LA CROYANCE ET LA TRADITION MALGACHE DANS LE PETALE ECARLATE DE CHARLOTTE ARRISOA RAFENOMANJATO
L’Alakaosy, l’être du feu
Chaque signe astral correspond à un des éléments constitutifs de la nature qui sont l’air, l’eau, la terre et le feu. Pour le signe astral Alakaosy, il est lié avec le feu, et c’est par lui qu’il se manifeste.
Feu meurtrier de l’Alakaosy
Dans le roman, dès la naissance de Felana, le pouvoir d’Alakaosy s’est manifesté par le feu provoqué par la foudre, créant ainsi un incendie qui tua à la fin un enfant. Ce dernier est le petit fils de Zefa, le frère de lait de Ralambo et aussi son domestique, alors, nous pouvons dire que l’enfant est proche de Felana, c’est pourquoi, il a été victime de l’Alakaosy. Le déroulement de cette intrigue est dramatisé par l’auteur en l’associant avec un déchainement de la nature qui provoqua l’incendie. Et ensuite, l’auteur rend mystique la situation parce que lorsqu’on a voulu éteindre le feu, la circonstance fut tourner autrement, la pluie s’est arrêtée. « (…) Les gifles, de plus en plus violentes du vent, accompagnées de trombes d’eaux, secouaient la maison. Les éclairs dardaient leurs flèches entre les 23 Frère de lait : dans les temps anciens, les femmes nobles n’allaitaient pas. Elles confiaient leurs enfants à des nourrices. 37 interstices des volets clos. Les mugissements des zébus enfermés dans l’étable s’unissaient aux bruits de leurs piétinements et aux grondements du tonnerre. Le jeune ne pouvait s’empêcher d’être angoissé par ce déchainement inhabituel de la nature. » (p.9) « Une langue de feu zigzagua dans la pièce, puis le fracas du tonnerre éclata. L’accoucheuse tira le bébé. Son premier cri se mêla aux clameurs de terreur qui jaillirent de la maison de zefa. » (p.16) « (…) la pluie s’est arrêtée. Du logement des domestiques et l’étable, des flammes montaient en spirales. (…) L’ironie du sort apparût monstrueuse : plus une goutte de pluie. Le vent chassait les nuages noirs qui s’enfuyaient telle une horde de démons. Le ciel se dégageait et l’incendie crépitait, haut, comme attisé par une force maléfique. Des hommes entraient dans le brasier pour sauver ceux qui, surpris dans leur sommeil, n’avaient pu sortir. (…) Un petit garçon est mort carbonisé. Trois hommes sont gravement brûlés. » (p.17) – Sept ans plus tard, à la veille du jour de Noël, les membres de la famille de Felana sont tous tragiquement morts par le feu. Si nous analysons bien les faits, nous pouvons voir que le feu s’est déclenché par accident et provoqua ainsi tout un drame. Mais le but de l’auteur est de le mettre dans le contexte de l’Alakaosy, donc, ce feu est une manifestation du pouvoir de ce dernier pour tuer tous ceux qui sont proches de Felana. « Le vieux domestique, en contournant la table, avait accroché la lanterne qu’allumait Vero. La bougie bascula et brûla le papier multicolore. La flamme rampa vers les longs cheveux éparpillés sur les épaules de la jeune femme. Ils prirent feu. Ils se bousculèrent, affolés et maladroits. Assiettes et couverts s’éparpillèrent sur le sol. Les chaises tombèrent avec fracas. Rangita étreignit convulsivement sa fille ; en voulant la sauver, elle devint la proie des flammes. Ralambo arracha les rideaux et les enveloppa. Rajao sauta par-dessus la table pour l’aider et renversa le pin chargé de lanternes déjà allumées qui chuta sur la table où trônait la lampe à pétrole. Le liquide ambré suinta, son odeur emplit la pièce. Zefa essaya de l’éponger avec sa veste. Trop tard, des ruisseaux enflammés serpentaient sous les fauteuils garnis de coussins. Tout flamba. Vero et Rangita se tordaient sur le plancher en hurlant. Ralambo frappait, frappait leurs corps avec le tissu, sans même s’apercevoir qu’il était devenu, 38 lui aussi, une torche vivante. Rajao, les yeux exorbités par l’épouvante fixait le mur de flammes qui les séparait de la porte. -Sautons par la fenêtre ! Bégaya-t-il en ouvrant les volets. Ce fût sa dernière erreur. Un courant d’air attisa l’incendie. Des étincelles atteignirent le plafond. Le jeune homme se pencha