que la France ne se saisisse réellement de la question des inégalités professionnelles basées sur le genre via la loi Roudy de 1983, les Etats-Unis, dans la veine du mouvement pour les droits civiques, prennent une première série de mesures pour lutter contre les discriminations professionnelles rencontrées par les minorités. Ces mesures ont, dans un premier temps, pour objet de permettre à tous les salariés de bénéficier des mêmes chances, et ce, dès le recrutement. Elles sont appelées « Equal Employment Opportunities » (EEO). Pour Bender et Pigeyre (2004) ainsi que Laufer (2009), elles visent à éradiquer les discriminations en se basant sur un critère de choix objectif, les compétences. Tous les salariés sont mis sur un même pied d’égalité puisque seules les compétences sont, théoriquement, considérées dans la prise de décision. Malheureusement le succès de ces mesures universelles n’est pas au rendez-vous, les discriminations perdurent et tendent à s’aggraver. En effet, selon Laufer et Silvera (2005), mettre sur un pied d’égalité des personnes discriminées et non discriminées a pour effet d’entériner et d’empirer les inégalités. Pour remédier au peu de résultats des EEO Acts, les pouvoirs publics américains mettent en place le concept d’« Affirmative Actions » (AA), traduit en Français par « Discrimination positive ». Ici il n’est plus question de baser les différentes décisions RH sur le critère de compétence mais purement et simplement de favoriser, temporairement, un groupe social discriminé dans une logique de rattrapage des inégalités, permettant à terme, d’accéder à une égalité universelle. Il est important ici de faire le distinguo entre la démarche américaine et son adaptation française. Si l’objectif final est bien de permettre à toutes les minorités d’accéder aux mêmes opportunités que le groupe dominant, il est strictement interdit en France de discriminer. Nous faisons donc une différence entre le concept de discrimination positive, non basé sur les compétences, et celui d’action positive, basé sur les compétences. Ainsi dans le cadre des actions positives, à compétences égales, sera choisie la personne issue du groupe social sous-représenté dès lors que ce groupe fait partie des exceptions prévues par la loi pour la mise en place d’actions positives : égalités femmes-hommes ; handicap, lieu de résidence et situation économique. Pour Laufer (2009), la plus grande limite des politiques mettant en œuvre les EEO-AA acts est qu’elles favorisent les individus appartenant aux minorités « protégées » au détriment d’autres La démarche d’égalité professionnelle dans les organisations 57 personnes peut être plus méritantes. Ainsi ces mesures créent de nouvelles inégalités et attirent l’attention sur les individus favorisés par ces démarches. Individus, qui selon Bender et Pigeyre (2004), se sentent illégitimes et ne perçoivent pas d’amélioration de leur situation. Selon Cockburn (1991), dont l’ouvrage fait état de quatre études de cas qu’elle a mené sur deux ans pendant lesquels elle a réalisé plus de 200 entretiens, les hommes, qui ne veulent pas céder aux femmes le pouvoir dont ils disposent au sein des organisations, résistent aux promotions issues des politiques d’égalité professionnelle notamment en diminuant les femmes promues : « In the personnel sections, among very senior men with spectific responsability for equal opportunities and those who sit frequently on selection boards, the policy of course has greater salience. But among men who have no such responsabilities the initiative is little more than a source of wry humour. The woman newly created deputy equal opportunities officer for head office was pitied and teased by some of her male colleagues. « We ring her up. « I am black, disable, Jewish, female and lesbian. Why aren’t I chairman of the board ? » She gets a lot of ragging from us. I think there’s a general impression it (EO) has been overdone. » (p.66-67, cas High Street Retail). Aussi, les politiques initialement prévues pour aider les femmes à dépasser les inégalités afin d’évoluer peuvent avoir, en plus d’un effet stigmatisant, un effet de « retour de bâton » (Bender et Pigeyre, 2003, p.207). Ainsi, malgré leur efficacité au regard de la mixité dans les organisations, ces politiques essuient de nombreuses critiques de détracteurs, pour qui la fin, aussi louable soit-elle, ne justifie pas tous les moyens et notamment celui de fouler au pied la méritocratie. C’est, selon Laufer (2009), en réaction notamment à cet écueil que le concept de la diversité a vu le jour.
