Repères historiques : Bleuler, Kanner, Asperger…
Dans le monde médical, le terme autisme est utilisé par la première fois par un psychiatre suisse, Eugen Bleuler (1911). Il cherche à distinguer entre les schizophrènes adultes ceux qui présentent un symptôme de repli sur soi (Hayoz, 2011). Dans ce cadre, il affirme que l’autisme est un « détachement de la réalité combiné à la prédominance relative ou absolue de la vie intérieure » et que sa pensée est orientée et « déterminée par les affects » (Bleuler, 1911, p.112). En 1943, à partir d’observations cliniques de onze jeunes enfants, Kanner, un pédopsychiatre qui a fait carrière aux USA, présente dans son article Autistic disturbances of affective contact les principaux symptômes de l’autisme infantile. Pour lui, l’autisme s’identifie à partir de deux signes cliniques fondamentaux, l’isolement autistique et le désir d’absence de changement. Ces symptômes amènent les enfants à créer des habitudes obsessionnelles, des routines et à ressentir l’environnement extérieur comme une menace. Suite à ses observations, Kanner fait corréler ces symptômes à « une perturbation autistique innée du contact affectif » (1990, p. 84). Malgré ses propos avancés sur l’innéité du trouble, les polémiques sur le rôle possible des parents dans l’origine du trouble n’ont pu être évitées.
Ces polémiques sont surtout répandues par les idées de Bettelheim (1969) qui préconise le traitement de l’autisme en dehors du cadre familial (Hayoz, 2011). En 1944, le médecin Asperger livre ses observations effectuées auprès d’enfants qu’il nomme « psychopathes autistiques ». Ces observations cliniques regroupent celles décrites par Kanner (1943) mais sont essentiellement centrées sur les particularités cognitives du trouble et les possibilités des enfants à compenser leurs difficultés grâce à l’originalité de leur pensée. Son travail ne fut révélé que dans les années 80 par Lorna Wing, psychiatre et mère d’un enfant autiste, lorsque celle-ci cherche à établir des critères précis de diagnostic (Perrin, 2013). Actuellement, le syndrome d’Asperger et l’autisme de Kanner sont considérés comme des manifestations quantitativement différentes du même trouble. Le DSM V utilise le terme « spectre de l’autisme » pour décrire les déficits de la communication sociale, de l’interaction sociale et du comportement présents durant la petite enfance. Ces manifestations affectent plusieurs domaines du fonctionnement de l’enfant et provoquent un handicap social important (Thum, 2013).
Le fonctionnement cognitif
Les études de Rutter (1989) montrent que 75 % des enfants autistes ont un fonctionnement intellectuel qui se situe dans une zone de déficience moyenne ou sévère. Mottron (2010) affirme que ce chiffre n’est pas pertinent « si on l’applique au spectre autistique dans son ensemble » et « que l’intelligence autistique est largement dépendante de l’instrument avec lequel on la mesure » (p. 48). Nous reviendrons plus en détail, dans ce cadre théorique, sur la définition de la déficience intellectuelle. Les approches neuropsychologiques, cognitives et développementales ont le bénéfice d’apporter quelques précisions sur le fonctionnement cognitif des personnes autistes. Certains auteurs suggèrent que les enfants autistes ne sont pas capables de se représenter les intentions, les émotions, les croyances et les souhaits des autres personnes, comme comprendre le comportement d’un pair qui fait semblant de jouer un instrument de musique avec deux morceaux de bois (Baron-Cohen, 1989 ; Frith, 1996). Plusieurs études réalisées auprès d’enfants autistes ont associé cette incapacité à leurs difficultés cognitives (Baron-Cohen, 1989), langagières (Sparrevohn & Howie, 1995) et sociales (Holroyd & Baron-Cohen, 1993).
En plus de ce déficit à se représenter les états mentaux d’autrui, Happé (1994) parle d’un déficit au niveau des fonctions exécutives. Ce concept « désigne un ensemble d’opérations mentales permettant le contrôle et l’exécution d’activités finalisées » (Plumet et al., 1998, p. 158). Ces processus cognitifs se situent dans les zones frontales et préfrontales des deux hémisphères cérébraux (Rochat, 2011). Ozonoff et Jensen (1999) ont comparé les performances des enfants autistes à d’autres sujets (TDAH, syndrome Gilles de la Tourette) grâce à des épreuves concernant divers aspects des fonctions exécutives. Ils ont pu vérifier les différences existantes entre les enfants autistes et les autres sujets dans le domaine de la planification des tâches. Frith (1996), auteur de la théorie sur la cohérence centrale, affirme que les autistes ne peuvent pas filtrer et intégrer les informations sensorielles afin de les regrouper, de leur donner un sens. À cause de ce défaut de filtrage, les autistes seraient sur-stimulés par les informations venues de leur environnement et semblent avoir une incapacité à donner du sens à la multiplicité des informations sensorielles reçues (Poirier, 1998). Mottron (2010) suggère que la pensée autistique comporte des forces comme la cohérence logique, une précision du détail et une excellente mémoire des ensembles de représentations ; mais aussi des limites comme l’association d’émotions positives, pour ce qui est de la cohérence ou de la régularité, et d’émotions négatives pour ce qui est de l’arbitraire.
