La décision médicale en matière de diagnostic prénatal
Une action circonscrite entre décision médicale et consentement éclairé
L’activité médicale est souvent présentée comme une activité délibérative « A chacun des moments de ce qui fait l’objet de la rencontre entre un médecin et un patient – identification de l’état du malade, recherche de compléments diagnostiques, élaboration du pronostic, choix des interventions thérapeutiquesle praticien est confronté à un ensemble d’actions alternatives entre lesquelles i doit choisir . La démarche médicale relève donc d’un processus décisionnel. En tant que tel il peut être représenté comme enchaînement des phases « informative, délibérative et exécutoire » (Walliser et Prou, 1988) » . En ce qui concerne le diagnostic/dépistage deux ordres de décision ont été distingués: celui qui incombe à la patiente et celui qui incombe au médecin comme en témoigne cet extrait de l’avis du CCNE relatif au dépistage de la trisomie 21 : “ Il convient de laisser au médecin le choix de son attitude en fonction de la personnalité de la femme à qui appartient en dernière analyse la décision. ”211 Mais le CCNE est conscient des imperfections d’une telle recommandation. Les deux ordres de décision entretiennent des rapports subtils. Ainsi, dans son “ Avis sur les problèmes posés par le diagnostic prénatal et périnatal ”le CCNE notait déjà que “ La décision d’interruption de grossesse appartient aux parents dûment informés sur le résultat des examens. Il convient de prendre garde que l’information ne puisse être prise comme une pression exercée sur eux. Il ne saurait être fait grief aux parents de s’opposer au diagnostic prénatal ou à l’interruption de grossesse 212” . A partir de ces prémisses, partagées largement dans la littérature médicale, les questions usuellement posées étaient qu’il fallait effectuer des recherches pour déterminer d’une part quelle était l’ étendue des choix qui pouvaient être proposés aux patientes et d’autre part comment on pouvait s’assurer que les patientes prenaient une décision libre et informée. La première tendance est illustrée notamment par (Chevernak 1993) et (Chevernak 1995) autour de l’échographie. L’auteur y défend notamment deux idées. La première est celle du respect de l’autonomie de la patiente dans le choix de faire ou non effectuer une échographie. Cette approche s’inscrit contre la tendance du “ managed care ”, très discutée aux États Unis, qui, en l’absence d’évaluation coût/bénéfice positive de l’échographie de routine démontrée par la “ radius study 213”, refuse de considérer cet examen comme devant être proposé systématiquement. La seconde prône une adaptation des caractéristiques de l’échographie (étendue des investigations, types d ‘anomalies recherchées) aux desiderata des parents. En effet, si les parents n’envisagent pas la possibilité d’une interruption de grossesse consécutive à la détection d’une anomalie, il n’est pas forcément utile de leur livrer des éléments qui les mettraient dans une situation délicate. La seconde tendance est décrite par (Marteau 1995) “ Towards informed decision about prenatal testing, a review ” qui souligne l’impératif éthique du respect de l’autonomie de la patiente, notion assez consensuelle dans la communauté médicale, et son avantage pratique certain : une femme mieux informée est une femme qui poursuit plus sereinement sa grossesse. Ces positions ont soulevé un certain nombre d’objections, les unes remettant en cause la ‘décision informée’ (traduction en anglais du consentement éclairé), les autres pointant le manque d’évidence de la notion de décision médicale. Reprenons en détail les principales objections.