et prit dans ses bras le corps déjà inanimé de Vero. Ralambo, fou de douleur s’y accrocha, Rajao s’effondra à son tour. Son hurlement fût étouffé par le ronflement de bête repue de brasier. Zefa n’avait plus de cheveux, ses vêtements arrachaient sa peau. Il tituba vers les corps noircis de ses patrons. Ses poumons étaient une forge, il ne pouvait plus respirer. Seuls ses yeux hallucinés étaient vivants. Une force inconnue le propulsa vers la fenêtre. » (p.28-30) – Quelques instants après, le pouvoir d’Alakaosy en a fait encore une victime. Felana en voyant sa maison brulée a voulu sauver sa famille. Mais Ketaka, sa nouvelle amie, l’a voulu faire sortir de la maison enflammée. Suite à cela, Ketaka sauva Felana en la projetant de loin, mais le mauvais sort se tourna contre elle. Par conséquent, Ketaka perdit la vie dans cet incident tandis que Felana a été écarté du danger. « La fille de Vero se débattit, elles roulèrent sur le sol. Des brindilles enflammées sifflèrent autour d’elles. Une forme humaine passa à travers une ouverture et s’écrasa près des deux petites filles. Leurs hurlements d’horreur furent couverts par le fracas des tuiles brûlantes qui pleuvaient de tous les côtés. Une flamme plus haute que les autres s’éleva tel un pétale écarlate. Le toit s’effondra dans une gerbe d’étincelles. Elle (Ketaka) revint comme une folle, réunit ses dernières forces pour la projeter au loin et voulut la suivre. Un brandon tomba sur sa tête, elle s’effondra sans cri. (…) En effet, des convulsions tordaient le petit corps. Une mousse rougeâtre reflua ses narines et de sa bouche. Les cris stridents de la mère emplirent la nuit. L’enfant était arquée, seuls ses talons et sa tête touchaient le sol. Une seconde plus tard, la fillette retomba définitivement immobile. » (p.30-31) « Mises à part des petites brûlures, elle était sortie indemne de la catastrophe qui avait coûté la vie à six personnes. » (p.32) – Quelques années plus tard, Felana a rencontré l’amour, elle s’est attachée à Eddy mais la malédiction est encore en elle et le pouvoir d’Alakaosy les frappa de nouveau par le feu suite à une explosion de l’avion dans lequel Felana et Eddy venait de descendre. Ce feu en a fait encore des victimes : le parrain d’Eddy et ses collaborateurs. La force de cette explosion propulse Eddy contre le sol provoquant des souffrances physiques qui pourraient le tuer. « L’explosion eut lieu au moment où Eddy toucha le sol. Il fut soulevé et projeté à une dizaine de mètres par le souffle de la déflagration. La mémoire lui revint alors que des douleurs atroces broyaient son corps. – Alakaosy ! … Alakaosy… murmura-t-il avant de sombrer dans le néant. Felana, plus loin, rampait vers le brasier. – Maman… papa… gémissait-elle. Elle revoyait la maison en feu de ses grands parents. Elle apercevait la chose informe éjectée d’une fenêtre. Des mains la saisirent et la déposèrent sur une civière. Elle se débattait, les yeux rivés sur les flammes. » (p.172) En tout, la mort de ces personnes rend plus puissant le pouvoir d’Alakaosy comme ce passage qui nous précise que « Mademoiselle Felana est née Alakaosy, il faut qu’une vie s’éteigne pour qu’elle retrouve la sienne. » (p.144) D’un autre côté, la vue de ce feu provoqua en Felana un tourment psychologique et lui inflige une souffrance morale : de nouveau, elle revoyait la maison de ses grands parents enflammée et elle n’a pas la tranquillité d’esprit. « Un brasier tourbillonnait devant ses yeux : le brasier de son enfance et celui de l’avion. » (p.178) « (…) Elle maintenait les yeux ouverts car dès qu’elle fermait les paupières, elle revoyait le brasier. » (p.183) – Et pourtant vers la fin du roman, Felana a dû défier ce feu pour en être libre. Cette fois-ci c’est Felana qui a vaincu le feu d’Alakaosy. « Le feu, chuchota-t-il, tandis que les têtes se penchaient pour mieux l’écouter. Felana Rambolamasoandro est entourée par le feu… Ni l’eau, ni la terre ne 40 pourront l’éteindre…elle doit le défier seule…sinon elle y restera toute sa vie… Alakamisy vav’Alakaosy… vorifandry. Le