La définition de l’intelligence selon Gardner En 1979, une fondation dont le siège est à la Haye au Pays-Bas et qui se consacre aux enfants défavorisées, demande à une équipe de chercheurs de la Harvard Graduate School of Education d’enquêter sur la nature et la réalisation du potentiel humain (Gardner, 2008 ; Mancuso, 2000). Howard Gardner, psychologue cognitiviste et professeur de neurologie fait partie de cette équipe, parmi d’autres scientifiques provenant de domaines divers comme l’anthropologie ou la philosophie. (Mancuso, 2000). Au sein de cette équipe, Gardner (2008) avait comme tâche « la rédaction d’une monographie sur ce que les sciences humaines avaient établi en matière de cognition humaine » (p. 19) et son objectif « était de parvenir à une conception de la pensée humaine plus large et plus complète que celle admise dans les travaux de la cognition » (p. 19). Le fruit du travail de ces chercheurs donne naissance au concept des intelligences multiples, divulgué au public dans le livre Les intelligences multiples écrit par Gardner (Armstrong, 1999 ; Mancuso, 2000). A propos de cette conception plurielle de l’intelligence, Gardner (2008) dit : Je décidais d’écrire sur les « intelligences multiples : « multiples » pour mettre l’accent sur un nombre indéterminé de capacités différentes, allant de l’intelligence musicale à l’intelligence requise pour la connaissance de soi-même : « intelligences » pour souligner que ces facultés sont aussi fondamentales que celles détectées historiquement par le test du Q.I. (p. 19). Il n’est pas le seul à affirmer que l’intelligence est de nature plurale. D’autres chercheurs parlent de l’intelligence de manière plurale : Thorndike mentionne trois parties de l’intelligence (partie abstraite, mécanique et sociale), Sternberg développe une théorie triachique composée de l’intelligence analytique, créative et pratique. (Arula, 2013 ; Sternberg & Kaufman, 2011).
Les fondements théoriques
En 1983, Gardner propose la théorie des intelligences multiples comme un contrepoids aux théories qui prétendent mesurer et quantifier l’intelligence (Arula, 2013 ; Hourst, 2006). Il critique une démarche qui consiste à mesurer l’intelligence des enfants dans un environnement artificiel en proposant des tâches isolées. Il cherche à élargir les paramètres qui permettent de définir l’intelligence en intégrant la diversité des capacités humaines inhérentes à tout contexte social et à toute culture (Hourst, 2006). Pour Gardner (2008), la définition de l’intelligence englobe des notions de biologie, de chimie, s’appuie sur des aspects psychologiques et philosophiques. Elle « implique la capacité à résoudre des problèmes ou à produire des biens ayant une valeur dans un contexte culturel ou collectif précis» (p. 37). Cette définition met en évidence diverses composantes de l’activité humaine qui permettent d’acquérir de nouvelles connaissances : résoudre un problème, créer des biens, offrir un service et chercher des solutions (Hourst, 2006 ; Racle, 1986). De plus, il considère l’intelligence comme un potentiel biopsychologique où « chaque membre de l’espèce a la potentialité d’exercer l’éventail des facultés intellectuelles » (Gardner, 1996, p.55). Le terme potentiel biopsychologique se réfère à des composantes innées influencées par la génétique (bio), et aux possibilités de développement de la partie innée (potentiel) (Arula, 2013 ; Barth, 1998). L’intelligence permet à l’être humain de s’exprimer à travers des systèmes symboliques divers : langagiers, logiques, numériques, musicaux, corporels, spatiaux, naturels, inter et intra personnels (Barth, 1998).
Les intelligences multiples et les élèves aux besoins particuliers
La théorie des intelligences multiples postule que les lésions cérébrales peuvent apparaître de façon isolée, sans toutefois porter atteinte aux autres régions, lesquelles demeurent intactes. Elle reconnaît les troubles, les déficiences et les difficultés, mais considère d’abord l’élève comme une personne fondamentalement saine (Armstrong, 1999 ; Leblanc, 1997). Armstrong (1999) et Leblanc (1997) affirment que cette théorie donne la possibilité aux enseignants de percevoir l’élève en difficulté comme une personne qui présente à la fois des besoins et des ressources dans plusieurs intelligences. En classe, en m’appuyant sur les intelligences les plus développées des élèves, j’élabore des stratégies qui leur permettent de contourner les obstacles d’apprentissage. En empruntant un « système symbolique de rechange » (Armstrong, 1999, p.139), je traduis l’information venue de leur environnement scolaire. Par exemple, comme ils comprennent peu le langage verbal, l’explicitation des consignes des activités se fait à partir d’exemples et de contre-exemples concrets qu’ils visualisent. Pour contourner leur système symbolique linguistique défaillant, je traduis l’information dans un système visuo-spatial plus facile à saisir pour eux. Selon Armstrong (1999), l’application de la théorie, dans des projets liés à l’intégration des élèves aux besoins spécifiques à l’école régulière, peut créer les effets suivants :
– le risque que ces élèves soient transférés vers les écoles spécialisées diminue considérablement. Lorsque les enseignants s’efforcent d’appliquer les huit intelligences, ils peuvent toucher à la fois aux besoins des élèves qui apprennent mieux par le biais des intelligences linguistiques et logico-mathématiques, mais aussi à ceux qui sont plus aptes à saisir les contenus scolaires par les biais des autres intelligences ;
– une intégration plus importante des enseignants spécialisés dans les écoles régulières et un niveau plus élevé de collaboration entre les enseignants spécialisés et les enseignants ordinaires. Les enseignants spécialisés agissent comme des agents de liaison entre les programmes et les élèves en difficulté. En travaillant en co-enseignement, les enseignants spécialisés assistent l’enseignant titulaire pour cibler les intelligences les plus fortes des élèves en difficulté et, par une pédagogie différentiée, les aident à concevoir des activités et des interventions issues de cette théorie;
– les enseignants mettent plus facilement l’accent sur la détermination des ressources des élèves en difficulté, lors de la mise en place d’un projet pédagogique individualisé. Ainsi, ils leur permettent de développer leur estime de soi et donnent sens aux différences individuelles entre les élèves.
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