Les critiques du modèle de “ décision médicale ”
Pour Clark et al.214, l’activité du médecin est souvent modélisée comme une activité de prise de décision, mais ces modèles ne tiennent pas compte des facteurs sociaux pouvant entrer en jeu du côté des médecins comme du côté des patientes. Le médecin est issu d’un milieu social, a été formé dans des institutions avec des caractéristiques spécifiques. Ces circonstances modèlent les perceptions des patients par les soignants. Malgré l’adage, répandu dans les hôpitaux, que ‘le médecin doit laisser ses convictions au vestiaire’, chaque personne, institution, spécialité, aura une certaine façon de penser les attentes des patients en fonction de leur appartenance à telle ou telle catégorie sociologique et proposera des soins en conséquence. Reconnaître cette caractéristique, c’est s’autoriser à penser la décision médicale comme un ‘processus cognitif social’. Clarke appelle donc à développer les études permettant de spécifier les relations de la pensée clinique au contexte social, dans le sens où la façon de penser les situations peut jouer sur la relation au patient. Cette approche était à la base des travaux de Kleinman développant ce qu’Ellen Lazarus215 nomme dans son article de 1988, les ‘modèles d’explication’ qui se fondent sur le fait que médecins et patients attachent des significations différentes aux maladies et à la santé et que ce sont ces différences d’approches et de significations qui créent les problèmes (notamment de compréhension) entre médecins et patients. Mais, nous dit Lazarus, cette approche des ’modèles d’explication’ en ne s’intéressant qu’aux différences inhérentes aux caractéristiques sociologiques préexistant à la rencontre délaisse le fait que la relation patient médecin est ancrée dans un contexte institutionnel particulier, un canevas social spécifique, ancré dans une histoire. Les limites de cette approche découlent du fait qu’elles ne considèrent que des facteurs externes à la consultation et négligent l’interaction entre médecin et patiente.
Les limites du “ consentement éclairé ”
Qu’entend-on par ‘décision informée’ ou ‘consentement éclairé’ ? La notion de ‘consentement volontaire du sujet humain’ apparaît en 1947 dans le Code de Nuremberg pour réglementer l’activité de recherche expérimentale sur des sujets humains, en réaction contre les abominations commises en la matière par le régime nazi. Elle est basée sur quelques principes concernant le sujet expérimental : “la personne intéressée doit jouir de capacité légale totale pour consentir : (qu)’elle doit être laissée libre de décider, sans intervention de quelque élément de force, de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou d’autres formes de contrainte ou de coercition. Il faut aussi qu’elle soit suffisamment renseignée, et connaisse toute la portée de l’expérience pratiquée sur elle, afin d’être capable de mesurer l’effet de sa décision ” . Cette notion va faire son chemin dans la médecine clinique . Pour permettre à chaque patient de participer activement à la définition de son traitement, on va intégrer peu à peu un ensemble de standards d’éléments d’information toujours plus larges, centrés sur le patient (risques et bénéfices pour chaque traitement, traitements alternatifs). Cet ensemble de standards a été renforcé par la mise en place de procédures par les hôpitaux pour s’assurer que le consentement informé était respecté. « Respect of autonomy is put into clinical practice by the informed consent process. This process is usually understood to have three elements: (1) disclosure by the physician to the patient of adequate information about the patient’s condition and management; (2) understanding of that information by the patient; (3) a volontary decision by the patient to authorize or refuse clinical management. » Dans la pratique, un certain nombre de décisions importantes pour les patients sont formalisées dans un « formulaire de consentement éclairé » qui énonce que le patient concerné a bien reçu les informations relatives aux risques et bénéfices de l’acte médical envisagé et qu’il accepte l’acte en toute connaissance de cause. Des analystes tels Zussman ont soulevé les différents problèmes inhérents à cette pratique. Cet auteur, dans un article programmatique sur les rapports entre éthique médicale et sociologie de l’éthique médicale, écrit en effet que si les sociologues trouvent cette idée de consentement éclairé sympathique, ils doutent souvent de sa mise en œuvre. Les arguments déployés sont les suivants: le personnel médical est très favorable au consentement éclairé, les patients y sont globalement indifférents, il y a des différences significatives dans les pratiques, les médecins gardent une autorité certaine sur les décisions, due à leur expertise technique. La pratique du consentement éclairé est dans certains endroits plus une ritualisation du soin que l’occasion d’une discussion substantive entre médecin et patient. Le médecin n’est pas forcément fautif dans cette affaire, une étude citée par Zussman a montré que les médecins sont plus enclins à informer les patients que les patients à demander des informations. Un dernier type de limite est discuté longuement dans un article d’Isabelle Pariente-Butterlin. Cette chercheuse s’est intéressée à l’histoire d’une donneuse d’ovocytes ayant consenti à l’acte médical du prélèvement.