LA CRISE FINANCIERE ET COMMERCIALE MONDIALE

LA CRISE FINANCIERE ET COMMERCIALE MONDIALE 

LES ORIGINES DE LA CRISE

  1.   Pour être complète, toute explication de la crise actuelle doit aller au-delà de la catastrophe des crédits hypothécaires  subprime et prendre en compte les déséquilibres macroéconomiques mondiaux, ainsi que les lacunes systémiques et législatives qui ont rendu le système vulnérable aux chocs, à une mauvaise gouvernance politique et à un engagement doctrinaire généralisé en faveur du libre marché avec, pour conséquence essentielle, la paralysie des décideurs face à l’effondrement des marchés. L’économiste politique britannique Robert Skidelsky explique que l’effondrement de l’ordre financier est le reflet de trois fiascos : l’échec des banques, des institutions financières et des réglementations ; un surprenant fiasco intellectuel trouvant son origine dans une foi aveugle dans les marchés mondiaux et leur capacité à parvenir à un équilibre stable à long terme ; et enfin un fiasco moral, ayant attribué une plus grande valeur à la croissance en tant que telle qu’à d’autres finalités éventuelles, comme la stabilité systémique, ou qu’à une répartition juste et politiquement soutenable des richesses. Pour Robert Skidelsky, l’ordre financier a « cherché à justifier les récompenses fabuleuses attribuées à une ploutocratie financière, face à une stagnation, voire à un recul, des revenus moyens ; au nom de l’efficacité, il en est venu à symboliser la délocalisation de millions d’emplois, l’ébranlement des communautés nationales et le viol de la nature. Un tel système se doit de connaître un fabuleux succès pour susciter l’allégeance. Un fiasco spectaculaire ne peut que le discréditer. »  Robert Skidelsky explique en outre que, pour l’essentiel, l’on a pu constater une acceptation sans réserves de la mondialisation et de l’innovation financière suivant des modalités établies par les principaux bénéficiaires de ces phénomènes, aux dépens de millions d’autres personnes. (Skidelsky, novembre 2008)
  1.   Comme Robert Skidelsky y fait allusion, la crise économique mondiale engendre aujourd’hui ce qui est peut-être le plus grand défi politique et intellectuel auquel les sociétés occidentales sont confrontées depuis la Seconde Guerre mondiale. Les pressions en faveur d’actes décisifs sont intenses, alors que les désaccords sur ce qui doit exactement être fait menacent la courtoisie, tant au plan national qu’international. Dans la cocotte minute de la politique de crise, de nombreux gouvernements sont parvenus à éviter l’effondrement total. Bien que ce soit difficile à accepter, le renflouement des banques a néanmoins assuré la survie des marchés du crédit, tandis que les différents plans de relance contribuent à soutenir la demande. Mais les gouvernements ont également envisagé et  parfois adopté des politiques qui exacerbent des conditions économiques déjà déplorables. Le spectre menaçant du protectionnisme suscite par exemple la crainte que l’un des enseignements essentiels tirés de la Grande dépression puisse être sacrifié sur l’autel de l’opportunisme politique. Or les leçons issues du passé sont nécessairement limitées et la crise actuelle présente des aspects qui diffèrent fondamentalement de la situation propre aux années 30. Les économies occidentales fonctionnent désormais au sein d’un système complètement mondialisé et bien plus interdépendant, tandis que de nouvelles puissances économiques émergentes, comme la Chine, ne se situent plus seulement à sa périphérie. Ces nouveaux acteurs ont acquis un rôle central. Ainsi, même la hiérarchie des grandes puissances semble être fluctuante. Le grand défi consiste à édifier de robustes structures nouvelles, appropriées aux circonstances très différentes de l’intégration mondiale. La tâche sera difficile et émaillée d’embûches.
