La culture des fandoms
LES FANDOMS, UN MONDE À PART
Dans cette partie, nous nous intéressons au phénomène des fandoms et à leur organisation. Dans un premier temps, nous montrerons que ces fandoms sont présents sur plusieurs réseaux sociaux et que le niveau d’investissement n’est pas le même sur chacun d’entre eux. Nous parlerons ensuite des fandoms en tant que familles, car si un fandom est réparti sur plusieurs plateformes, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de liens entre chacune d’entre elles. Enfin, nous démontrerons qu’une des caractéristiques propres au fandom est sa recherche de l’expertise sur sa série fétiche, et nous verrons ainsi comment les fandoms arrivent à se tenir informés sur leur série favorite.
UN FANDOM, DES USAGES
Lorsque l’on parle de fandoms en ligne, nous ne parlons pas d’un endroit sur le net précis. En effet, les fandoms sont répartis sur différentes plateformes et les fans feront preuve d’un degré d’engagement selon celle qu’ils utiliseront. Autrement dit, il existe une certaine hiérarchisation entre les réseaux sociaux. Il sera question ici de s’intéresser aux principaux, à savoir Facebook, Instagram, TV Time, Twitter, Reddit et Tumblr.
FACEBOOK, INSTAGRAM ET TV TIME COMME PORTES D’ENTRÉES VERS LES FANDOMS
Dans cette sous-partie, il sera question de s’interroger sur le rôle de Facebook, Instagram et l’application TV Time dans la création d’une porte d’entrée vers les fandoms pour les téléspectateurs au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire qui regardent une série télévisée, sans exprimer le besoin de s’y investir davantage. Nous allons tout d’abord nous pencher sur le cas de Facebook, car c’est le réseau social qui est le plus utilisé. Selon le Journal du Net, Facebook recensait plus de 2,38 milliards d’utilisateurs actifs chaque mois et 1,56 milliards chaque jour dans le monde au premier trimestre 2019. Le Blog du Modérateur quant à lui indiquait que Facebook était la plateforme avec le plus d’utilisateurs actifs, selon les chiffres d’octobre 201822. Preuve que le réseau social conserve son statut de leader, contrairement à l’idée générale répandue qui affirme que Facebook est passé de mode. Si certes les 15-24 ans déclarent passer davantage de temps sur Snapchat que sur Facebook, la plateforme continue d’être largement utilisée. Si les utilisateurs n’utilisent plus Facebook pour publier du contenu personnel, comme leurs photos de vacances par exemple, ils sont avides de contenus ludiques et divertissants, comme des vidéos. C’est pourquoi les chaînes continuent d’alimenter les pages spécifiquement dédiées à leur série. Si nous nous intéressons à la page Facebook officielle de The Good Place, nous constatons que plus de 269 000 personnes l’ont aimé et que plus de 271 000 la suivent. Des données assez similaires à ceux de la page de Superstore, aimée par plus de 222 000 personnes et suivie par plus de 225 000 utilisateurs. La page officielle de Brooklyn Nine-Nine, quant à elle compte plus d’1,17 million de personnes qui ont aimé la page et plus d’1,2 millions qui la suive. Cette différence significative peut s’expliquer par le fait que la série est la plus ancienne. Elle a en effet été créé en 201325, là où Superstore et The Good Place ont respectivement été créées en 201526 et 201627 . Ce qu’il est intéressant de noter avec Facebook, c’est qu’il s’agit d’une plateforme relativement facile d’utilisation et très intuitive. Cela s’explique notamment par les petites formes, définies par Yves Jeanneret comme étant des « Forme[s] médiatique[s] condensée[s] et stéréotypée[s] (méta-forme) qui [sont] mobilisée[s], automatisée[s] et disséminée[s] dans tous types de contextes pour supporter des gestes culturels et quotidiens typiques. 28 » . Autrement dit, ces pictogrammes représentant un pouce en l’air pour le fameux « J’aime » propre à Facebook, la bulle pour les commentaires ou encore la flèche pour partager un contenu, permettent aux utilisateurs de rapidement comprendre le fonctionnement de la plateforme. Celle-ci permet donc de réunir des internautes de toutes sortes. De plus, les utilisateurs n’ont pas à créer un compte spécifique pour aimer la page d’une série et interagir avec eux. Par ailleurs, contrairement à d’autres réseaux sociaux, les « amis » qu’un utilisateur a sur Facebook sont plus généralement des membres d’un entourage proche, ou des gens qu’il connaît dans la vie réelle. Il y a donc une relation de proximité entre chaque utilisateur que Facebook souhaite valoriser davantage. Les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Editions Non Standard, 2014 17 lancé en mai 2019, vise en effet à redonner de la valeur en lien entre « amis les plus proches » et donc, donner la priorité aux contenus issus de ces derniers dans notre fil d’actualité29 . Ainsi, si un de nos amis les plus proches, avec lequel nous discutons régulièrement sur la plateforme, partage un extrait posté par la page officiel d’une série, nous serons plus susceptibles de la voir apparaître dans notre fil d’actualité sur Facebook. Si nous connaissons la série, cela peut nous donner envie de suivre la page également. Dans le cas contraire, cela peut nous inciter à découvrir la série. En avril 2018, la page Facebook de Brooklyn Nine-Nine a partagé le cold open30, c’est-à-dire la séquence qui fait rentrer le téléspectateur in medias res, avant-même le générique, qui n’a souvent pas de rapport avec l’intrigue de l’épisode, de l’épisode 17 de la saison 5. Dans ce cold open, Jake Peralta, un policier, fait chanter « I want it that way » des Backstreet Boys à des suspects dans le but d’aider le témoin à retrouver le coupable. Cette