feu, répéta inlassablement le mpanandro. Le feu du ciel rugit… Il encercle Felana Rambolamasoandro. Seul l’anneau d’or l’aidera… vorifandry, pas plus tard. » (p.198) « (…) les zig-zag aveuglants d’un éclair transpercèrent les nuages. Sa pointe fulgurante fusa vers Felana. Le grondement assourdissant du tonnerre domina les hurlements de terreur de la jeune femme et la clameur des spectateurs. Les branchages s’étaient embrasés. Un cercle de feu entourait Felana. » (p.200) « Felana s’était redressée lentement, puis pivotait sur elle-même : un mur rouge et étincelant l’entourait. D’abord une douce chaleur l’envahit, faisant fuir le froid glacial de la peur. Puis la sarabande des flammes s’incrusta dans ses yeux. Le brasier … la maison… l’avion… Elle tourna de plus en plus vite, comme une toupie. Des étincelles voltigèrent, l’encerclèrent. » (p.201) La circonstance dans laquelle a été créé le feu en ayant recours à la foudre peut être interprétée comme une référence à un mythe de la Grèce antique que : « le feu est l’attribut des dieux les plus puissants. La foudre, la personnification de leur souveraineté et de leur puissance est l’arme des divinités suprêmes. Le châtiment divin prend la forme du feu à travers la foudre et les incendies. » D’après la croyance malgache, le destin proviens d’une entité divine appelé « Zanahary » (celui qui a créé), ainsi, celui de l’Alakaosy est symbolisé par le feu. Dans cette optique d’idée et en comparaison avec le mythe, la foudre qui a provoqué le feu provient de cette entité divine donc d’une grande puissance. Le feu symbolise Alakaosy, ipso facto l’Alakaosy est l’expression de cette puissance divine qui possède à la fois une dimension destructive et représente un obstacle à franchir pour vaincre le mal.
Image du feu
Charlotte RAFENOMANJATO utilise des figures de rhétorique afin que le lecteur puisse imaginer diverses images du feu.
Analogie du feu
Par définition, « analogie » veut dire « rapport de ressemblance que présentent deux ou plusieurs choses ou personnes » 25 – Nous avons dans un passage qui nous montre que le feu se ressemble à un être humain et veut tuer en passant les deux filles. 24 Corinne MOREL, Dictionnaire des symboles, mythes et croyances, « Une forme humaine passa à travers une ouverture et s’écrasa près des deux petites filles. » (p.30) – Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre compte-rendu du roman , Felana est un nom donné par sa mère suite à sa vision d’un tapis de pétales écarlates. Dans le passage suivant, une flamme de feu apparait comme un pétale écarlate que nous pourrons interpréter telle une flamme à l’image de l’Alakaosy qui est en Felana et qui a causé la mort de sa famille. « Une flamme plus haute que les autres s’éleva tel un pétale écarlate. » (p.30)
Personnification du feu
La personnification est la représentation d’une réalité, d’un animal, ou d’une chose inanimée sous les traits d’une personne. Ici, nous avons des passages où l’auteur personnifie le feu. « Des flammes chaudes et dorées y dansaient, joyeuses… » (p.36) Dans ce passage, l’auteur attribut au feu une action faite par les humains : la danse. Mais aussi en ajoutant un caractère humain : joyeux. Une personne danse joyeusement lorsqu’elle est heureuse. Ici, les flammes sont comparées à cette personne parce qu’elles sont sorties victorieuses d’un évènement. Le feu de l’Alakaosy a vaincu en tuant en total six personnes.
Animalisation du feu «(…) des flammes transformées en serpents sifflaient en léchant la maison. » (p.36) L’auteur représente métaphoriquement les flammes comme un serpent c’est-à-dire en vue de sa proie le serpent siffle et ayant sa proie, il la lèche. Telle est aussi l’action des flammes en brûlant la maison. Nous pouvons résumer que le feu d’Alakaosy est une représentation de la puissance de ce signe astral. C’est par ce feu que tous les proches de Felana meurent tragiquement. Nous pensons alors que c’est seulement l’entourage de Felana qui en est victime, mais il a également des conséquences sur l’être Alakaosy.
INTRODUCTION GENERALE |