  1.   La crise économique actuelle a débuté par l’éclatement de la bulle des cours des actifs sur le marché du logement subprime aux Etats-Unis. Alors que les marchés du crédit commençaient à se figer, rares furent ceux qui ont accepté de reconnaître que ce secteur était suffisamment important pour mettre en péril les secteurs bancaire et financier mondiaux, déclencher la panique sur les places financières et finalement entraîner le déclin brutal des marchés de l’emploi. Certains avaient toutefois discerné le risque de crise. L’OCDE avertissait depuis longtemps déjà que la bulle de l’immobilier américain posait de graves risques financiers pour la croissance mondiale, même si elle avait par ailleurs salué l’incursion de l’Islande sur la voie d’une libéralisation financière qui allait se révéler catastrophique. L’éclatement de la bulle des subprime a ainsi été rapidement suivi par une détérioration massive de la situation financière des principales banques mondiales. Il est apparu que nombre de ces institutions détenaient toute une série d’actifs adossés à des titres hypothécaires, ou dérivés, dont la valeur dépendait de l’orientation prise par des marchés spécifiques. Lorsque la demande et les cours de ces actifs ont dégringolé, les réserves des banques se sont avérées insuffisantes pour couvrir les pertes, ce qui a déclenché une très grave contraction du crédit, qui s’est immédiatement propagée à toute l’économie mondiale.
  1.   En fait, l’économie mondiale s’est étiolée parallèlement à l’assèchement du marché du crédit. Des entreprises ont alors commencé à faire faillite, des travailleurs ont été licenciés, les consommateurs ont réduit leurs dépenses dans la crainte de temps difficiles, les prix des matières premières se sont effondrés et les échanges commerciaux mondiaux se sont brutalement ralentis. La dissémination rapide de la crise a révélé l’ampleur de l’intégration des marchés mondiaux et la manière dont une crise dans un seul secteur et dans un seul pays pouvait rapidement contaminer d’autres secteurs dans de nombreux pays. Le problème n’en a pas pour autant été vraiment reconnu comme systémique jusqu’à la faillite de la firme Lehman Brothers Investment, en septembre 2008. L’écroulement de cette institution a créé une panique internationale et a fini par provoquer l’intervention urgente des gouvernements de toute la zone de l’OCDE et au-delà, afin de consolider des systèmes bancaire et financier chancelants. A ce moment cependant, la contraction du crédit avait déjà frappé l’économie réelle. La confiance du monde des affaires était en chute libre, la demande s’effondrait et les nouvelles opportunités d’investissement disparaissaient purement et simplement. La phase initiale de la crise avait donc déclenché l’effondrement de l’économie réelle, qui – à son tour – porta un nouveau coup au secteur financier. Les gouvernements du monde entier procédèrent alors à des interventions massives pour renflouer des banques qui ne pouvaient soudain plus faire face à leurs obligations. Ces efforts de sauvetage allèrent bien au-delà du secteur bancaire. C’est ainsi, par exemple, que Washington élabora un certain nombre de plans de sauvetage pour l’automobile, le logement et d’autres secteurs menacés. Parallèlement, des mesures macroéconomiques extraordinaires furent adoptées dans le monde entier et souvent de manière coordonnée, afin d’écarter le spectre de la récession. Un assouplissement monétaire, l’accroissement des dépenses publiques et, dans certains cas, des réductions d’impôts étaient désormais à l’ordre du jour.
  1.   Avec le recul, on peut considérer que les indices d’une crise imminente étaient manifestes bien avant l’éclatement de la bulle. Dès l’an 2000, de nombreux capitaux en provenance du monde entier ont commencé à délaisser le secteur technologique – qui avait fait l’objet de surinvestissements massifs – au profit du marché immobilier américain. Les prix des logements se sont envolés lorsque les investisseurs ont considéré l’immobilier comme une excellente opportunité pour ceux qui, coûte que coûte, pouvaient réunir la somme nécessaire au paiement d’un acompte. Même les personnes ne disposant que d’un capital réduit recevaient un crédit pour se constituer l’acompte nécessaire et le marché s’est naturellement envolé face à un tel afflux de transactions. (Forum parlementaire de l’OCDE 2008) Signe inquiétant, toute une série d’innovations financières n’ayant pour la plupart pas fait leurs preuves, comme les titres adossés à des hypothèques, contribuaient à masquer les surévaluations du marché. Ces instruments permettaient aux banques et à d’autres acteurs de morceler des crédits hypothécaires à risque élevé en actifs de plus en plus petits, de les combiner avec d’autres, parfois tout aussi risqués, de les reconditionner sous forme de dettes « triple A », puis de les vendre. Les pratiques des banques et d’autres institutions en matière de bonus récompensaient ceux qui concluaient des affaires de ce genre et une prime était attribuée pour l’acceptation de risques élevés, suivie d’un désengagement rapide. Ceux qui consentaient des crédits immobiliers excessivement risqués cherchaient à les revendre directement après les avoir conclus, se dissociant ainsi, de même que leurs institutions, des risques impliqués par de tels prêts. Ces transactions surnommées « octroi puis cession », où celui qui accorde le crédit n’est pas celui qui le porte ensuite, constituaient en fait pratiquement des schémas de Ponzi légaux. Une sorte de vision à court terme s’était installée à Wall Street et ceux qui s’inquiétaient du danger structurel croissant et de l’imprudence d’un tel système étaient purement et simplement marginalisés par un système étayé par des bénéfices trimestriels et une cupidité monumentale. Inévitablement, des créances irrécouvrables se retrouvaient dans les comptes des firmes, même de celles qui avaient cherché à se débarrasser dès l’origine de leurs créances douteuses.  Désormais, tout l’ordre financier était vulnérable.