séquence d’1 minutes et 13 secondes a attiré 2,7 millions de vues, 85 000 réactions, 36 000 commentaires et plus de 28 000 partages. Cette séquence a également été publiée sur la page de E431, la chaîne britannique qui diffuse la série. Il ne s’agit donc pas de la page officielle de la série, mais il est intéressant de s’attarder sur les statistiques de cette vidéo. Bien qu’elle ait été publiée après la page officielle de Brooklyn Nine-Nine, la publication de E4 a mieux fonctionné puisqu’elle a généré plus de 8,6 millions de vues, pour 140 000 réactions, 48 000 commentaires et plus de 61 800 partages. Entre les deux vidéos, nous pouvons donc imaginer que le taux de partage est ce qui a permis à la vidéo d’avoir autant de vues, mais ce n’est pas la seule conséquence. En effet, le deuxième commentaire qui a généré le plus de réactions explique que cet extrait est ce qui lui a donné envie de regarder la série. Parmi les 31 réponses suscitées par ce commentaire, plus de 67% étaient dans le même cas de figure. Autre phénomène qui peut expliquer le nombre de vues des vidéos : la pratique du tag. Celle-ci consiste à mentionner le nom d’un ou de plusieurs de ses amis, afin de leur permettre de voir le post. Plusieurs raisons peuvent inciter les internautes à tagguer leurs proches. Ils peuvent en effet avoir trouvé un contenu particulièrement divertissant et/ou drôle, ou bien le faire car le contenu leur rappelle une inside joke qu’ils partagent ou encore parce qu’ils en ont parlé précédemment. L’effet « boule de neige » continue son travail, puisqu’en commentant, d’autres internautes qui ont des amis en communs peuvent ainsi retrouver le post en question dans leur fil d’actualité. Ce qui peut, à leur tour, les inciter à partager et/ou commenter ce même contenu. Ainsi, Facebook peut donc apparaître comme une porte d’entrée vers les fandoms, dans le sens où il peut permettre aux utilisateurs de découvrir, mais surtout d’avoir envie de regarder une série qu’ils ne connaissaient pas avant. Toutefois, les nouvelles pratiques d’utilisation de Facebook ne sont pas les seules raisons qui pourraient nous pousser à penser que le réseau social peut s’apparenter à une « porte d’entrée » vers les fandoms. C’est en effet les interactions sur la page officielle de la série. Comme il est de coutume sur la plateforme d’aimer les pages de nos centres d’intérêt, les networks peuvent partager leurs actualités avec des internautes qui ne se considèrent peut-être que comme de simples téléspectateurs. Cela peut donc les fidéliser et les pousser à aller les suivre sur d’autres réseaux sociaux. Cela constitue également une première possibilité d’interagir directement avec la chaîne, mais plus important encore : d’autres fans de la série. Dans le passé, les utilisateurs « n’aiment » pas une page, mais cliquaient sur « devenir fan » ce qui est très parlant. En devenant « fan » d’une page, l’utilisateur rejoignait symboliquement une communauté d’autres « fans », à savoir les autres utilisateurs qui avaient cliqué sur ce bouton. Lorsqu’un utilisateur lit les commentaires sur la page Facebook officielle de la série, il peut y trouver les avis d’autres internautes sur les épisodes, ou encore avoir d’autres informations qu’ils n’auraient pas eu autrement, comme des secrets de tournage, par exemple. Des discussions se tissent dans les commentaires et c’est cette interaction avec d’autres fans. En cela, Facebook peut être considéré comme un lieu particulièrement adapté au développement de fandoms, notamment parce qu’il encourage les utilisateurs à commenter, et donc procéder à une la participation discursive. Par ailleurs, il existe de nombreux groupes permettant aux utilisateurs de se regrouper pour parler de leur série préférée, à l’image de Brooklyn. Ces groupes Facebook permettent alors de créer une sorte de « communauté » de fans sur le site. Si Instagram peut également être considéré comme une porte d’entrée vers les fandoms, son fonctionnement est différent. Sur la plateforme, des comptes non-officiels sont spécifiquement dédiés à des séries. La particularité de ses comptes est qu’il s’agit généralement de contenus non inédits, mais repris de tweets ou de posts sur Tumblr. Avec 1 milliard d’utilisateurs, et pour la France, 25 millions de visites uniques par mois, et 7,3 millions par jour, Instagram s’impose comme une des plateformes les plus utilisées dans l’univers des réseaux sociaux. Sur cette plateforme, les utilisateurs peuvent suivre des comptes de leurs proches, de célébrités, et d’autre comptes en rapport avec leurs centres d’intérêts. Ces comptes-fans arrivent à attirer une large audience, allant de 2 000-3 000 jusqu’à plus de 23 000 abonnés, comme le compte bcast ou 33 700, comme b99precinct. Comme ces comptes attirent une audience aussi large, le potentiel pour un utilisateur, novice des fandoms, de s’y intéresser de plus près est plus grand. A l’image de Facebook, Instagram est un réseau social intuitif, où les utilisateurs suivent d’autres comptent pour alimenter leur fil d’actualité. Encore une fois, la majorité des comptes Instagram sont des comptes personnels, où l’utilisateur va suivre ses proches, des bloggers ou encore des célébrités. En suivant des comptes fans, spécifiquement dédié à des memes pour une série, l’utilisateur ne s’engage pas activement dans un fandom, mais en fait tout de même partie, dans une moindre mesure. En effet, il n’est plus simple téléspectateur, dans le sens où il va prolonger son expérience de la série sur les réseaux sociaux. C’est en cela qu’Instagram peut être perçu comme une porte d’entrée vers les fandoms.
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