La diversité
Le concept de diversité, à l’inverse de celui de l’égalité, valorise les différences. Ici, on ne raisonne pas en termes de groupe social mais en termes d’individu. Une personne, différente qui va apporter une valeur ajoutée à la société grâce à cette différence. Faire de la différence un avantage concurrentiel au lieu d’une tare, permet à l’organisation, dans l’idéal bien entendu, d’instaurer un climat de bien-être pour les salariés, favorisant ainsi leurs performances. Bereni (2009) qualifie ce concept de « managérialisation du droit » (p.90) car à son origine se trouve des professionnels qui recyclent les obligations juridiques des lois antidiscrimination à leur avantage en faisant la promotion de l’intérêt économique de la mise en place de telles pratiques. Ainsi à l’origine, contrairement au concept d’égalité qui se base sur une recherche de justice sociale, celui de la diversité se base sur la justification économique. 58 C’est la justification du Business Case : opter pour la diversité est profitable à l’entreprise à plusieurs niveaux (Landrieux-Kartochian, 2007). Cependant le lien entre performance et gestion de la diversité ne fait pas consensus (Bender et Pigeyre, 2004). Bruna et Chauvet (2013), le confirment en précisant qu’il existe différents niveaux de performance : individuelle/collective, économique/sociétale, politique/systémique. D’après ces auteurs, et comme le mentionnent Chanal et al. (2003), une démarche de diversité ne garantit aucunement la performance d’une organisation, c’est la manière dont la démarche est pensée et mise en place qui aura, ou pas, un impact sur la performance de l’entreprise. C’est aussi la conclusion de Kochan et al. (2003) pour qui la diversité est une question stratégique, se devant d’être traitée comme telle par les organisations qui auront tout intérêt à intégrer les valeurs de la diversité dans leur culture d’entreprise. Ces derniers de souligner que la nature du lien entre la diversité et la performance de l’organisation dépend essentiellement du contexte. Pour Cornet et Warland (2008), il existe deux types de justification à la mise en place d’une démarche de diversité : la justification économique (business case) et la justification sociale. Ces auteurs réalisent en 2008 un travail de synthèse des différents arguments justifiant la mise en place d’une politique de diversité. Ainsi, la justification économique de ce genre de politique se fera sur des arguments liés à l’image que l’entreprise veut donner d’elle-même et des retours positifs que causera cette image, à la conformation au cadre juridique qui évite les contentieux et enfin aux gains d’efficacité et d’efficience qu’elle permet. Quant à la justification sociale, elle se base sur des arguments liés à la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) mais aussi à la recherche de justice sociale via des actions en faveur de l’inclusion et de la nondiscrimination. Enfin, est rattaché à cette justification la volonté de l’entreprise d’être le miroir de son environnement. Pour Barth (2007) la diversité peut être assimilée à une ressource (logique économique) et/ou à une croyance (logique sociale). Selon cette dernière, la gestion de la diversité serait un moyen pour les organisations d’augmenter leur légitimité auprès de leurs parties prenantes si, et seulement si, leur démarche n’est pas cosmétique. Pour Bender et Pigeyre (2004), le succès d’une démarche diversité tient à la réflexivité que les acteurs exercent au regard de leurs pratiques : « Un tel changement passe par des prises de conscience des membres de l’entreprise du prisme ou « moule » culturel dominant, par la découverte et la valorisation d’autres façons de penser et de se comporter, bref par une importante ouverture sur soi et sur les autres, qui s’organise autour de séances collectives de formation et de discussions (Thornburg, 1994). » (p.63). C’est un changement de paradigme qui n’est pas simple à mettre en place. D’ailleurs Konrad et Linnehan (1995) dans leur étude, que nous détaillons plus bas, insistent sur les biais des 59 managers qui affectent leurs prises de décisions. Ils vont jusqu’à préconiser aux pouvoirs publics américains de renforcer les obligations relatives aux EEO-AA, car leurs résultats montrent que les pratiques de GRH qui favorisent un groupe en particulier (Indentity Conscious) diminuent les effets des biais dans la prise de décision. Ces pratiques de GRH améliorent la situation des minorités (femmes et minorités ethniques) au sein des organisations. 2.2 Vers un modèle hybride ? Pour Bender (2004), les concepts d’égalité et de diversité, présentés à priori comme diamétralement opposés, peuvent être complémentaires. Liff (1999), qui analyse les pratiques de British Telecom ayant reçu une distinction pour son engagement en faveur de l’égalité, nuance ce propos :« The analysis developed above has suggested that this combination is not as straightforward as those accounts which see diversity as a logical extension of equal opportunities have suggested. But in terms of preserving what has been successful about equal treatment approaches it is probably a safer option than one that argues for the abandonment of all that has gone before in favour of a new, untried paradigm. » (p.74) Ainsi, la combinaison de ces deux approches relève plus, selon cette dernière, d’une volonté de ne pas perdre les bénéfices que les politiques d’égalité ont obtenus. Cette complémentarité est cependant plus parlante à l’analyse de la synthèse que proposent Bender et Pigeyre (2004) des pratiques identifiées et classées sous les termes Identity Blind (IB) et Identity Conscious (IC) par Konrad et Linnehan (1995).