LES PROBLEMES MACROECONOMIQUES SOUS-JACENTS

  1. Plusieurs facteurs macroéconomiques différencient la crise actuelle d’autres crises financières, comme celle ayant frappé l’Asie en 1997. Par-dessus tout, la principale puissance économique mondiale est à l’épicentre de cette crise. Deuxièmement, celle-ci n’est pas une simple crise bancaire, mais elle résulte également de déséquilibres macroéconomiques fondamentaux. À la veille de la crise, l’économie mondiale était déjà en surchauffe, suite à une création excessive de crédit. Les déficits persistants et massifs des comptes courants américains, financés par des prêts asiatiques et en particulier chinois, généraient ce crédit. Dès 2006, les déficits des comptes courants avaient atteint des niveaux intenables, supérieurs à 5 % du PIB. Les dépenses des consommateurs et les investissements dans le secteur du logement aux Etats-Unis étaient passés de 67 % du PIB en 1980 à 75 % en 2007, tandis que le taux d’épargne des ménages était tombé de 10 % des revenus disponibles en 1980 à près de zéro en 2007. L’endettement des ménages était passé de 67 % des revenus disponibles à 132 % au cours de la même période.
  1. Les économistes monétaires avaient depuis longtemps averti que, faute d’une diminution des déficits massifs des comptes courants et budgétaires, des contractions soudaines et massives finiraient par se produire. Ces avertissements n’ont jamais été pris en compte dans les milieux politiques américains, pour lesquels le privilège de gérer la monnaie de réserve mondiale signifiait que les règles normales de la comptabilité monétaire internationale pouvaient être ignorées. La contraction massive survenue en 2008 permet cependant de penser que l’Amérique pourrait être en train de perdre ce privilège particulier. (Grant) Ce changement est toutefois bien plus rapide, profond et généralisé que la plupart des analystes le pensaient. Chose inquiétante, les Etats-Unis continuent à enregistrer des déficits des comptes courants et budgétaires, alors que la Chine et d’autres épargnants nets continuent à prêter de l’argent au Trésor américain. Cela facilite la poursuite des dépenses publiques américaines, tout en soutenant la liquidité globale aux Etats‑Unis, mais permet également de penser que de nouveaux ajustements macroéconomiques douloureux se profilent à l’horizon. Cette situation présente également un certain nombre d’effets pervers. En premier lieu, elle a détourné les capitaux des pays plus pauvres au profit d’un pays industriel mature. Deuxièmement, les capitaux qui ont afflué aux Etats-Unis après l’an 2000 ont été utilisés pour soutenir la consommation et financer un boom de l’immobilier, plutôt que pour promouvoir la productivité américaine. Notons enfin que ces afflux de capitaux ont renforcé la valeur du dollar, diminué les opportunités d’exportation des entreprises américaines, généré un boom des produits non échangeables (l’immobilier en particulier) et encouragé la délocalisation des entreprises américaines, soucieuses d’exploiter une main-d’œuvre moins chère à l’étranger. Les détenteurs de capitaux ont ainsi bénéficié des possibilités de production à bon marché offertes par la Chine et récolté les profits du boom, tandis que les travailleurs américains pâtissaient de la délocalisation des emplois industriels et de la stagnation de leurs rémunérations. (Skidelsky, juillet 2009)
  1. Les Etats-Unis sont devenus le plus grand emprunteur et le pays qui dépense le plus au monde, mais ils n’ont pu continuer sur cette voie qu’aussi longtemps que le monde a estimé cette situation tenable. Dès le premier trimestre 2008, la dette extérieure américaine a approché les 6,5 billions de dollars. (Moirici) Les Chinois et d’autres Tigres asiatiques parcimonieux finançaient la fièvre dépensière de l’Amérique et en étaient récompensés par le gigantesque appétit américain pour les produits de consommation asiatiques, disponible à bas prix en raison du désalignement fondamental des monnaies.  Comme l’afflux de capitaux poussait les taux d’intérêt américains à la baisse et que les importations bon marché faisaient chuter les prix des produits, la Réserve fédérale disposait de toute latitude pour poursuivre une politique monétaire souple qui, associée à une politique budgétaire peu rigoureuse, alimentait la demande. La croissance de la productivité américaine commença alors à s’effondrer, en raison de l’affectation aberrante de capitaux bon marché. Ces capitaux étrangers facilitaient la fièvre de consommation des Américains, tout en fournissant à l’Asie et à d’autres économies dépendantes des exportations un moyen de soutenir leur propre croissance. Cet échange symbiotique était, pour l’essentiel, devenu un cercle vicieux intenable.
