La créatinine : d’hier à aujourd’hui

La créatinine : d’hier à aujourd’hui

Le dosage de la créatinine sérique est un dosage biologique très fréquemment réalisé en pratique quotidienne. Dans cet article de synthèse, nous passerons en revue les données historiques concernant ce marqueur et les différentes modalités pour sa quantification. Nous développons également les bases physiologiques de son utilisation pour l’estimation de la fonction glomérulaire et leurs limites, tant analytiques que physiologiques. L’utilité de la clairance urinaire de créatinine est enfin largement discutée. Abstract Serum creatinine is certainly one of the most precribed biological parameters. In this review article, we remind some historical data regarding creatinine. Different methodologies to measure creatinine in blood and urine are deeply described. We also discuss the physiological reason for its use as a glomerular filtration rate marker. However, analytical and physiological limitations will be described and discussed. Creatinine clearance usefulness is finally largely discussed.Le terme créatinine fut probablement employé la première fois en 1847 par Justus von Liebig lorsqu’il décrivit la substance obtenue après avoir chauffé de la créatine en présence de sels minéraux [1]. Aujourd’hui, c’est toujours l’un des dosages biologiques les plus prescrits en pratique clinique. C’est pourtant le dosage de l’urée qui fut d’abord utilisé pour évaluer la fonction rénale aux Etats-Unis. Le terme de clairance fut employé pour la première fois en 1929 par l’américain Möller et concernait l’urée [2].

L’utilisation de la créatinine, et plus précisément de la clairance de créatinine, pour étudier la fonction rénale est liée aux travaux de Rehberg et Holten, physiologistes danois, au milieu des années 20. Le but de ces auteurs, et c’est bien là un paradoxe, était de démontrer que la créatinine était sécrétée au niveau tubulaire [3]. Néanmoins, l’intérêt de ce marqueur et sa préséance sur l’urée dans la mesure de la filtration rénale seront définitivement admis [4]. D’abord utilisée avec un apport exogène de créatinine pour augmenter sa concentration sérique et permettre sa mesure plus facilement [3,5], la clairance de créatinine endogène sera étudiée et utilisée dès la fin des années trente [6]. Si la créatinine est, à ce jour, le seul marqueur circulant utilisé en pratique quotidienne pour évaluer la fonction rénale, en particulier le fonction glomérulaire, son utilisation correcte reste souvent problématique. Les raisons en sont à la fois physiologiques (liées au fait que la créatinine est loin d’être un marqueur idéal du débit de filtration glomérulaire (DFG)) et analytiques. Dans cet article, nous reverrons successivement : – la problématique liée au dosage de la créatinine – la physiologie de la créatinine, notamment à la lumière des caractéristiques nécessaires à un marqueur « idéal » de la fonction rénale – les variations de créatinine non liées à une modification du DFG (interférences analytiques et physiologiques). – les forces et les limitations de la clairance de créatinine.

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En 1886, Jaffe décrit la réaction, qui portera son nom, entre le picrate et la créatinine, qui, en milieu alcalin, donne une solution de couleur rouge-orange [7]. La présence d’une quantité mesurable de créatinine dans les urines sera rapidement confirmée par plusieurs auteurs fin du XIXème [8,9]. En 1905, Folin est le premier à véritablement quantifier, par colorimétrie, la créatinine dans les urines [10]. La détection puis la quantification de la créatinine dans le sang, initialement débattues, seront décrites plus tardivement [11,12]. Ce décalage dans le temps entre détection urinaire et sanguine est lié au manque de sensibilité et de spécificité des premières études [13,14]. De fait, Abderhalden, en 1924, avait déjà démontré que les protéines peuvent intervenir dans la réaction de Jaffe et donc faussement élever la concentration en créatinine [15]. Par conséquent, par la suite, toutes les analyses manuelles seront réalisées sur du sérum déprotéinisé. En 1928, Hunter donne une liste de 38 composés théoriquement susceptibles d’interférer avec la réaction de Jaffe [16]. Dans les années suivantes, d’autres auteurs confirmeront que la réaction de Jaffe n’est pas spécifique à la créatinine même après déprotéinisation [11,17]. Les difficultés historiques sur la mise au point du dosage de la créatinine sérique chez le sujet sain illustre bien le problème lié aux composants interférant dans la réaction de Jaffe, appelés pseudochromogènes.

Ces pseudochromogènes ont une concentration plus ou moins stable mais leur concentration exacte reste imprédictible pour un patient donné [17]. L’effet « pseudochromogènes » sera logiquement d’autant plus important sur le résultat final de créatinine que celle-ci se situe dans des valeurs basses. Sensu stricto, le terme « pseudochromogènes » n’est pas tout à fait adapté car si certaines substances interagissent bien avec le picrate pour donner un complexe coloré (acétoacétate, pyruvate, acides cétoniques, protéines) d’autres substances agissent, plus indirectement, via une modification de la réaction entre la créatinine et le picrate (par exemple, le glucose et l’ascorbate diminuent la concentration effective de picrate alcalin)[18]. Les pseudochromogènes sont nombreux et peuvent participer jusqu’à 15-20% dans la réaction pour une créatinine située dans les concentrations normales [13,19-21]. Des valeurs encore plus faussement élevées de créatinine pourront se voir dans certaines situations cliniques particulières, comme l’acidocétose, dans laquelle la concentration d’acétoacétate peut être très élevée [22]. Pour contourner l’effet des pseudochromogènes, les premiers chercheurs ont pensé utiliser des chélateurs sensés extraire la créatinine ou les pseudochromogènes (l’analyse étant réalisée par réaction de Jaffe avant et après extraction, la soustraction des deux donnait évidemment la créatinine « vraie ») [11,12,18,23]. Ces méthodes restaient bien évidemment manuelles et assez lourdes à mettre en place.

 

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