  1. Une véritable correction macroéconomique exigera en fin de compte un taux d’épargne plus important dans des pays comme les Etats-Unis, qui ont exagérément dépensé durant des années, et des dépenses plus importantes dans des pays comme la Chine, qui ont désormais besoin d’investir sur le plan intérieur dans des domaines tels que la santé publique et les infrastructures environnementales. Cette transition a déjà commencé, dans la mesure où les ménages américains épargnent désormais 5 % de leurs revenus, contre quasiment 0 % l’année dernière. Mais le gouvernement américain dépense désormais à un rythme record et a accru les dépenses publiques dans le domaine social, dans le domaine de la défense et dans le cadre de diverses initiatives de sauvetage de l’économie, de réductions fiscales et de mesures de relance. (« After the Fall ») Le déficit structurel, l’importance des mesures de relance et la baisse des recettes fiscales ont entraîné le triplement du déficit budgétaire américain, qui a atteint en septembre 1,4 billion de dollars sur base annuelle. (BBC, 8 octobre 2009) En fin de compte, le gouvernement américain devra également finir par réduire son déficit budgétaire, permettre au dollar de perdre de sa valeur et relancer les exportations pour retrouver la santé économique. Les Chinois s’inquiètent à juste titre d’une chute massive de la valeur du billet vert, car ils en détiennent d’énormes quantités. Ils aimeraient certainement diminuer leur exposition au dollar, mais il est difficile de le faire sans entraîner une forte dépréciation de celui-ci. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Chinois réclament la relance des Droits de tirage spéciaux du FMI, qui consistent en un panier de devises et pourraient être détenus par les banques centrales à la place de dollars. (« Promises, Promises ») Les stratégies monétaires et commerciales de la Chine l’ont conduite à surinvestir dans ses propres industries tournées vers l’exportation et à négliger son secteur non échangeable. Même le problème croissant de pollution auquel elle est confrontée peut être en partie considéré comme un corollaire de ces stratégies, bien qu’il soit tout simplement la conséquence de sa croissance. De toute façon, la Chine ne fait que se lancer sur la voie des dépenses et des réglementations environnementales dont elle a besoin pour éviter à ses citoyens de littéralement suffoquer à la suite du développement de leur pays. Il convient toutefois de porter au crédit des dirigeants chinois qu’ils sont manifestement conscients de la gravité du problème, qui a également des implications pour la sécurité intérieure, et qu’ils accélèrent désormais le mouvement pour y remédier. Cela a des implications financières, dans la mesure où la Chine pourrait commencer à investir une part plus importante de ses réserves sur le plan intérieur, plutôt que d’acheter des Bons du Trésor américain. Concrètement, cela signifie qu’elle devra permettre l’appréciation du renminbi et commencer à canaliser une partie de la richesse qu’elle accumule vers des investissements internes plutôt que vers l’achat de Bons du Trésor américain. Lorsque et si elle procède de la sorte, les Etats-Unis seront toutefois confrontés à une série de choix difficiles qu’ils évitent depuis longtemps.

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